L’expédition de la pirogue Fa’afaite a révélé un important blanchissement corallien à Rurutu


Important blanchissement corallien observé dans la baie de Avera à Rurutu le 28 avril 2017 (Photo : Danee Hazama).
PAPEETE, le 12 avril 2017. La pirogue traditionnelle Faafaite a entrepris une expédition aux îles Australes pour soutenir le projet de grande réserve marine Rahui Nui No Tuha’a Pae porté par la population locale. Après trois semaines en mer, elle a regagné Tahiti mercredi dernier. Jérôme Petit, directeur de Pew Polynésie, s’entretient avec la scientifique Hannah Steewart qui a pris part au voyage.

Les grandes expéditions sont des opportunités uniques pour acquérir des données nouvelles et améliorer la connaissance des écosystèmes marins, même sur une pirogue traditionnelle à voile. Le Docteur Hannah Steewart, affiliée à la station Gump de l’Université Californie Berkeley à Moorea, a pris part au voyage de la pirogue Fa’afaite aux Australes en tant que scientifique embarquée. Elle était chargée par différents laboratoires internationaux, comme l’Université de Duke et le programme LTER, d’enregistrer des données au cours du voyage comme le relevé de la température de l’eau de surface et la collecte de plastiques flottants pour analyser les communautés microbiennes associées. Au-delà de ces recherches, Hannah et l’équipage de Fa’afaite ont reçu à bord des enfants de chaque île, pour une initiation aux bases de la navigation traditionnelle et de la biologie marine. Ils ont par exemple collecté du plancton avec un filet et tenté d’identifier des larves de poissons sous un microscope. Le passage de Faafaite aux Australes a créé de nouvelles vocations de futurs capitaines ou biologistes!


Blanchissement important des coraux à Rurutu

Elèves de Raivavae accueillis à bord de Fa’afaite par les marins (Photo : Jérôme Petit)
Les suivis réalisés par Hannah Steewart aux Australes ont permis de révéler un blanchissement important des coraux à Rurutu. Selon les premières observations, entre 30 et 50% des colonies étaient blanchies devant les villages de Moerai et Avera. Les coraux blancs ne sont pas encore morts mais seulement malades. En raison d’un fort stress, ils ont perdu les algues symbiotiques, ou zooxanthelles, qui leur permettent de se développer en leur fournissant de l’énergie. Si le blanchissement se prolonge trop longtemps, le corail finit par mourir. Et de nombreuses colonies sont déjà mortes et recouvertes d’algues brunes à Rurutu. L’île a connu des records de chaleur ces derniers mois, inhabituels pour le climat des Australes, ce qui explique le blanchissement important des récifs. Les pêcheurs de l’île n’avaient jamais observé un phénomène d’une telle ampleur à Rurutu auparavant. Ces observations montrent que même les eaux des Australes, parmi les plus préservées de la planète, sont touchées de plein fouet par le changement climatique. C’est d’autant plus alarmant que les eaux de Rurutu sont normalement parmi les plus fraiches de Polynésie française. Les données collectées à Rurutu ont été communiquées au programme de suivi volontaire des coraux « Un œil sur le Corail », mené par le CRIOBE-IRCP de Moorea. Chacun peut participer à ce réseau de suivi sur la plateforme http://www.ircp.pf/participez/ en fournissant des données et en alertant les scientifiques en cas de blanchissement. Vu l'ampleur du phénomène à Rurutu, une équipe du CRIOBE envisage de faire un déplacement sur l'île pour faire des analyses plus approfondies.

Les coraux, des oasis de vie menacés

Les coraux ont six fois plus de chances de se régénérer suite à une agression quand ils sont protégés par des réserves marines (Crédit : Pew sur la base d’une étude de Mumby et al. 2013)
Au niveau mondial, les récifs coralliens recouvrent une faible surface des océans, environ 0,15 % seulement, mais ils abritent près d’un tiers de toutes les espèces marines connues à ce jour. Véritables oasis de vie, ils assurent la subsistance de plus de 500 millions de personnes dans le monde grâce notamment à la pêche. Ils sont aussi indispensables à la protection des côtes contre l’érosion et à l’attrait touristique des îles. Les coraux sont extrêmement sensibles aux changements d’origine anthropique de l’environnement comme le réchauffement des eaux, l’acidification des océans, qui s’ajoutent aux perturbations locales comme la pollution, la sédimentation ou la surpêche. Selon la plateforme océan-climat, on estime actuellement qu’environ 20 % des récifs ont définitivement disparu au niveau mondial, 25 % sont en grand danger et 25 % supplémentaires seront menacés d’ici 2050 si aucune action n’est menée. Les moyens les plus efficaces pour protéger durablement les récifs sont de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, responsables de l’augmentation des températures, mais aussi de créer des réserves marines côtières, qui favorisent la résilience du corail face au changement climatique. Une étude récente montre que des coraux protégés par une réserve ont six fois plus de chances de se régénérer suite à un phénomène de blanchissement. Les experts de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN recommandent une protection stricte de 30% des habitats marins, aussi bien dans les lagons qu’au large, pour pouvoir continuer à tirer des bénéfices durables de ces écosystèmes. Actuellement, seules 3% des eaux de la planète sont protégées selon l’organisation MPAtlas.

Rencontre avec Hannah Stewart

La biologiste Hannah Steewart indique des coraux blanchis à Moerai, Rurutu.
Le Docteur Hannah Steewart est une biologiste marin avec 17 ans d'expérience de recherche en Polynésie française. Elle a travaillé avec la station Gump de l’Université de Californie Berkeley à Moorea, le projet LTER (suivi de long terme des écosystèmes récifaux), le centre de recherche CRIOBE et la station de recherche de Tetiaroa Society. Au niveau international, elle a aussi réalisé des suivis coralliens aux États-Unis, au Canada, à Belize, aux Bahamas, en Jamaïque et à Sainte Croix. Hannah a pris part de manière volontaire à l’expédition Fa’afaite pour soutenir, en tant que scientifique, le projet de grande réserve marine porté par la population des Australes. « La recherche scientifique a confirmé depuis longtemps les bénéfices des réserves marines pour la biodiversité » affirme-t-elle. « Pour protéger une espèce, il est nécessaire de conserver son habitat et les autres organismes qui font partie de ce système». Hannah pense que « les scientifiques apprennent encore tous les jours comment fonctionnent les écosystèmes et comment les espèces interagissent les unes avec les autres, si bien que nous ne pouvons pas prétendre que nous savons comment gérer ces systèmes très complexes ; des zones de protection sont indispensables». Elle rappelle le principe des réserves marines : « Les aires protégées, à travers le phénomène de débordement, offrent des bénéfices durables pour la pêche en augmentant l'abondance globale des poissons qui sont capturés à l’extérieur des réserves, ce qui crée des retombées économiques pour les populations des îles ». Elle ajoute : « Les grandes réserves océaniques visent à inclure des zones d'alimentation, de reproduction ou de migration, qui assurent la survie des espèces ciblées comme le thon ou d’autres grands prédateurs. C’est primordial quand on sait que près de 90% des stocks halieutiques sont pleinement exploités ». Hannah conclut : « Si nous voulons protéger notre sécurité alimentaire, nos océans et finalement, nous protéger nous-mêmes, il est essentiel d’épargner certaines zones pour la régénération des ressources. Avec une protection stricte de 30% des eaux, c'est une partie minime de l'océan que les scientifiques recommandent de protéger, mais les bénéfices seront pour tout le monde et pour toujours».


Rédigé par D'après un communiqué le Mercredi 12 Avril 2017 à 09:11 | Lu 6644 fois