Tobias Schwarz / AFP
Paris, France | AFP | mercredi 06/12/2022 - Sofie de Rous est la première à le reconnaître: avant cette année, c'était un peu Versailles chez elle, une petite maison de la côte belge, souvent chauffée à 21°C: "J'avoue, j'aime bien les maisons bien chaudes".
Mais comme des millions d'Européens, cette communicante de 41 ans dans une agence d'architecture a vu sa facture monter en flèche à partir du printemps, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, avec la fermeture progressive des gazoducs russes vers l'Europe.
Les cours du gaz ont bondi, bouleversant les marchés mondiaux, avec une conséquence très concrète et très chère: l'Europe et l'Asie surenchérissent pour s'arracher des cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL) produit aux Etats-Unis, au Qatar ou ailleurs.
Et si des pays comme l'Espagne et la France ont gelé les tarifs pour les consommateurs, d'autres comme la Belgique ont plus ou moins laissé les fournisseurs répercuter la hausse sur leurs clients.
"J'ai un peu paniqué", raconte Sofie, propriétaire de sa maison mal isolée de 90 mètres carrés à Oostduinkerke, chauffée par une chaudière au gaz. Elle payait 120 euros par mois avant la guerre pour gaz et électricité: sa facture est passée à 330 euros.
A la réflexion, elle ne regrette pas cette "prise de conscience". Aujourd'hui elle surveille sa consommation, chauffe à 18°C, et se renseigne pour installer panneaux solaires et double vitrage...
Comme Sofie, une nouvelle génération de Belges, de Français ou d'Italiens a perdu en 2022 son insouciance énergétique et appris à surveiller ses radiateurs. Dans l'ancien monde, le gaz était abondant et pas cher. Son prix de référence sur le marché européen variait peu, autour de 20 euros le mégawattheure. Cette année, il est monté jusqu'à 300 avant de retomber vers 100 euros...
"Je n'ai jamais connu de période aussi chaotique", confie à l'AFP Graham Freedman, analyste au cabinet Wood Mackenzie, qui ausculte depuis 40 ans le marché du gaz naturel.
Réductions "extrêmes"
A cause des prix fous, des usines, dans la chimie allemande surtout, biberonnées au gaz de l'est depuis l'époque soviétique, ont dû s'arrêter. Pour autant les réserves européennes ont pu être remplies à ras bord l'été avec les derniers mètres cube de gaz russe, et personne n'a subi de coupure.
"Jusqu'à février, l'idée même que l'Europe s'en sorte sans énergie russe paraissait impossible", se souvient Simone Tagliapietra, du think-tank Bruegel à Bruxelles. "L'impossible est devenu possible".
Les Européens ont eu de la chance: la douceur de l'automne a retardé l'allumage des chaudières.
Quoiqu'il en soit, la baisse de consommation des ménages et des entreprises est exceptionnelle: de l'ordre de 25% en octobre par rapport à 2019-2021 dans l'Union européenne, calcule Bruegel.
La moitié des Allemands ont des chaudières au gaz, et leur baisse de consommation est "extrême, énorme", confirme Lion Hirth, professeur de politiques énergétiques à la Hertie School à Berlin. Il y voit la volonté de "ne pas payer Poutine", autant que de réduire les factures.
En quelques mois, la Russie a ainsi perdu son premier client gazier, l'Europe, dont les achats sont passés de 191 milliards de mètres cube en 2019 à 90 milliards cette année, et sans doute 38 l'an prochain, prévoit Wood Mackenzie.
Il a fallu compenser par ce GNL que l'UE délaissait autrefois puisqu'il était plus cher.
Avec un effet pervers: "L'Europe s'est mise à payer plus cher que l'Asie pour le gaz, et des pays comme l'Inde et le Pakistan n'ont pas pu rivaliser", souligne Graham Freedman. Conséquence climatique: faute de GNL, ces pays moins riches brûlent plus de charbon.
Et 2023 ?
Pour décharger le GNL des navires méthaniers, il faut des terminaux portuaires capables de le regazéifier et réinjecter dans les réseaux terrestres. L'Allemagne n'en avait aucun, la France et l'Espagne plusieurs.
Ce qui donne un nouveau rôle aux gazoducs du nord-est de la France, qui traditionnellement servaient à importer du gaz de l'est, et renvoient désormais vers l'est le gaz importé via Fos-sur-Mer ou Saint-Nazaire, et pour la première fois vers l'Allemagne.
"On renvoie beaucoup plus de gaz vers la Suisse", qui réexpédie ensuite vers Italie et Allemagne, explique à l'AFP Guillaume Tuffigo, de GRTgaz, qui gère les gazoducs français, en faisant visiter à l'AFP une station de compression de l'est dans la France, perdue dans la campagne des Vosges, l'un des chaînons indispensables à cette nouvelle solidarité européenne.
Pour l'hiver prochain, et les suivants, il n'y aura plus de gaz russe pour remplir les réserves.
Plus l’hiver sera froid, plus il faudra donc acheter de GNL à partir du printemps… et plus "le combat" entre Europe et Asie s'intensifiera, explique à l'AFP Laura Page, spécialiste du gaz chez Kpler.
"Il n'y a pas assez de gaz dans le monde pour remplacer le gaz russe", abonde Graham Freedman.
Ce n'est que vers 2025 ou 2026 que les nouveaux projets de GNL produiront des millions de tonnes supplémentaires.
D'ici là, les Européens auront-ils appris à vivre à 18°C?
Mais comme des millions d'Européens, cette communicante de 41 ans dans une agence d'architecture a vu sa facture monter en flèche à partir du printemps, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, avec la fermeture progressive des gazoducs russes vers l'Europe.
Les cours du gaz ont bondi, bouleversant les marchés mondiaux, avec une conséquence très concrète et très chère: l'Europe et l'Asie surenchérissent pour s'arracher des cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL) produit aux Etats-Unis, au Qatar ou ailleurs.
Et si des pays comme l'Espagne et la France ont gelé les tarifs pour les consommateurs, d'autres comme la Belgique ont plus ou moins laissé les fournisseurs répercuter la hausse sur leurs clients.
"J'ai un peu paniqué", raconte Sofie, propriétaire de sa maison mal isolée de 90 mètres carrés à Oostduinkerke, chauffée par une chaudière au gaz. Elle payait 120 euros par mois avant la guerre pour gaz et électricité: sa facture est passée à 330 euros.
A la réflexion, elle ne regrette pas cette "prise de conscience". Aujourd'hui elle surveille sa consommation, chauffe à 18°C, et se renseigne pour installer panneaux solaires et double vitrage...
Comme Sofie, une nouvelle génération de Belges, de Français ou d'Italiens a perdu en 2022 son insouciance énergétique et appris à surveiller ses radiateurs. Dans l'ancien monde, le gaz était abondant et pas cher. Son prix de référence sur le marché européen variait peu, autour de 20 euros le mégawattheure. Cette année, il est monté jusqu'à 300 avant de retomber vers 100 euros...
"Je n'ai jamais connu de période aussi chaotique", confie à l'AFP Graham Freedman, analyste au cabinet Wood Mackenzie, qui ausculte depuis 40 ans le marché du gaz naturel.
Réductions "extrêmes"
A cause des prix fous, des usines, dans la chimie allemande surtout, biberonnées au gaz de l'est depuis l'époque soviétique, ont dû s'arrêter. Pour autant les réserves européennes ont pu être remplies à ras bord l'été avec les derniers mètres cube de gaz russe, et personne n'a subi de coupure.
"Jusqu'à février, l'idée même que l'Europe s'en sorte sans énergie russe paraissait impossible", se souvient Simone Tagliapietra, du think-tank Bruegel à Bruxelles. "L'impossible est devenu possible".
Les Européens ont eu de la chance: la douceur de l'automne a retardé l'allumage des chaudières.
Quoiqu'il en soit, la baisse de consommation des ménages et des entreprises est exceptionnelle: de l'ordre de 25% en octobre par rapport à 2019-2021 dans l'Union européenne, calcule Bruegel.
La moitié des Allemands ont des chaudières au gaz, et leur baisse de consommation est "extrême, énorme", confirme Lion Hirth, professeur de politiques énergétiques à la Hertie School à Berlin. Il y voit la volonté de "ne pas payer Poutine", autant que de réduire les factures.
En quelques mois, la Russie a ainsi perdu son premier client gazier, l'Europe, dont les achats sont passés de 191 milliards de mètres cube en 2019 à 90 milliards cette année, et sans doute 38 l'an prochain, prévoit Wood Mackenzie.
Il a fallu compenser par ce GNL que l'UE délaissait autrefois puisqu'il était plus cher.
Avec un effet pervers: "L'Europe s'est mise à payer plus cher que l'Asie pour le gaz, et des pays comme l'Inde et le Pakistan n'ont pas pu rivaliser", souligne Graham Freedman. Conséquence climatique: faute de GNL, ces pays moins riches brûlent plus de charbon.
Et 2023 ?
Pour décharger le GNL des navires méthaniers, il faut des terminaux portuaires capables de le regazéifier et réinjecter dans les réseaux terrestres. L'Allemagne n'en avait aucun, la France et l'Espagne plusieurs.
Ce qui donne un nouveau rôle aux gazoducs du nord-est de la France, qui traditionnellement servaient à importer du gaz de l'est, et renvoient désormais vers l'est le gaz importé via Fos-sur-Mer ou Saint-Nazaire, et pour la première fois vers l'Allemagne.
"On renvoie beaucoup plus de gaz vers la Suisse", qui réexpédie ensuite vers Italie et Allemagne, explique à l'AFP Guillaume Tuffigo, de GRTgaz, qui gère les gazoducs français, en faisant visiter à l'AFP une station de compression de l'est dans la France, perdue dans la campagne des Vosges, l'un des chaînons indispensables à cette nouvelle solidarité européenne.
Pour l'hiver prochain, et les suivants, il n'y aura plus de gaz russe pour remplir les réserves.
Plus l’hiver sera froid, plus il faudra donc acheter de GNL à partir du printemps… et plus "le combat" entre Europe et Asie s'intensifiera, explique à l'AFP Laura Page, spécialiste du gaz chez Kpler.
"Il n'y a pas assez de gaz dans le monde pour remplacer le gaz russe", abonde Graham Freedman.
Ce n'est que vers 2025 ou 2026 que les nouveaux projets de GNL produiront des millions de tonnes supplémentaires.
D'ici là, les Européens auront-ils appris à vivre à 18°C?