L'apnéiste Guillaume Néry s'immerge à Moorea


Devant chez lui, Guillaume Néry peut rapidement sortir du lagon, tutoyer les profondeurs et rencontrer des tortues comme sur cette photo. Photo : DR
PAPEETE, le 26 août 2018. Le champion d’apnée Guillaume Néry vient de s’installer à Moorea. Séduit par les fonds marins polynésiens, il s’immerge quotidiennement dans le grand bleu tout en travaillant sur de nombreux projets : la création d’une marque de vêtements et un prochain film qui s’appellera « One breath around the world ».


Guillaume Néry a posé ses palmes à Moorea, à Temae. Sa maison est située au bord de la plage, en face d'une petite passe. Après quelques coups de palmes, il peut rejoindre la pente externe du récif et s'immerger en quelques secondes à 30 mètres. "J'aime bien cet accès facile à la profondeur, sans vouloir rechercher de records", confie-t-il.

En décembre 2014, les Polynésiens avaient découvert sous un autre jour les fonds marins de Rangiroa grâce à lui. Dans le film Ocean Gravity, Guillaume Néry plongeait dans un univers surréaliste, en donnant l’impression d’être en apesanteur tout en étant sous l’eau. Cette performance inédite avait été filmée par Julie Gautier, sa compagne. Dans la foulée, il réalisait pour la chanteuse Beyoncé le clip «Runnin».

Ocean gravity


Naughty Boy - Runnin' (Lose It All) ft. Beyoncé, Arrow Benjamin


Guillaume Néry est un champion français d'apnée, spécialiste de la plongée en poids constant. Il descend et remonte à la seule force des palmes. Il a battu à quatre reprises le record du monde d’apnée en profondeur et été sacré deux fois champion du monde. Photo : DR
Après huit mois passés à voyager à travers le monde en famille entre 2017 et 2018, de retour chez lui à Nice, Guillaume Néry décide de se poser et d'être au calme : "Il faut avoir l'esprit libre pour être inventif". Mais pas facile de laisser son esprit divaguer dans le tumulte métropolitain. Moorea apparaît alors comme une évidence. "Il y a des dizaines d'îles exceptionnelles en Polynésie française. Moorea était le meilleur compromis. Elle offre à la fois la proximité de Tahiti et une vie très proche de la nature".

« One breath around the world »

Au calme, mais très occupé, le détenteur à quatre reprises du record du monde d'apnée en profondeur, finalise les textes d'un livre de photos avec Franck Seguin, chef du service photo à au journal L'Équipe. Cet ouvrage complétera le film de 12 minutes "One breath around the world, une respiration autour du monde". "On a tourné ce film entre avril 2017 et juillet 2018. L'idée est de montrer de manière onirique une odyssée sous-marine. On va me voir en une seule apnée réaliser une grande traversée autour du monde où je vais passer d'un endroit à l'autre." Pour ce film, Guillaume Néry a chaussé les palmes à La Réunion, l’île Maurice, en Nouvelle-Calédonie, au Japon, aux Philippines, en Finlande…

Toujours en mouvement, Guillaume Néry conserve une discipline de vie rythmée par le sport. Arrivé il y a une dizaine de jours à Moorea, il a déjà mis en place un entraînement physique tous les matins, quand il fait encore frais : "musculation, course, paddle ou nage… » « Si je décidais de me remettre à la compétition, je n'aurais pas vraiment perdu mon niveau », insiste-t-il. « C'est un mode de vie. C'est un rapport à soi, au corps, aux éléments, à la nature, qui va bien au-delà du sport finalement. Je place l'apnée au-delà d'une discipline sportive."

Puis quand le soleil s'approche de son zénith, il travaille sur ses projets. Un des derniers défis qu'il s’est lancé a été de créer une marque de vêtement "autour de l'univers de la mer et de l'apnée", qui soit "écologique et respectueuse de environnement de A à Z". De l'origine des matériaux, aux conditions de travail des ouvriers de l'usine, au transport de la marchandise… Guillaume Néry n'a rien laissé au hasard soucieux de limiter au maximum son impact négatif sur l’environnement.

Parmi la dizaine de livres qu’il a amené dans ses valises figure Effondrement de Jared Diamond. Dans cet ouvrage, le géographe revient sur les sociétés disparues du passé (les îles de Pâques, de Pitcairn et d'Henderson ; les colonies vikings du Groenland), les sociétés fragilisées d'aujourd'hui (Rwanda, Haïti et Saint-Domingue, la Chine, le Montana et l'Australie) en passant par les sociétés qui ont su, à un moment donné, enrayer leur effondrement (la Nouvelle-Guinée, Tipokia et le Japon de l'ère Tokugawa). "Aujourd’hui, la problématique est beaucoup plus grave que simplement celle de l'état de l'océan », souligne Guillaume Néry. « C'est une problématique globale et assez grave, dont personne n'a conscience de l'état d'avancement réel. Les mesures prises aujourd'hui ne sont pas à l'échelle de la gravité de la situation."

" Arrêter de respirer me permet de me mettre dans une forme de méditation"

Guillaume Néry finalise son projet « One Breath Around The world », un film de 12 minutes qui raconte l'histoire d'un plongeur parti de Nice pour une odyssée sous-marine conçue comme une apnée unique jusqu'au Japon.Photo : DR
Beaucoup de Polynésiens pratiquent l'apnée pour la pêche sous-marine. Quels sont les points communs entre un apnéiste, comme vous, et ces pêcheurs ?
"Quand on pêche, on est en apnée, donc forcément on utilise les mêmes moyens mais la finalité est différente. L'an dernier, lors d'un stage que j'ai tenu en Polynésie française, il y avait beaucoup de chasseurs qui voulaient en savoir plus sur les techniques d'apnée pour tenir plus longtemps sous l'eau et être plus à l'aise.
La différence fondamentale entre les deux pratiques : c'est que lorsqu'on est en chasse sous-marine, l'apnée est secondaire. On est un peu obnubilé par l'envie d'attraper un poisson. Il peut donc arriver qu'on s'oublie, qu'on oublie cette sensation d'envie de respirer. C'est comme ça que les accidents arrivent. En apnée, étant donné qu'il n'y a pas de distraction extérieure, on est concentré sur les sensations, on est plus à l'écoute. Il y a beaucoup moins de danger. Ce qui m'intéresse c'est d'amener aux chasseurs cette plus grande écoute sur leur corps pour qu'ils puissent chasser en toute sécurité.
La règle fondamentale est de ne jamais chasser tout seul, que ce soit en apnée ou en chasse.

Pour pratiquer l'apnée de haut niveau, qu’es-ce qui est le plus important : le mental ou la préparation physique ?
"Les deux sont extrêmement liés mais j'ai toujours eu du mal à parler de préparation mentale. C'est presque de la psychanalyse plutôt, c'est un travail sur le long terme. C'est comprendre ce que veut dire pour soi plonger en apnée, ce qui a fait qu’on a commencé et pourquoi on continue à avoir envie de le faire. Il faut être honnête avec soi-même. Bien évidemment toute la préparation physique est ensuite indispensable. Si on a une excellente préparation mais qu'on ne plonge pas pour les bonnes raisons ou qu'on se ment à soi-même, il y a des blocages mentaux qui vont se faire."
Dépasser les 100 mètres en apnée, pour beaucoup cela est extraordinaire et est une envie folle. Que leur répondez-vous ?
"Il n'y a aucune folie. Tout est absolument réfléchi. C'est une progression qui se fait très lentement sur des années et des années. On ne va jamais brusquer ni le corps ni le mental pour réaliser des performances comme celles-ci."

Aujourd'hui le record du monde dans votre spécialité est de 130 mètres. A-t-on atteint, selon vous, la limite ?
"Non, pas encore. Il y a trois ans, en 2015, quand j'ai tenté 129 mètres, le record était à 128. Depuis le record a été battu deux fois. Depuis un mois, le record est à 130 mètres. Je suis allé à 139 mètres. Mon corps y est allé. Même si cela n'a pas été validé, je sais que c'est possible (Guillaume Néry a réalisé une plongée à 139 mètres, à la suite d'une erreur de l’organisation, alors qu’il tentait de battre pour la cinquième fois le record du monde à −129 m). Je n'étais pas prêt pour ce jour-là car je ne m'étais pas préparé pour cela. Quelqu'un jour ira à 132, 133 mètres et, pourquoi pas, à 139 mètres. »
Suite à cet accident en 2015, vous avez arrêté les compétitions. Que ressentez-vous aujourd'hui en plongeant en apnée pour le "simple plaisir" et non plus dans le but de réaliser une performance ?
« En juin, j'ai réalisé une plongée à 105 mètres à Villefranche-sur-Mer. J'ai voulu, cette année, retrouver un peu les profondeurs. Cela m'a fait beaucoup de bien. Mais je n'ai pas de manque des profondeurs.
Le besoin que j'ai au quotidien c'est d'aller m'immerger. Quand je vais me promener entre 20 et 40 mètres, je ressens des sensations fantastiques. Pour moi, il y a trois piliers dans cette discipline.
Le premier, c'est l'exploration, derrière la surface de l'eau. Le deuxième, c’est la liberté. Ici avec la visibilité extraordinaire, j'ai l'impression de voler sous l'eau. C'est la magie de l'apnée : pouvoir être libre. Le troisième, c'est la sensation d'harmonie, la connexion avec l'élément, avec la planète Terre. La planète mer devrait-on plutôt dire car quand on est au milieu du Pacifique, on a plus l'impression que c'est une planète océan qu'une planète Terre.
Arrêter de respirer me permet de calmer mes pensées, de me mettre dans une forme de méditation. »

Rédigé par Mélanie Thomas le Dimanche 26 Aout 2018 à 15:00 | Lu 26417 fois