L'éducation polynésienne est à la traîne


PAPEETE, le 10 février 2016. "Le système scolaire en Polynésie française : un effort de l'État important, une efficience à améliorer" c'est le titre de l'un des dossiers spéciaux édités par la Cour des comptes à l'occasion hier de la publication de son rapport annuel. Au centre de ces dysfonctionnements : les tiraillements entre l'État et le Pays sur cette compétence qui se déclinent entre deux services, le vice-rectorat d'une part et la DGEE d'autre part.

La cour des comptes a consacré un rapport de 41 pages au système scolaire en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie en mettant, forcément, les doigts sur les manquements, les dysfonctionnements. Pourquoi s'y intéresser ? Principalement parce que les dépenses publiques de l'État en la matière sont conséquentes dans ces deux territoires du Pacifique sud qui disposent pourtant l'un et l'autre d'une large l'autonomie et, qui plus est, de la compétence sur l'éducation. "Ce sont les deux seules collectivités de la République qui disposent en matière scolaire d’une compétence transférée, à l’exception notable de la gestion des fonctionnaires d’État mis à disposition et de l’enseignement supérieur". Bref, l'éducation coûte cher à l'État alors qu'il n'a pas la main libre sur tout ce qui se fait. Sur les 67 milliards de Fcfp annuels que mobilisent les besoins de l'éducation en Polynésie française, 90% des fonds proviennent de l'Etat et servent principalement à payer l'ensemble des personnels éducatifs qui sont mis à disposition du territoire, mais restent affiliés statutairement au ministère national de l'Education nationale.

Si le rapport effectué par la Cour des comptes sur le système éducatif pointe prioritairement les points à améliorer pour une meilleure efficacité des financements publics, il ne fait pas l'impasse néanmoins sur les progrès réalisés. Pas plus qu'il n'occulte les spécificités locales qui handicapent sérieusement la réussite des systèmes scolaires déployés. "La réussite aux examens et le nombre de bacheliers toutes filières confondues ont beaucoup progressé mais restent nettement inférieurs à ceux de la métropole. Dans les deux collectivités, des disparités substantielles de résultats existent entre la région centre et le reste du territoire. Cette situation résulte notamment du développement tardif des systèmes scolaires. En Polynésie française, la maternelle n'a été généralisée qu'en 1977 et les collèges n'ont été créés dans les îles que dans les années 1980". On comprend mieux avec cet éclairage historique d'où vient le retard polynésien en comparaison du système scolaire métropolitain installé de longue date.

LA DIFFICILE MUTUALISATION DES MOYENS


Ce rapport sur le système éducatif polynésien met en tout cas une fois encore le doigt sur les relations parfois conflictuelles entre les ministères -national et local- de l'éducation et leurs services déployés sur le territoire, le vice-rectorat et la direction générale des enseignements et de l'éducation (DGEE). Les recommandations faites vont donc en priorité dans le sens d'une simplification de la gouvernance. "L'organisation administrative actuelle entre vice-rectorat et DGEE donne lieu à des difficultés (…) Il y a parfois des interprétations concurrentes de la part des deux autorités (…) Il faut codifier des relations apaisées et complémentaires entre les services de l'éducation de l'Etat et ceux de la Polynésie française" commente Jean Lachkar, le président de la chambre territoriale des comptes.

Le mode de financement actuel est, par ailleurs, en contradiction avec la loi organique organisant le statut d'autonomie de la Polynésie française. Pour financer l'éducation qui est une compétence territoriale, une dotation globale de compensation aurait dû être mise en place. Ce qui n'a pas été fait. Or ce n'est "ni conforme aux textes ni à la logique". "La création de cette dotation générale responsabiliserait la collectivité dans son autonomie financière" poursuit Jean Lachkar au lieu de remettre en cause ces financements annuellement par le biais de conventions discutées parfois âprement en raison des "difficultés de relations entre les personnes". Avec la conséquence non moins discutable du point de vue de l'Etat que "les dépenses de l'éducation augmentent en Polynésie française alors que la démographie scolaire est en baisse" (environ 8000 élèves en moins dans les effectifs au cours des dix dernières années).

La mise en place, de cette dotation globale de compensation pour l'éducation pourrait se faire au moins de manière progressive (et sans toucher au paiement des salaires des enseignants qui resterait du ressort du ministère national) suggère la chambre territoriale des comptes à l'occasion des discussions - déjà ouvertes - pour le renouvellement de la convention décennale sur l'éducation qui arrive à échéance à la fin de l'année 2017. "C'est le moment d'explorer tous les rapprochements envisageables" propose encore Jean Lachkar citant en exemple la Nouvelle-Calédonie où ce rapprochement entre les services d'Etat ou de la collectivité sont allés jusqu'à fusionner et placer sous l'autorité du ministre local. Enfin, et c'est peut-être le manquement le plus grave pour apprécier les progrès réellement effectués et les écueils qui restent à combler par le système scolaire polynésien : il manque un bilan complet "sur une base partenariale de ce qui n'a pas été fait". Un état de lieux qui prendrait en compte les spécificités locales. On parle cette fois d'éléments structurants du territoire : éloignement, la problématique des transports, la gestion des internats. Tout ce qui peut expliquer le retard scolaire, la déscolarisation précoce et l'absence de diplômes des élèves dans les archipels.





Les dépenses pour le système scolaire en Polynésie française hors dépenses prises en charge par les communes (Source : Cour des comptes).

Les dépenses par élève reflètent aussi la capacité financière des territoires


980 000 Fcfp. C'est le montant de la dépense scolaire par élève en Polynésie française en 2014. Elle était respectivement de 919 000 Fcfp pour un élève métropolitain ou domien et de 1,2 million de Fcfp pour un élève de Nouvelle-Calédonie la même année. Ces chiffres interrogent sur les disparités constatées. A la Chambre territoriale des comptes de Polynésie on peut néanmoins expliquer ce qui apparaît initialement comme une différence de traitement injuste. "L'écart entre la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie alors que l'effort de l'Etat est similaire (environ 90% des dépenses d'éducation sont couvertes par l'Etat dans les deux collectivités) s'explique de manière conjoncturelle par les difficultés budgétaires de la Polynésie française pour financer les dépenses d'investissement. En 2014, la Polynésie française n'a pas pu les financer, c'est la même chose pour les communes au cours des années 2010 à 2014, qui doivent investir dans les écoles" explique René Maccury, doyen de conseillers de la Chambre territoriale des comptes de Polynésie.

LES RÉACTIONS

Jean-Louis Baglan, vice-recteur de la Polynésie française
"Il faut savoir d'où l'on vient"


"Je me félicite qu'il y ait un rapport national de la cour des comptes parce qu'il met en exergue nos caractéristiques. Après, un rapport a la valeur d'un rapport ! Nous sommes en train d'actualiser la convention de 2007 qui régit les missions de chacun et ce rapport donne un éclairage de la façon dont nous pourrions avancer. Mais c'était le cas également il y a un mois et demi quand une mission d'inspecteurs généraux est venue ici pendant une dizaine de jours dans le but de faire un rapport en vue de l'actualisation de cette convention sur l'éducation. Nous y travaillons activement, des groupes de travail partagés entre l'État et le Pays se sont mis en place.

Sur le fond, et au sujet des performances des élèves polynésiens, la comparaison avec les chiffres de la métropole sur une classe d'âge n'est pas très éclairante. Car, il faut savoir d'où l'on vient. L'école obligatoire ce n'est pas si ancien en Polynésie française, le premier bachelier polynésien c'était en 1965, en France cela existe depuis Napoléon ! Il faut donc relativiser.

Au sujet de la mise en place d'une dotation globale de compensation, je n'ai rien à dire. Le premier ministre Manuel Valls répond lui-même que c'est prévu mais qu'il est encore trop tôt pour la mettre en place. Et cela posera ensuite des problèmes d'organisation, car si on place tous les corps d'inspection sous la responsabilité du ministère local, comment garantir ensuite la valeur nationale des diplômes délivrés en Polynésie française ? Enfin, quand il ne restera plus à l'État que la rémunération des enseignants et l'évolution de carrière à gérer, on n'aura plus besoin du vice-rectorat. Un simple service de gestion auprès du haut commissariat suffira.

Quant à la mutualisation des moyens mise en avant, on a beaucoup avancé, il n'y a qu'à voir le nombre de conventions qui ont été signées au cours des derniers mois sur l'éducation prioritaire, l'école supérieure de l'enseignement (Espé) ou bien sur le partage de bases d'informations partagées entre le vice-rectorat et la DGEE.

Alors oui, l'une des difficultés de la convention sur l'éducation de 2007 –uniquement budgétaire et financière- est qu'elle ne délimite pas assez bien les compétences de chacun. Aussi quand les personnes s'entendent bien, ça marche bien, sinon il peut y avoir des blocages. Mais c'est justement une clarification que nous voulons atteindre pour la nouvelle convention de 2017
".

Nicole Sanquer, ministre de l'éducation de la Polynésie française
"Nous travaillons en partenariat avec l'État"


"Ce rapport de la cour des comptes vient rectifier celui sur l'éducation publié en 2014 par la chambre territoriale des comptes (CTC) qui était beaucoup plus sévère. Nous sommes satisfaits car les rédacteurs ont tenu compte des progrès effectués depuis : ainsi dans le rapport de la CTC il y avait l'énumération d'une vingtaine de recommandations, il n'y en a plus que cinq désormais et nous les approuvons. Enfin, les interrogations posées sont celles sur lesquelles nous travaillons déjà depuis un an et demi pour améliorer notre système éducatif.

Au sujet d'une dotation globale de compensation (DGC), nous nous interrogeons sur l'opportunité d'y parvenir dans la nouvelle convention de l'éducation qui est en cours de discussion avec l'État. Actuellement, nous obtenons nos financements chaque année à l'issue d'un dialogue de gestion au cours duquel nous devons apporter le bilan au sujet des moyens alloués l'année précédente et nos orientations en fonctionnement. Or, la Polynésie française subit une baisse démographique de ses effectifs scolaires : il y a donc constamment une régulation vers la baisse des dotations. Nous ne sommes pas fermés à la mise en place d'une DGC, hors masse salariale, mais il faudra d'abord étudier finement les coûts de fonctionnement et d'investissement. Avec la baisse des effectifs, les dotations en fonctionnement sont en baisse mais nous avons pu obtenir, depuis 2013, un retour de l'État sur les investissements dans les établissements du second degré, même si nous estimons que les moyens octroyés sont un encore un peu trop limités et ne sont plus ouverts sur de nouvelles constructions. Bref, nous ne sommes pas opposés à la DGC mais nous voulons une table-ronde pour discuter de la base de calcul à utiliser et mettre en avant les spécificités de la Polynésie française : un territoire éclaté, avec des collèges dispersés sur les îles, de nombreux élèves polynésiens qui subissent l'internat très jeunes et un coût très élevé des transports scolaires entre les îles.

Les discussions en cours sur cette nouvelle convention de l'éducation permettent d'aborder tout cela et nous souhaitons l'écrire ensemble, le Pays et l'État en prenant en compte l'historique et éviter de renouveler les mêmes conflits que précédemment. Aujourd'hui encore dans nos discussions, certains sujets mènent à de longs débats, mais le tout est de mettre en avant l'élève polynésien et la progression de notre système éducatif
".

Rédigé par Mireille Loubet le Mercredi 10 Février 2016 à 17:36 | Lu 3892 fois