L'aide de l'État qui encombre Fritch


Le tribunal civil de première instance de Papeete a condamné Edouard Fritch à rembourser la somme de 148 670 Fcfp au titre du remboursement des frais de campagne des territoriales de 2018. Photo archives Tahiti Infos
Tahiti, le 3 août 2023 - Le tribunal de première instance de Papeete vient de rendre une décision qui va secouer le cocotier politique sur la question du remboursement des frais de campagne électorale par l'État. Édouard Fritch en fait les frais pour les élections territoriales de 2018 en étant condamné à verser 148 670 Fcfp à Nicole Sanquer. Mais c'est tout un système que cette décision de justice vient chambouler. Explications.
 
C'est une décision qui risque d'agiter sérieusement l'échiquier politique local mais pas seulement. Le tribunal civil de à rendu le 31 juillet dernier sa décision dans l'affaire qui opposait Nicole Sanquer à Édouard Fritch concernant le remboursement de sa participation aux frais de campagne des élections territoriales de 2018. Le tribunal a ainsi condamné l’homme fort du Tapura Huiraatira à rembourser à son ancienne colistière Nicole Sanquer “la somme de 148 670 Fcfp avec intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2022, au titre de sa quote-part du remboursement forfaitaire par l'État des dépenses électorales des candidats versé directement à Édouard Fritch”.

L’affaire semble aujourd’hui un épiphénomène. Mais ce n'est pas la somme, finalement anodine qui importe. C’est sur le fond de ce dossier que les choses se corsent. La bataille politique acharnée que se mènent l'ex-président du Pays et son ancienne ministre de l'Éducation depuis son départ du Tapura Huiraatira est en effet en train d’ouvrir une faille juridique qui pourrait avoir des répercussions tentaculaires. Pourquoi ?

Un colistier ne peut pas faire un don

Comme chacun sait, une campagne électorale, ça coûte de l'argent. Et la loi est là pour encadrer les ressources des partis politiques. Une campagne peut ainsi être financée par des dons de personnes physiques. Dans le respect des montants légaux, il n'y a pas de problème. Elle peut également être financée par les colistiers d’une liste candidate, sous forme de contributions. L’usage veut que cette participation soit variable, plus ou moins importante selon le positionnement du candidat sur la liste qui se présente aux élections. Mais surtout, un colistier ne peut pas être donateur. Le code électoral est clair sur ce point. La contribution est ainsi un prêt et il doit être remboursé.

Dans le cas d'espèce, Nicole Sanquer avait versé la somme d'un million de francs en février 2018 pour participer aux frais de campagne des territoriales des 22 avril et 6 mai 2018. En octobre de cette même année, elle a reçu 662 000 Fcfp de la part du mandataire financier du Tapura avant la validation des frais de campagne. Cette somme correspondait en fait à un excédent du compte de campagne provenant des apports personnels des candidats-colistiers. Le parti n'a pas le droit d'utiliser cet excédent et doit le redistribuer au prorata des contributions faites par les colistiers. Ce qu'a donc fait le mandataire financier, “à juste titre” comme le relève le jugement du tribunal de première instance. En fait, la participation réelle de Nicole Sanquer aux frais de campagne de 2018 “a concrètement été de 337 886 Fcfp”.

Quid des 14,4 millions reçus de l'État par Fritch

Intervient ensuite la deuxième étape, autrement dit la part versée par l'État au titre du remboursement des frais de campagne. À la suite de la validation du compte de campagne du Tapura, le mandataire financier ayant cessé ses fonctions de plein droit trois mois après le dépôt du compte, c'est la tête de liste du parti – Édouard Fritch en l'occurrence –, qui s’est trouvé destinataire du versement fait à ce titre par l'État. Cette somme correspond à 47,5% du plafond règlementaire de dépense – fixé à 30,4 millions de Fcfp – et à 44% des dépenses réelles qui se sont élevées à 32,6 millions de Fcfp. Édouard Fritch a donc reçu la somme de 14,4 millions sur son compte personnel avec la charge de la redistribuer équitablement à chacun de ses colistiers contributeurs.

Le juge du tribunal civil de Papeete a tout simplement fait une règle de trois : un million – 662 114 = 337 886 fcfp, ce qui entraîne un remboursement de 337 886 francs x 44% = 148 670 francs. C'est donc cette somme qu'Édouard Fritch est condamné à payer à Nicole Sanquer, le tribunal ayant statué que le fait de conserver ce remboursement forfaitaire sur son compte personnel “constitue sans nul doute un enrichissement de son patrimoine, dénué de toute cause”

Certes, 148 000 francs sur 14,4 millions, cela représente une goutte d'eau. Mais quid du reste de cette somme. Dans la pratique, il y a un système de vases communicants. Les sommes remboursées aux colistiers sont redonnées au parti. Mais en aucun cas la tête de liste destinataire du remboursement forfaitaire de l'État ne peut directement la verser au parti. Par ailleurs, force est de constater que parfois, le bénéficiaire du remboursement garde tout pour lui. Comme nous l'a raconté une élue communale : “Par exemple, aux élections communales, le maire qui mettait 200 000 francs pour faire sa campagne, demandait la même somme à 9 adjoints ? Et au final, il est parti en voyage avec ces deux millions.” Mais personne n'osait s'en offusquer au risque de perdre sa place au conseil municipal, et donc ses émoluments.

Du civil au pénal

Pour en revenir au cas d’Édouard Fritch, “a-t-il remboursé tous les colistiers ? Dans mon cas, c'était non et je sais que pour d'autres aussi. À l'inverse, certains colistiers n'auraient-ils pas finalement bénéficié d'un remboursement supérieur à leur participation ?”, s'interroge aujourd’hui Nicole Sanquer qui ne compte pas s'arrêter là. Elle envisage dorénavant de porter l'affaire au pénal : “Je vais saisir le procureur avec cette décision du tribunal pour qu'une enquête soit menée sur l'utilisation de ces fameux 14 millions et pour voir si les règles du code électoral ont été respectées”, a-t-elle expliqué à Tahiti Infos.

Une chose est sûre en tout cas, cette aide de l'État plutôt salutaire au départ, devient un gros caillou dans la chaussure d'Édouard Fritch. Cette décision de justice pourrait en effet encourager d'autres colistiers à emboiter le pas de Nicole Sanquer. D'autant que le Tapura ayant perdu les dernières élections territoriales, ils sont quelques-uns à avoir quitté le navire de gré ou de force. Contexte qui risque de les encourager à venir demander des comptes. Quant aux autres partis, ils seraient peut-être avisés de plonger très sérieusement le nez dans leurs comptes.

Édouard Fritch remboursera Nicole Sanquer
 
Dans un communiqué publié jeudi soir, le président du parti Tapura huiraatira, Édouard Fritch, dit prendre acte de la décision de justice rendue cette semaine et remboursera “à celle qui fut, dans un passé très récent, portée à l'Assemblée nationale par le Tapura”, la somme de 148 670 francs.

Précisant qu'il “est convaincu de n'avoir volé personne”, Édouard Fritch déplore cependant la forme de la procédure engagée qui n'est autre que “de petits règlements de comptes entre anciens compagnons de route autonomistes qui auraient pu se régler il y a déjà bien longtemps”.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Jeudi 3 Aout 2023 à 18:36 | Lu 8368 fois