L'Intelligence artificielle pour optimiser la production photovoltaïque


Vateanui Sansine à soutenu sa thèse le 27 février dernier à l'UPF.
Tahiti, le 2 mars 2023 - Une thèse de météorologie, soutenue fin février dernier par Vateanui Sansine, vise à améliorer la gestion de l'énergie photovoltaïque à l'aide de prévisions d'ensoleillement localisées et précises réalisées grâce à des intelligences artificielles. Cette thèse s'inscrit dans le cadre d'une expérience inédite d'un micro-réseau autonome renouvelable permettant d'alimenter un bâtiment à la fois en électricité et en climatisation.
 
La Polynésie française est encore très dépendante aux énergies fossiles. Un peu plus du tiers seulement de l'électricité qu'elle produit provient d'énergies renouvelables, en grande partie d'origine hydroélectrique. Le Pays s'étant fixé l'objectif de 75% d'énergies renouvelables en 2030 et les perspectives de développement de nouveaux barrages semblant limitées, l'avenir énergétique du fenua, pour lequel 7 milliards de Fcfp viennent d'être alloués par l’État, pourrait paraître pencher du côté de l'énergie photovoltaïque.
 
Mais, la ressource solaire est par nature intermittente. Pour lisser la production d'énergie solaire, l'usage actuel est de coupler aux panneaux solaires des générateurs pour prendre le relai ainsi que des systèmes de stockage électrique, ce qui entraîne un surplus de coût et de maintenance. De plus, les batteries électrochimiques ont des durées de vie limitées et posent des problèmes de recyclage, particulièrement en Polynésie française. Une bonne prévision de l'ensoleillement à l'échelle des fermes solaires pourrait donc permettre d'améliorer la gestion de la variabilité de l'énergie solaire, d'en augmenter l'efficacité et d'en réduire les coûts.

Le développement d'un modèle de prévision fiable et à petite échelle de l'ensoleillement était ainsi l'objet d'une thèse soutenue par Vateanui Sansine lundi 27 février à l'Inspe sur le campus de Outumaoro. Le travail du jeune docteur en météorologie, originaire de Faa'a, a consisté à optimiser les prévisions de la ressource solaire au service d'un micro-réseau expérimental de “cogénération intelligente d'électricité et de froid” répondant au nom de Recif (voir notre encadré).

Temps incompressible

L'électrolyseur utilisée pour l'expérience du micro-réseau Recif à l'UPF.
Ce micro-réseau utilise, en complément des panneaux solaires, une pile à hydrogène, moins polluante qu'une batterie classique. C'est la première de ce genre au fenua. Cette pile a, cependant, des besoins énergétiques précis. “Si on l'active, elle doit être alimentée en électricité pendant au moins une heure”, explique Vateanui Sansine. “Il nous faut donc la garantie que l'énergie photovoltaïque sera disponible pendant ce temps incompressible, a minima.” Le système a donc besoin d'une prévision météo la plus précise possible à court et moyen terme, dans son environnement immédiat, pour anticiper les actions nécessaires pour que le réseau soit le plus autonome possible, en l’occurrence le campus de l'Université où est hébergé le micro-réseau sur lequel il a travaillé.
 
Les modèles de prévision météorologique existants n'ont pas été pensés pour avoir l'efficacité nécessaire à une si petite échelle de temps et d'espace. Le doctorant a donc eu recours à des modèles d'intelligence artificielle pour ses prédictions d'ensoleillement. “On a collecté un grand nombre de données météorologiques sur site, puisqu'on a les instruments pour le faire sur place. Grâce à ces données, on a entraîné différents types de cerveaux artificiels pour nous donner une indication sur le niveau d'ensoleillement dans une heure, ou dans une journée”, explique-t-il.
 
Plusieurs modèles de réseaux neuronaux artificiels, pas vraiment conçus à l'origine en vue de la prévision météo, ont été entraînés lors des quatre années qu'a duré sa thèse. Que ce soit dans les prévisions à court ou à moyen termes, c'est à chaque fois une hybridation de plusieurs modèles qui donne les meilleurs résultats. Des résultats supérieurs, pour l'environnement immédiat du réseau Recif, aux modèles numériques actuels. Ces résultats sont cependant directement dépendants de la qualité et de la quantité de données qui sont fournies aux IA. “Il faut les nourrir de données météo, ce sont des IA data-driven, orientées par les données. C'est à partir de ces données qu'elles sont capables de faire des prévisions. Elles utilisent les données du moment et elles élaborent, en se référant à leur base de données, le scénario le plus probable pour la suite”, détaille le jeune chercheur.
 
Diplômé de physique nucléaire à Paris-Saclay, celui qui était à l'origine ingénieur pour un accélérateur de particule et qui est revenu au fenua en 2019 pour entamer son travail de thèse, pense que ses modèles de prévision par I.A. peuvent améliorer la gestion des fermes solaires, de leurs ressources et de leurs systèmes de back-up, à condition, justement que les mesures météorologiques soient au rendez-vous. “Si on a un bon réseau de mesures, il n'y a pas de raison que les IA ne puissent aider les fournisseurs d'énergie à l'échelle de l'île de Tahiti. Elles pourraient apporter une amélioration significative dans la gestion des ressources par rapport aux prévisions météo actuelles. En général, les modèles de prévision météorologiques numériques n'ont pas la précision nécessaire à l'échelle d'une ferme solaire.”

​Recif, c’est quoi

Pascal Ortega, professeur en physique, coordinateur du projet, Vateanui Sansine, docteur en météorologie, Fabien Harel, ingénieur de recherche de l'Université Gustave Eiffel détaché au laboratoire FEMTO-ST (Belfort).
Le micro-réseau expérimental Recif, élaboré conjointement par les laboratoires FEMTO-ST de Belfort et Promes de Perpignan et Gepasud de l'Université de la Polynésie française, coordonné par Pascal Ortega, professeur en physique à l'UPF, est un système hybride de génération autonome d'électricité et de froid. Il utilise de l'énergie solaire couplée à un système hydrogène pour la partie électrique et une pompe à chaleur ainsi qu'un réacteur thermochimique pour générer et stocker du froid.
 
Quand l'ensoleillement est suffisant, le surplus généré par les panneaux solaires peut servir à générer de l'hydrogène, via un électrolyseur (qui sépare des molécules d'eau en molécules de dihydrogène d'un côté et d'oxygène de l'autre). Cet hydrogène est ensuite stocké et servira de carburant pour une pile à hydrogène, spécialement conçue par la compagnie H2SYS, qui fera le processus inverse, générant de l'eau et, surtout, de l'électricité pour prendre le relai du photovoltaïque la nuit ou en cas d'ensoleillement insuffisant. Le système est ainsi en vase clos, l'eau générée par la pile pouvant être réutilisée par l'électrolyseur.
 
Ce système à hydrogène génère également beaucoup de chaleur. La pompe à chaleur peut alors être activée pour climatiser ou pour réfrigérer. Elle est couplée, dans ce réseau expérimental, à un réacteur thermochimique qui utilise les propriétés de l’ammoniac gazeux pour stocker du froid qui pourra être utilisé selon les besoins.
 
Hébergé au sein du campus, ce double système expérimental est complètement déconnecté du réseau électrique. Il est dimensionné, pour le moment, à l'échelle d'un petit bâtiment ou d'un bungalow et vise à en assurer une autonomie à la fois dans ces besoins électriques et en climatisation.
 
La thèse de Vateanui Sansine doit permettre d'anticiper l'utilisation des différents composants du système : “Ce sont des appareils qu'on ne peut pas arrêter instantanément, une fois qu'ils sont lancés, explique Pascal Ortega. Il faut pouvoir anticiper, planifier. On a besoin d'informations sur l'heure qui vient pour pouvoir prendre les bonnes décisions : Est-ce qu'on fait tourner l'électrolyseur ? Est-ce qu'on utilise la pompe à chaleur pour refroidir ou le stockage de froid ? Si on sait que le matin, il va faire beau mais qu'il pleuvra dans l'après-midi, on utilisera le solaire au maximum le matin ; on fera tourner l'électrolyseur pour stocker de l'hydrogène et fera fonctionner la pompe à chaleur. L'après-midi, on pourra ainsi utiliser la pile et le froid stocké.”
 
L'avenir est probablement à la micro-gestion de l'énergie, plutôt que d'avoir un flot ininterrompu d’énergie constante, on peut s'adapter aux besoins réels des consommateurs et aux conditions météo. La gestion de la consommation est clé”, conclut le chercheur.

Rédigé par Antoine Launey le Jeudi 2 Mars 2023 à 15:01 | Lu 3146 fois