L'agriculture au cœur du développement de Ua Pou


Ua Pou - 14 janvier 2016 - La coopérative Te pa pohue o Ua Pou représente 50 % de la production agricole de l'île. Mangues, citrons, pamplemousses, caramboles, on y trouve de tout. Chaque passage de l'Aranui 5 est l'occasion pour les agriculteurs de vendre leur production au village et de l'envoyer à Tahiti.

" Le Marquisien fait d'abord de l'agriculture pour manger, ensuite le reste pourra être vendue". Elisabeth Ah-Scha pose là les fondements de l'agriculture aux Marquises. Présidente de la coopérative agricole Te pa pohue o Ua Pou, elle a su faire du travail de la terre une activité rentable, au-delà de l'autoconsommation.

Devant chaque maison des villages de l'île de Ua Pou, se trouve toujours un pied de 'uru, un manguier et un citronnier, des cocos et des bananes. De quoi bien vivre tout au long de l'année. Pendant longtemps l'île de Ua Pou se satisfaisait de cela. Les familles faisaient du troc : un carton de poulet contre des citrons ou du riz contre des mangues.

En 2010, la commercialisation a commencé avec une petite quantité. "Moi je ne vivais pas comme ça, avec le troc, car j'étais fonctionnaire d'Etat, je me suis dit qu'il fallait que je me prépare ma retraite", se souvient Elisabeth. Son mari, Joseph Ah-Scha, élu Taoheraa à l'Assemblée, possédait un terrain de 80 hectares légué par sa famille. A l'époque, en 90, il était encore enseignant avec sa femme et à chaque vacances, le couple venait planter leur fa'apu. Puis la société américaine Morinda s'est mise à acheter du noni en grande quantité. Elisabeth voit là l'opportunité de faire fructifier son exploitation : " je me suis dit : c'est de l'argent facile car le noni se cultive bien. Au bout d'un an tu récoltes, ça va vite, je me suis donc mis à planter du noni et le commercialiser, puis ensuite j'ai commercialisé des citronniers …". La dame de 59 ans est à la retraite et se consacre exclusivement au développement de son fa'apu à hoho'i et de la coopérative mise en place en 2008. Aujourd'hui, la production de noni continue, la coopérative a envoyé près de 300 tonnes sur l'Aranui 5 lors de son dernier passage en décembre.

Une économie tournée vers l'Aranui 5

Deux autres coopératives officient à Ua Pou mais elles sont moins conséquentes. Celle d'Elisabeth Ah-Scha, Te pa pohue o Ua Pou existe depuis 2008, elle regroupe désormais 80 agriculteurs dont 6 "gros" exploitants c’est-à-dire qui ont plus de 2 ou 3 hectares de terres. La concurrence n'inquiète pas Elisabeth : " c'est l'abondance, à Ua Pou, il y a toujours eu cette abondance."

Les mangues, les citrons et les pamplemousses sont très demandées par les acheteurs de Papeete. Alors la présidente demande à ses agriculteurs de planter. A Ua Pou, tout se cultive sans pesticides. " On travaille à l'aventure. Les vieux se sont toujours dit, plus j'aurais un arbre grand, plus j'aurais des fruits. L'agriculteur, le Marquisien si son pied ne produit pas, il ne s'inquiète pas", explique Tekohi, le fils d'Elisabeth, qui travaille au service de développement rurale (SDR). "Comme nos agriculteurs n'ont pas fait d'études, autant rester comme ça. Nos terres sont riches, on fait avec", affirme cette femme de fort caractère. En moyenne 15 à 20 tonnes par voyage sont chargés sur chaque voyage de l'Aranui 5 pour les trois coopératives de l'île. Celle d'Elizabeth comptabilise à près deux millions de chiffres d'affaires par voyage. Ensuite, l'argent de la coopérative est redistribué aux membres. Par exemple, sur 200 francs le kilo de citrons acheté à l'agriculteur (chiffre non officiel), 10 % vont à la coopérative et il revient 180 francs le kilo à l'exploitant.

Le miel des Marquises

Indemnes de maladie, les abeilles marquisiennes pourraient s'avérer être très productive. Dix ruches ont déjà été installées dans chaque vallée de Ua Pou. Deux agriculteurs par vallée, sélectionnés par la coopérative, travaillent avec les abeilles. Elisabeth espère encore agrandir le cheptel et mettre en place une miellerie, elle a demandé au Pays d'obtenir celle d'Atuona mais le projet n'a pas abouti. Jamais à court d'idées et plutôt entêtée, Elisabeth va présenter son propre projet de miellerie au gouvernement qui lui coûtera 5 à 6 millions de francs. Elle attend 4 millions des fonds publics. Et pour qu'à long terme son projet coût moins cher, elle achètera également du matériel pour fabriquer les ruches.

Avec une telle énergie, Elisabeth ne se fait pas que des amis. Ceux qui "trépignent" elle n'en veut pas dans sa coopérative. "Il faut pousser les gens, changer de mentalité. Dans cette affaire-là, je ne gagne pas mais j'aime bien car je vis. Je travaille aussi à mon entreprise, je montre l'exemple" continue-t-elle. La dame s'est " toujours débrouillée toute seule. " " J'ai été très pauvre, je me suis dit que l'argent ne se jette pas les fenêtres. C'est pourquoi j'ai investi", se plaît-elle à dire. Sa mère est décédée quand elle avait 14 ans, elle a été alors obligée de travailler pour aider ses huit frères et sœurs. Elle devient enseignante et en 77 rencontre son mari, également enseignant.

Elle est fière de dire qu'aujourd'hui son fils vit avec sa famille sur les rentes de l'exploitation. "A chaque Aranui, il a un salaire comme les autres agriculteurs". Lors du passage de l'Aranui 5, la pesée des fruits se passe en début de semaine puis le navire embarque les denrées et enfin, les comptes "sont faits rapidement" pour que l'agriculteur puisse avoir son argent. Le chiffre d'affaires annuel de la coopérative tourne autour de 25 à 30 millions de francs par an, la structure fait un bénéfice net de 6 millions de francs. " Nous sommes partis de rien, nous avons dû acheter un frigo, un congélateur, 15 000 bocaux …", se souvient-elle. Des produits transformés comme de la confiture ou des sirops sont également vendus dans le hangar de la coopérative. Actuellement chacun transforme ses fruits et ses légumes dans sa maison mais la présidente espère bien installer une petite unité de transformation à Hakahau.

Sur les autres îles des Marquises, ce sont également des femmes qui tiennent les coopératives agricoles, indique Elisabeth. "La marquisienne elle fait tout, même le travail des hommes. Les hommes sont parfois des fainéants, c'est pour ça que la femme est révoltante et dynamique. Il faut changer, aller de l'avant ! ", conclut-elle.

Noémie Debot-Ducloyer


Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Jeudi 14 Janvier 2016 à 09:48 | Lu 1970 fois