Tahiti, le 3 octobre 2024 - À l’heure où la transition alimentaire s’annonce ou, tout au moins, fait débat, tous les travaux, études et leurs conclusions sont d’intérêt. L’ouvrage d’Anthony Tchekemian intitulé “L'agriculture tropicale en milieu insulaire, entre tradition et innovation”, paru au Presses universitaires des Antilles, est une source de plus pour nourrir la réflexion.
Il a travaillé à son niveau et “en toute humilité”, insiste-t-il. Anthony Tcheckemian est l’auteur d’une étude sur l’agriculture en Polynésie. Intitulée L'agriculture tropicale en milieu insulaire, entre tradition et innovation, elle est parue aux Presses universitaires des Antilles. Une maison d’édition “rigoureuse” et “exigeante”, dévolue à la valorisation des publications scientifiques.
Anthony Tchekemian est maître de conférences, habilité à diriger des recherches en géographie et urbanisme à l’université de la Polynésie française. L’étude est née d’un constat : celui d’une forte prévalence de problèmes de santé en lien avec l’alimentation sur le territoire. “J’ai regardé la composition des assiettes et me suis interrogé sur ce qui était produit ici.” L'objectif était de savoir si les activités agricoles polynésiennes pouvaient assurer une production et un approvisionnement régulier en produits locaux, à des prix supportables, tout en répondant aux attentes des consommateurs en termes de diversité et de qualité de l’offre, complétées par des produits importés.
Les défis en contexte insulaire et mondial
Il a choisi neuf terrains d’études à Nuku Hiva, Rangiroa, Taha’a, Moorea, Tahiti et Rurutu et a lu et compilé les données du recensement agricole et des bulletins statistiques. Les terrains ont été retenus en fonction de leur spécificité et particularité qui, associés, illustrent la diversité des problématiques agricoles et permettent de poser un diagnostic, non-exhaustif, des capacités et du potentiel de l’agriculture polynésienne. Ces différents terrains mettent en évidence une grande diversité et richesse de productions agricole et artisanales. Ils mettent en évidence, également, les défis de l’agriculture polynésienne dans un contexte insulaire et mondial.
En Polynésie française, les trois derniers siècles sont symptomatiques de l’évolution d’une économie de comptoir à une économie mixte, conduisant à une grande dépendance à l’importation, et l’abandon de l’autosuffisance. L’agriculture polynésienne, encore largement pratiquée dans de petites exploitations artisanales et familiales, est dominée par la polyculture. Avec un taux de moins de 10% de la population active totale, l’agriculture ne fournit que 1% du chiffre d’affaires déclaré par les entreprises polynésiennes.
En outre, sur l'ensemble de la Polynésie française, le secteur agricole pâtit du manque de terres cultivables, en raison des reliefs difficiles, mais aussi de la pauvreté des sols, de l'indivision foncière “et, ne l’oublions pas, d'un léger manque de structuration des filières qui favorisent l’écoulement de la production hors des circuits de commercialisation”.
Un territoire hétérogène
À l'échelle de l'ensemble de la Polynésie française, qui n'est en rien un territoire homogène, ne serait-ce que d'un point de vu climatique, topographique, démographique, Anthony Tchekemian constate que l’archipel de la Société (qui est la principale zone de peuplement) compte le plus grand nombre d’exploitations (environ 60%) réparties sur seulement 12% de la surface agricole utile (SAU), et concentre 70% de la production agricole commercialisée. Les autres archipels ont une agriculture plus spécialisée. La production agricole polynésienne est composée à 69% de produits végétaux (dont le coprah) et à 31% de produits animaux (notamment des œufs de Tahiti).
L’agriculture polynésienne ne répond que partiellement à la demande du marché intérieur. Elle manque de produits issus de l’élevage, notamment en lait et viande, ainsi qu’en fruits et légumes, bien qu’elle tende vers une autosuffisance en œufs. Le recours aux importations reste nécessaire. Pour ce faire, ce recours est encadré dans nombre de cas par des quotas destinés à protéger la production locale. Le coût des annuel des importations agricoles s’élève à 42,5 milliards de francs CFP (ce qui représente plus de 80% de la consommation en produits agricoles sur le territoire), principalement en provenance de France métropolitaine, des États-Unis, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Les deux-tiers des fruits et un quart des légumes consommés au fenua seraient acquis hors du circuit monétaire : l’autoconsommation est estimée à 18 milliards de francs CFP.
Ainsi, la fiscalité (par exemple, l’octroi de mer) favorise les importations au détriment des productions locales, qui en retour doivent être aidées pour survivre avec les recettes tirées du même octroi. Il s'agit-là d'un paradoxe favorisant les importations, les prix élevés, mais qui défavorise l’agriculture locale (subventionnée, donc qui a un coût et qui ne constitue pas un apport pour les finances territoriales : ainsi, l’autoproduction est en baisse et les importations en hausse.
Or les nécessités d’une agriculture durable et d’une autosuffisance alimentaire ont relancé l’intérêt pour l’agriculture, mais quelles stratégies mettre en place ? “À mon sens, l'agriculture polynésienne évolue à la fois vers des modèles locaux, traditionnels, innovants, de qualité.” Des spécificités agricoles font émerger des produits phares, emblématiques, constituant des “ressources territoriales”, issues d’activités différentes : fromage, charcuterie, jus de fruits, vin, rhum, huile, vannerie... D'ailleurs, des productions d’excellence, telles que la perle, la vanille, le monoï, le vin, la distillerie, bénéficient de labels (AOP, IGP, AB) et ont été primées à l’occasion de salons internationaux.
Au-delà d’une exploitation extensive, l’agriculture biologique est de plus en plus pratiquée par les exploitants, qui cherchent à satisfaire la demande des consommateurs en produits sains (frais ou transformés). Cette agriculture biologique est toujours en progression (elle représente environ 265 hectares). Cette orientation s’accompagne de pratiques et activités éthiques, plus respectueuses de l’environnement (agriculture raisonnée, agroécologie, permaculture, etc.) est liée à une prise de conscience des professionnels du milieu agricole (réduction des intrants chimiques, bien-être animal). “Toutefois, tous les ménages ne peuvent pas se permettre d’acheter des produits labellisés, en raison de leur coût plus élevé. Ainsi, une augmentation des parcelles en agriculture biologique permettrait d’en réduire les coûts, afin que les consommateurs puissent se tourner vers des produits frais, locaux, de bonne qualité.”
Pour en savoir plus, l’ouvrage est disponible à la librairie Odyssey et peut être commandé en ligne. Deux autres études seront bientôt éditées, toujours aux Presses universitaires des Antilles, sur l’obésité en lien avec l’alimentation et le mode de vie puis sur l’aspects social des jardins partagés.
Il a travaillé à son niveau et “en toute humilité”, insiste-t-il. Anthony Tcheckemian est l’auteur d’une étude sur l’agriculture en Polynésie. Intitulée L'agriculture tropicale en milieu insulaire, entre tradition et innovation, elle est parue aux Presses universitaires des Antilles. Une maison d’édition “rigoureuse” et “exigeante”, dévolue à la valorisation des publications scientifiques.
Anthony Tchekemian est maître de conférences, habilité à diriger des recherches en géographie et urbanisme à l’université de la Polynésie française. L’étude est née d’un constat : celui d’une forte prévalence de problèmes de santé en lien avec l’alimentation sur le territoire. “J’ai regardé la composition des assiettes et me suis interrogé sur ce qui était produit ici.” L'objectif était de savoir si les activités agricoles polynésiennes pouvaient assurer une production et un approvisionnement régulier en produits locaux, à des prix supportables, tout en répondant aux attentes des consommateurs en termes de diversité et de qualité de l’offre, complétées par des produits importés.
Les défis en contexte insulaire et mondial
Il a choisi neuf terrains d’études à Nuku Hiva, Rangiroa, Taha’a, Moorea, Tahiti et Rurutu et a lu et compilé les données du recensement agricole et des bulletins statistiques. Les terrains ont été retenus en fonction de leur spécificité et particularité qui, associés, illustrent la diversité des problématiques agricoles et permettent de poser un diagnostic, non-exhaustif, des capacités et du potentiel de l’agriculture polynésienne. Ces différents terrains mettent en évidence une grande diversité et richesse de productions agricole et artisanales. Ils mettent en évidence, également, les défis de l’agriculture polynésienne dans un contexte insulaire et mondial.
En Polynésie française, les trois derniers siècles sont symptomatiques de l’évolution d’une économie de comptoir à une économie mixte, conduisant à une grande dépendance à l’importation, et l’abandon de l’autosuffisance. L’agriculture polynésienne, encore largement pratiquée dans de petites exploitations artisanales et familiales, est dominée par la polyculture. Avec un taux de moins de 10% de la population active totale, l’agriculture ne fournit que 1% du chiffre d’affaires déclaré par les entreprises polynésiennes.
En outre, sur l'ensemble de la Polynésie française, le secteur agricole pâtit du manque de terres cultivables, en raison des reliefs difficiles, mais aussi de la pauvreté des sols, de l'indivision foncière “et, ne l’oublions pas, d'un léger manque de structuration des filières qui favorisent l’écoulement de la production hors des circuits de commercialisation”.
Un territoire hétérogène
À l'échelle de l'ensemble de la Polynésie française, qui n'est en rien un territoire homogène, ne serait-ce que d'un point de vu climatique, topographique, démographique, Anthony Tchekemian constate que l’archipel de la Société (qui est la principale zone de peuplement) compte le plus grand nombre d’exploitations (environ 60%) réparties sur seulement 12% de la surface agricole utile (SAU), et concentre 70% de la production agricole commercialisée. Les autres archipels ont une agriculture plus spécialisée. La production agricole polynésienne est composée à 69% de produits végétaux (dont le coprah) et à 31% de produits animaux (notamment des œufs de Tahiti).
L’agriculture polynésienne ne répond que partiellement à la demande du marché intérieur. Elle manque de produits issus de l’élevage, notamment en lait et viande, ainsi qu’en fruits et légumes, bien qu’elle tende vers une autosuffisance en œufs. Le recours aux importations reste nécessaire. Pour ce faire, ce recours est encadré dans nombre de cas par des quotas destinés à protéger la production locale. Le coût des annuel des importations agricoles s’élève à 42,5 milliards de francs CFP (ce qui représente plus de 80% de la consommation en produits agricoles sur le territoire), principalement en provenance de France métropolitaine, des États-Unis, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Les deux-tiers des fruits et un quart des légumes consommés au fenua seraient acquis hors du circuit monétaire : l’autoconsommation est estimée à 18 milliards de francs CFP.
Ainsi, la fiscalité (par exemple, l’octroi de mer) favorise les importations au détriment des productions locales, qui en retour doivent être aidées pour survivre avec les recettes tirées du même octroi. Il s'agit-là d'un paradoxe favorisant les importations, les prix élevés, mais qui défavorise l’agriculture locale (subventionnée, donc qui a un coût et qui ne constitue pas un apport pour les finances territoriales : ainsi, l’autoproduction est en baisse et les importations en hausse.
Or les nécessités d’une agriculture durable et d’une autosuffisance alimentaire ont relancé l’intérêt pour l’agriculture, mais quelles stratégies mettre en place ? “À mon sens, l'agriculture polynésienne évolue à la fois vers des modèles locaux, traditionnels, innovants, de qualité.” Des spécificités agricoles font émerger des produits phares, emblématiques, constituant des “ressources territoriales”, issues d’activités différentes : fromage, charcuterie, jus de fruits, vin, rhum, huile, vannerie... D'ailleurs, des productions d’excellence, telles que la perle, la vanille, le monoï, le vin, la distillerie, bénéficient de labels (AOP, IGP, AB) et ont été primées à l’occasion de salons internationaux.
Au-delà d’une exploitation extensive, l’agriculture biologique est de plus en plus pratiquée par les exploitants, qui cherchent à satisfaire la demande des consommateurs en produits sains (frais ou transformés). Cette agriculture biologique est toujours en progression (elle représente environ 265 hectares). Cette orientation s’accompagne de pratiques et activités éthiques, plus respectueuses de l’environnement (agriculture raisonnée, agroécologie, permaculture, etc.) est liée à une prise de conscience des professionnels du milieu agricole (réduction des intrants chimiques, bien-être animal). “Toutefois, tous les ménages ne peuvent pas se permettre d’acheter des produits labellisés, en raison de leur coût plus élevé. Ainsi, une augmentation des parcelles en agriculture biologique permettrait d’en réduire les coûts, afin que les consommateurs puissent se tourner vers des produits frais, locaux, de bonne qualité.”
Pour en savoir plus, l’ouvrage est disponible à la librairie Odyssey et peut être commandé en ligne. Deux autres études seront bientôt éditées, toujours aux Presses universitaires des Antilles, sur l’obésité en lien avec l’alimentation et le mode de vie puis sur l’aspects social des jardins partagés.