L'allongement du délai pour avorter au cœur d'un bras de fer politique


Paris, France | AFP | mercredi 07/10/2020 - Pourra-t-on bientôt avorter jusqu'à la 14e semaine de grossesse? Si cette demande forte d'associations débattue jeudi à l'Assemblée nationale divise les praticiens, elle se retrouve également propulsée au cœur d'un bras de fer entre le gouvernement et sa majorité.

Chaque année, entre 3.000 et 4.000 femmes "hors délai" partiraient avorter à l'étranger, selon un rapport parlementaire publié en 2000. Principalement en Espagne, où l'IVG est permise jusqu'à 14 semaines de grossesse, et aux Pays-Bas (22 semaines).

L'allongement de deux semaines supplémentaires du délai légal pour avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG), issu d'une proposition de loi du groupe Ecologie Démocratie Solidarité, sera étudié dans le cadre de la "niche" parlementaire de ce groupe d'anciens marcheurs.

Porté par la députée Albane Gaillot, le texte propose également de permettre aux sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu'à la 10e semaine de grossesse et de supprimer la clause de conscience spécifique à l'IVG pour les médecins, des demandes récurrentes d'associations féministes pour garantir "un égal accès à l'IVG" sur tout le territoire.

"Ce n'est pas le texte d'un parti mais pour les droits des femmes", qui fait "consensus", avait plaidé mardi Mme Gaillot.

Si les députés LREM lui ont donné un premier feu vert en commission la semaine dernière et le patron du groupe Christophe Castaner a indiqué qu'il voterait pour, comme "un grand nombre de députés de la majorité", le gouvernement joue la prudence.

Au pays de Simone Veil, l'avortement - auquel une femme sur trois a recours au cours de sa vie - reste un sujet potentiellement explosif.

"C'est un sujet difficile, sensible, sur lequel chacun peut avoir une opinion", a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement lors du compte rendu du Conseil des ministres. 

Interrogé sur la position que défendrait le gouvernement dans l'hémicycle, Gabriel Attal a dit que l'exécutif ferait valoir une "position de sagesse", s'en remettant "à la décision des parlementaires".

Il attend en outre l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), saisi mardi par le ministre de la Santé et qui devrait être rendu avant le passage du texte au Sénat.

Prendre "un peu de temps"

"Sur ces débats de société, il vaut mieux une approche qui prenne un peu de temps plutôt que de mener tambour battant une PPL (proposition de loi)", plaide-t-on dans l'entourage d'Olivier Véran.

Car plus que le fond, c'est la méthode qui a irrité. "Le gouvernement était moyennement chaud" et "le groupe lui a un peu forcé la main", reconnaît ainsi un député LREM. Certains craignent qu'après le vote en première lecture l'exécutif temporise.

Avant l'été, médecins et associations avaient alerté sur des difficultés d'accès à l'avortement exacerbées pendant le confinement. Des députés avaient alors poussé pour allonger le délai, mais sans obtenir l'aval du gouvernement.

"J'ai l'impression que cette fois on a entendu les femmes et on a vu les fragilités", veut croire Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, sentant davantage de "soutien" sur le sujet.

Depuis la légalisation de l'avortement en France en 1975, une première extension de deux semaines a été votée en 2001.

Toutefois, du fait d'un manque de praticiens et de la fermeture progressive de centres IVG, il s'écoule souvent plusieurs semaines entre le premier rendez-vous et l'intervention.

Opposé à cet allongement, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) plaide pour que l'on "donne les moyens aux hôpitaux de recevoir les femmes en demande d'IVG en urgence, sans les faire traîner".

"On ne peut pas compenser cela en allongeant le délai car on accroit le risque du geste", a déclaré son président, le professeur Israël Nisand, sur RTL.

Mais pour le gynécologue-obstétricien Philippe Faucher, il s'agirait d'un "pas important pour les femmes précaires, les jeunes qui ne savent pas à qui en parler, les victimes de violences".

"Cette extension ne coûte pas très cher car assez peu de femmes sont concernées. Mais donner un peu plus de temps peut en soulager beaucoup", déclare-t-il à l'AFP.

Pour lui, c'est une bataille "plus idéologique que médicale".

le Mercredi 7 Octobre 2020 à 03:39 | Lu 191 fois