"L'Eglise doit garder sa liberté de parole"


"Noël pour moi c'est le moment où la puissance de l'amour vient ouvrir les portes, ouvre un avenir et ouvre une espérance", souligne Monseigneur Cottanceau.
PAPEETE, 18 décembre 2016 - Le pape François a nommé jeudi Mgr Jean-Pierre Cottanceau, archevêque de Papeete. Jusqu'ici, cet homme d'église était administrateur apostolique du diocèse depuis août 2015. Mgr Jean-Pierre Cottanceau succède ainsi à Mgr Hubert Coppenrath. Son ordination aura lieu le 18 février à l'Eglise Maria no te Hau. Interview.

Que représente pour vous cette nomination ?
Mgr Jean-Pierre Cottanceau : "Cela représente d'abord une surprise. Mon souhait était de servir l'Eglise là où elle m'appelle. J'ai servi dans plusieurs endroits. On me demande de prendre cette responsabilité. Je dis oui. Je l'accueille pour l'Eglise de Polynésie et tous les gens du fenua. Je pense que c'est important qu'il y ait des gens qui peuvent aider par la réflexion, qu'on puisse aider ce pays, qui avance, les autorités religieuses n'ont pas les moyens des autorités politiques mais on peut aider les gens, aider à la réflexion, aider à voir clair sur différents thèmes, et puis aider tous les chrétiens à vivre leur foi."

Pourquoi cette nomination a été une "surprise" pour vous ?
"La surprise c'était déjà quand j'ai été nommé administrateur apostolique en août 2015. Ce n'était pas obligatoire que je sois nommé archevêque, cela aurait pu être quelqu'un d'autre. Le Saint-Père a jugé que j'avais fait un administrateur apolitique à peu près convenable et donc que je pouvais recevoir cette responsabilité.

Ce qui me touche beaucoup est que l'évêque par son ordination est intégré au collège des successeurs des apôtres. On reçoit un héritage qui remonte jusqu'au Christ lui-même par l'intermédiaire des apôtres. C'est quelque chose quand même de se situer dans la lignée de tous les évêques qui ont succédé aux apôtres et qui essaient jusqu'à ce jour de garder vivant ce témoignage et cet héritage."

Comment définiriez-vous le rôle de l'Eglise aujourd'hui en Polynésie française ?
"Je crois que l'Eglise doit garder sa liberté de parole, elle peut inviter à une réflexion. Que l'on ne partage pas forcément les convictions de l'Eglise je le conçois tout à fait mais je me méfie beaucoup de la pensée unique, où il y aurait une seule façon de penser et de voir les choses. Le dialogue est toujours profitable pour faire grandir la réflexion et voir clair dans les questions qui agitent les personnes et la société. Je pense à la famille, à l'accompagnement des jeunes, au problème de la pauvreté, à ceux qui sont dans les rues de Papeete, qui sont aux Tuamotu et qui doivent voir leurs enfants partir pour aller à l'école. On dit que tout ce qui concerne la personne humaine concerne l'Église et concerne Dieu. A ce titre, on a quelque chose à dire dans le respect des différences mais personne ne peut monopoliser le discours.
Je me garderais bien de le faire en tout cas.


En mars dernier, en période de débat sur les conséquences des essais nucléaires, vous aviez fait une "mise au point" dans un communiqué d'information de la Mission catholique. Vous aviez souligné que l'Eglise catholique "rappelle qu’il y aurait grand danger de confusion et d’atteinte à la liberté d’expression telle que garantie par la Loi si l’Etat venait à s’immiscer dans la façon dont l’Eglise entend mener sa réflexion et son action, dans la mesure, bien entendu où cette action s’inscrit dans la légalité." Pour vous c'est important la liberté de parole de l'Eglise ?
"Je revendique pour l'Eglise le droit de dire ce qu'elle a à dire, je ne demande pas aux gens de croire ou d'adhérer ce n'est pas ça, mais si on a quelque chose à dire au nom de l'évangile, je ne vois pas pourquoi on ne le dirait pas. En Polynésie française, on a quand même une liberté de parole."

Vous l'avez quand même rappelé. Vous aviez jugé que cela était nécessaire ?
"Je crois que de temps en temps il faut le rappeler oui. Dans le respect de la vie en société, de la diversité des modes de pensée, je ne vois pas pourquoi parce qu'on est l'Eglise on devrait se taire.

Le 2 juillet, lors du cinquantenaire du premier essai nucléaire, le Père Joël Auméran, vicaire général de l'Eglise catholique, a demandé au nom de l'Eglise catholique que "la vérité soit faite par les institutions locales, nationales et internationales". Ces paroles étaient le résultat d'une discussion collégiale au sein de l'Eglise. Cela a-t-il été une décision difficile à prendre ?

"Si on parle de la Polynésie, il y a effectivement des conséquences des essais nucléaires qu'il faut voir en face. Lorsque ses conséquences provoquent des blessures il faut bien mesurer comment on va aider les gens et comment on va faire en sorte de faire que ces conséquences soient vraiment prises en compte.
Il y a les associations qui fonctionnent, les pouvoirs publics, tous les gens directement investis dans la vie politique, notamment les associations, l'Eglise n'a pas à se substituer à elles. On a une parole qui peut éclairer, guider mais on n'a pas à se substituer aux associations, qui peuvent prendre plus concrètement à leur compte cette problématique. C'est à chaque chrétien de voir comment il va pouvoir vivre son engagement au service de l'homme dans cette situation concrète."

Comment voyez-vous l'évolution de l'Eglise en Polynésie française?
"J'aimerais bien accompagner les communautés chrétiennes pour qu'elles soient plus accueillantes, qu'elles soient plus proches des familles, des jeunes, et qu'on sorte un peu des sacristies pour rejoindre la société. On a célébré l'année de la miséricorde, c'est une invitation que nous a adressée le Saint-Père pour que nous soyons les témoins de l'amour de Dieu. Evidemment quand on est entre nous, c’est un peu plus facile mais on est invité à sortir de chez nous, à aller plus loin. J'aimerais bien que l'Eglise soit un plus ouverte encore, je pense aux gens que l'on nomme en situation irrégulière, les personnes divorcées ou en concubinage. Le pape François nous invite sans cesse à voir comment on peut accueillir ces personnes. Il ne s'agit pas de faire sauter les normes qui régissent le fonctionnement de l'Eglise mais de mettre en premier l'accueil, l'ouverture, le partage, l'écoute et le respect."

A quelques jours de Noël, quels messages souhaitez-vous passer ?
Pour moi, Noël c'est le moment où on est invité à l'espérance. Aujourd'hui, ce n'est pas facile tant il y a des choses difficiles vécues dans notre monde (des conflits, des guerres, des situations économiques plus que hasardeuses..). Quelque fois les gens sont devant des portes qui se ferment. Noël pour moi c'est le moment où la puissance de l'amour vient ouvrir ses portes, ouvre un avenir et ouvre une espérance. C'est le moment où chacun de ceux qui se reconnaissent dans la foi chrétienne est invité à vivre l'accueil de l'autre comme on a accueilli Jésus à Bethléem, comment à notre tour, on devient capable d'accueillir ceux qui sont besoin, ceux qui sont seuls, âgés, malades… Noël ça veut dire qu'il y a une lumière qui s'allume, ce n'est pas pour rien qu'on met des illuminations. C'est le moment où des portes doivent s'ouvrir. Chaque fois que l'on tend la main à quelqu'un et qu'on essaie d'être solidaire, c'est un peu Noël.

(Propos recueillis par Mélanie Thomas)


Rédigé par Mélanie Thomas le Vendredi 16 Décembre 2016 à 15:42 | Lu 1464 fois