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L'artisan de l'accord de Nouméa appelle à "réconcilier les mémoires" calédoniennes pour écrire l’avenir


OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP
OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP
Nouméa, France | AFP | mardi 20/12/2021 - Envisager d'autres scrutins d'autodétermination et réconcilier les mémoires avec "des paroles" seront nécessaires pour construire l'avenir de la Nouvelle-Calédonie après le rejet de l'indépendance au dernier référendum, explique Alain Christnacht, artisan de cet accord de décolonisation et haut-commissaire dans l'archipel de 1991 à 1994.

QUESTION - Une période de transition de 18 mois s'ouvre pour écrire une suite à l'Accord de Nouméa. Comment imaginer un statut qui permette de "concilier les antagonismes" calédoniens ?

REPONSE - Les accords de Matignon et de Nouméa ont porté des fruits: le maintien de la paix civile, le développement en partie rééquilibré entre les provinces, un partage des responsabilités politiques. Ils ne pouvaient "concilier" l'antagonisme principal, binaire, entre les partisans de l'indépendance et ceux du maintien dans la République. On s'est finalement compté – il y a plus de partisans du maintien dans la France que d'une indépendance - selon un clivage communautaire.

Pour le moment, il n'y a pas d'accord pour se mettre autour de la table et discuter de la suite. Pourtant il faut modifier ou remplacer l'accord de Nouméa qui a une durée limitée. Si l'on parvient à engager la discussion, il y a quelques orientations à respecter pour ne pas échouer à coup sûr: écouter ce que veulent les Calédoniens, sans les utiliser dans nos débats nationaux ; faire davantage reculer les inégalités ; réaffirmer que les Kanak sont le peuple premier, accueillant tous les autres ; ne pas marquer de recul majeur par rapport à la situation statutaire actuelle, tout en tenant compte du temps écoulé depuis 1998 ; définir les conditions de déclenchement et d'organisation d'autres scrutins d'autodétermination, puisque c'est un droit, sans bien sûr les multiplier.

     

Q - Après ce troisième non, sera-t-il possible de restreindre à nouveau le corps électoral, sans contrevenir aux conventions internationales ?


R - Les conventions internationales, comme la Constitution, traitent différemment deux restrictions du corps électoral tout à fait distinctes.

Restreindre les droits de citoyens à participer à l'élection des assemblées qui votent des textes qui les contraignent, par exemple par l'impôt, ce ne peut être que pour des raisons fortes. Comme actuellement, il faudrait en tout cas le prévoir dans la Constitution. 

La Cour européenne des droits de l'homme n'a accepté la restriction du corps électoral pour les assemblées de province calédoniennes, et donc le congrès, avant la révision constitutionnelle de 2007, qu'en raison de son caractère temporaire, de l'histoire troublée de la Nouvelle-Calédonie et du scrutin d'autodétermination à la fin du processus. Mais elle l'a aussi accepté, de manière permanente, pour les élections à l'assemblée de la région autonome italienne du Trentin-Haut-Adige, en soumettant à une durée de séjour de quatre ans le droit de vote en raison du particularisme linguistique de cette région germanophone. La possibilité d'une telle restriction n'est donc pas subordonnée par la Cour à l'existence d'un scrutin d'autodétermination final. 

Pour les référendums d'autodétermination eux-mêmes, l'article 53 de la Constitution permet de réserver le droit de vote aux "personnes intéressées". Même le référendum de 1987 en Nouvelle-Calédonie avait imposé une durée de séjour préalable, de trois ans, par une loi sans modification de la Constitution. Si l'on devait comme aujourd'hui dépasser cette durée, une loi constitutionnelle serait nécessaire. Les conventions internationales n'encadrent pas ces référendums comme les élections aux assemblées.

Q - En juin à Paris, l'Etat et les acteurs calédoniens sont convenus "de définir un chemin coutumier pour œuvrer à la réconciliation des mémoires". Le préambule de l'accord de Nouméa avait initié ce travail, comment aller plus loin aujourd'hui ?

R - La première partie du préambule a des formules qui ne sont pas liées au contenu de l'accord de Nouméa et pourraient baliser ce chemin, sur les "ombres" de la période coloniale, la légitimité des populations venues s'installer et qui "ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement", et aussi sur le "partage", le "rééquilibrage" et l'avenir qui doit "être le temps de l'identité, dans un destin commun".

Il existe également une intéressante charte des valeurs calédoniennes communes.

Dans ce pays de parole, les écrits ne seront pas suffisants.

Le chemin de la réconciliation des mémoires, on pourrait peut-être, après l'avoir "défini", le parcourir, par les échanges de paroles, en différents lieux de l'archipel, pour conclure entre les coutumiers kanak et les représentants des communautés et institutions, ainsi que l'Etat, une forme d'alliance solennellement renouvelée.

le Mardi 21 Décembre 2021 à 02:50 | Lu 960 fois