L'aquaculture, filière d'avenir pour Tahiti ?


TEAHUPO'O, le 15-10- 2015 - Le poisson et la crevette d'élevage se développent peu à peu à Tahiti. Un rapport de la Chambre territoriale des comptes préconise même d'augmenter la production aquacole. Actuellement, la filière reste durable car l'élevage de poissons et de crevettes n'est pas intensif. La donne pourrait pourtant changer avec le complexe aquacole de Hao.

Dès cinq heures du matin, à Teahupo'o, Patrick Ng Pao, le chef de production de la ferme aquacole Aquapac plonge dans le bassin rempli d'eau pour pêcher des crevettes. Du mardi au samedi, Patrick tire le filet à la main, le ramène au bord du bassin et remonte les crevettes avec l'aide de Momo et Yann. Aujourd'hui, ils sortiront 200 kg du bassin au fond en terre, ce qui correspond aux commandes du jour des supermarchés, restaurants et particuliers. En 2014, Aquapac produisait environ 75 tonnes. Son objectif à terme est de produire 120 tonnes à l'année. " Nous pourrons y arriver avec de nouvelles techniques de production, notamment avec des bassins en béton, et en mettant en place la surgélation. Ces techniques sont à l'étude sur notre ferme", commente le propriétaire d'Aquapac, Teva Siu.

Une fois pêchées, les crevettes sont plongées dans des bacs de glace, ce qui les tue sur le coup. Ensuite, elles sont triées à la main selon leurs calibres, conditionnées puis livrées par camion à Tahiti dans la journée. Les autres îles reçoivent les crevettes congelées par bateau. "Chaque jour, nous livrons des crevettes ultra-fraîches, encore bleues. Si elles sont un peu blanches sur les étals, ça veut dire qu'elles sont de la veille", commente Patrick Ng Pao. La crevette d'environ 20 grammes (taille moyenne) de qualité se vend à 2 200 francs environ le kilo pour les particuliers.

Au petit matin, Patrick pêche les crevettes dans les bassins d'eau salée Teahupo'o
Ce travail physique et artisanal assure la fraîcheur et la qualité de la fameuse crevette bleue de Teahupo'o, connue pour être une espèce indemne des maladies déclarées à l'organisation mondiale de la santé animale (OIE). Une situation exceptionnelle au regard des pandémies existantes, frein majeur de la production aquacole (voir encadré). Teva Siu met en garde contre les crevettes importées qui pourraient amener des maladies n'existant pas encore sur le territoire. " Nous voulons un renforcement de la législation", lance-t-il. "Un éventuel durcissement de la réglementation devrait être étudié avec les professionnels du secteur afin de rassurer les investisseurs potentiels", répond la Chambre territoriale des comptes (CTC) dans un rapport rendu public en septembre dernier.

La trentaine de bassins crevetticole de Teahupo'o et Tautira de l'entreprise ne subit donc pas de traitements antibiotiques. Les crevettes sont nourries à heure fixe, trois fois par jour, avec des granulés à base de farine de poissons et des végétaux garantis sans OGM et sans farine d'animale terrestre, provenant d'Australie. Les crustacés atteignent ainsi leur maturité à 5 mois.

Seules les crevettes commandées sont pêchées. Elles ne subissent pas de traitements antibiotiques et sont nourries avec des granulés de qualité.
400 tonnes de crevettes par an consommés

Les Polynésiens consomment environ 400 tonnes de crevettes par an, ce qui correspond à l'objectif d'ici à 2018 fixé par le rapport d'orientation budgétaire 2015 du Pays. Pour la Chambre territoriale des comptes, ce chiffre semble "ambitieux". Le principal problème, tout comme dans l'agriculture, reste l'absence de foncier disponible. Augmenter la production de crevettes "nécessiterait soit la disponibilité du foncier pour la création de nouvelle fermes, soit une parfaite maîtrise de l'élevage en cage lagonaire, soit un passage de l'élevage actuel en bassins dit "intensif" (20t/ha) à un élevage super intensif (30 t/ha) voire hyper intensif (40t/ha)." Actuellement, les bassins d'Aquapac à Tautira contiennent 100 crevettes au mètre carré, ce qui correspond à peine à 18t/ha par an. L'élevage en bassins est principalement réalisé par trois fermes : deux à Tahiti et une à Moorea. Selon la Chambre territoriale des comptes, pour contourner cette difficulté d’absence de foncier, trois autres fermes expérimentent une nouvelle technique d’élevage en cage en milieu lagonaire depuis 2012. Elles sont situées à Tikehau, Bora Bora et Toahotu.

Poissons d'élevage durable

Plus délicat à mettre en place, l'élevage de poissons pourra tout aussi bien assurer une nouvelle ressource économique pour le Pays. Après des tentatives infructueuses, la production a repris depuis 2012 avec le Paraha Peue ou platax orbicularis. Le problème reste que le taux de perte des jeunes poissons est élevé. Thomas Launay a créé Tahiti Fish Aquaculture avec Eddy Laille en 2011. "Dans les premières années, nous avons eu pas mal de soucis, car nous avons fait face à de fortes mortalités lors de la mise en cage, les poissons étaient stressés, en sortant de l'écloserie territoriale, ils arrivaient en milieu naturel et mourraient", explique le chef de production, Thomas Launay. En effet, la principale difficulté de l'élevage intervient lors de la mise en cage des alevins, moment où les taux de mortalité sont particulièrement élevés, atteignant parfois 96 %, relate le rapport de la Chambre territoriale des comptes. "La maîtrise de ce moment clé permettrait sans doute une forte augmentation de la production, car la phase de grossissement en cage semble d'ores et déjà maîtrisé," précise la CTC.

Thomas maîtrise de mieux en mieux son élevage, notamment en nourrissant les poissons avec un distributeur solaire qui délivre exactement la bonne quantité d'aliment. Quand un poisson meurt, il est sorti du bassin. Tout simplement. Thomas, qui a fait des études d'aquaculture en Australie, tient à ce que son élevage soit le plus durable possible. Il n'utilise aucun produit chimique, ni antibiotique. Les granulés pour ces poissons proviennent de France, garantis sans OGM et sans farine d'animal terrestre. Même ses cinq cages, situées à Vairao et à Teahupo'o sont en polyéthylène haute densité, un matériau recyclable. "L'idée c'est d'avoir entre 8 000 et 10 000 poissons par cage pour atteindre 20- 25 tonnes de production" commente-t-il. Afin d'éviter les infections bactériennes et les parasites, les poissons ne sont pas trop nombreux dans les cages. Chaque jour, Thomas, aidé par Sylvain et Tetui, nourrissent les poissons et s'assurent qu'ils sont en bonne santé. Pour qu'un Paraha peue soit prêt à être consommé, il faut compter environ un an d'élevage pour un poisson d'un kilo. Un travail long et rigoureux.

Tahiti Fish aquaculture n'utilise aucun produit chimique, ni antibiotique pour son élevage. Les granulés pour ces poissons proviennent de France, garantis sans OGM et sans farine d'animal terrestre.
Afin de développer l'aquaculture à Tahiti, le choix du Paraha peue est apparu comme le plus judicieux : "ce poisson-là a été choisi pour des raisons techniques et commerciales, il est très rare d'en rencontrer dans le milieu naturel et on s'est rendu compte qu'il était facile de le faire se reproduire jusqu'à une taille commerciale ", explique l'aquaculteur.

Par ailleurs, un tel poisson peut présenter des avantages pour les restaurants car l'entreprise livre exactement la taille voulue, sa chaire reste tendre et ils sont garantis sans ciguatera. Mais, tout comme les crevettes, le coût du Paraha Peue reste élevé : il coûte environ 1 750 francs le kilo. Il est revendu aux restaurants, mareyeurs, et quelques particuliers. "Vu le prix, nous fournissons un poisson de très grande qualité pour s'assurer d'avoir des acheteurs", continue Thomas. Que ça soit pour la crevette ou le poisson d'élevage, les deux aquaculteurs sont d'accord : produire à Tahiti coûte cher à cause de l'importation des aliments, des matériaux pour l'élevage ou encore l'organisation des livraisons sur les îles.

Vers un développement industriel ?

L'aquaculture (crevettes et poissons) pourrait être développée et mieux répondre à la demande des consommateurs de Polynésie. " Les marchés sont loin d'être saturés", assure la CTC.
Le projet industriel de la ferme aquacole de Hao est en cours mais les poissons sont destinés à l'exportation. "Ce projet financé par une société chinoise (Tian Rui) serait porté par une filiale de droit polynésien Tahiti Nui Ocean Foods créée le 13 octobre 2014. Les études sont encore en cours et viseraient à l’élevage en cage d’espèces locales telles que la loche saumonée, la loche marbrée, le napoléon ou encore le mérou", relève la CTC.

A Hao, l'élevage aquacole sera bien différent de ceux déjà mais en place par Tahiti Fish aquaculture et Aquapac car les poissons seront élevés en forte densité. Cette méthode pourrait "favoriser les épidémies par la concentration des poissons recherchée. En outre, il perturbe l’écosystème par l’accumulation des déjections des élevages", note la CTC. De plus, la Chambre des comptes s'interroge sur le bénéfice économique pour la Polynésie d'une telle installation industrielle. "En effet, des exonérations pourraient être accordées sur les importations de matières premières et d’équipements en provenance de Chine et des terres domaniales à Hao mises à disposition à titre gratuit pour 15 ans. Compte tenu de ces avantages, il conviendrait de porter attention aux retombées de ce projet en termes d’emploi, directs ou induits. Le Pays devrait dans ce cas particulièrement veiller à ce que les bénéfices de cette industrie ne soient pas intégralement rapatriés en Chine par la société-mère Tian Rui. "

Au final, l’aquaculture en Polynésie française pour le marché local se structure depuis plusieurs années autour de deux filières prioritaires : la filière crevetticole et l’élevage de Paraha Peue. Le projet de Hao ne devrait donc pas entrer en concurrence directe avec les entreprises locales car sa production est destinée au marché extérieur.

Les Paraha Peue sont pêchés deux fois par semaine. L'entreprise livre exactement la taille voulue de poisson, sa chaire reste tendre et ils sont garantis sans ciguatera.

"La production aquacole est particulièrement sensible aux maladies et aux conditions environnementales", selon la FAO

En 2010, la production mondiale de poisson d’élevage destinée à la consommation s’est chiffrée à 59,9 millions de tonnes, selon un rapport de l'organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur la situation des pêches et de l'aquaculture. Les poissons d'élevages sont : les crustacés, les mollusques, les amphibiens (grenouilles), les reptiles aquatiques (excepté les crocodiles) et d’autres animaux aquatiques (tels que les holothuries, les oursins, les ascidiens et les méduses).
"La production aquacole est particulièrement sensible aux maladies et aux conditions environnementales. Les épidémies qui sont apparues ces dernières années ont touché le saumon de l’Atlantique élevé au Chili, les huîtres cultivées en Europe et les élevages de crevettes de mer dans plusieurs pays d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Afrique, entraînant des pertes de production partielles, voire totales, dans certains cas", explique la FAO.
En 2010, l’aquaculture chinoise a enregistré des pertes de production de 1,7 million de tonnes provoquées par des catastrophes naturelles, des maladies et la pollution. En 2011, au Mozambique, des épidémies ont pratiquement réduit à néant la production de l’élevage de crevettes de mer, toujours selon la FAO.

Plus d'infos sur Tahiti Fish Aquaculture :
Eddy 87 74 39 74
Thomas 87 76 90 24
Sylvain 87 28 26 28

Plus d'infos sur Aquapac
40 57 16 33

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Jeudi 15 Octobre 2015 à 17:09 | Lu 4248 fois