Kauehi, côté nature


Île peu connue de touristes, Kauehi réserve de très bonnes surprises à tous les amoureux de la nature. Sur ce cliché, la forêt du motu est composée de cocotiers certes, mais aussi de Pisonia grandis, arbres abritant des colonies d’oiseaux de mer.
Tahiti, le 21 août 2020 - Tahiti infos est allé passé une semaine sur l’atoll encore très préservé de Kauehi, aux Tuamotu : une seule pension, Kauehi Lodge, à indubitablement classer dans les meilleures des Tuamotu en termes de confort et de qualité de service ; sans compter que la cuisine, à base de produits locaux, y est divine... L’occasion, en parcourant hoa et motu, d’une petite leçon de choses sur ce milieu naturel si particulier qu’est un atoll...

Rare kofai

Le ou la kofai est sans aucun doute la plus belle et également la plus rare des fleurs de l’archipel des Tuamotu. Sesbania coccinea, une Fabacée, existe en réalité en deux sous-espèces, l’une plutôt rouge carmin (nos photos, Sesbania coccinea subsp. Atollensis var. tuamotensis) et l’autre plus orangée (Sesbania coccinea subs. Atollensis var. atollensis.). 
A Kauehi, plusieurs motu abritent des pieds de kofai et c’est grâce à Colette et Jean-Claude, de la pension Kauehi Lodge, que nous avons pu nous rendre sur un de ces motu et y dénicher la rare kofai, de la variété rouge carmin. 
L’arbuste qui porte ces fleurs mesure trois à quatre mètres de haut. Il n’est apparemment pas friand du vent et des embruns puisque les pieds que nous avons découverts étaient tous à l’intérieur du motu, bien à l’abri de la végétation faite de cocotiers, de kahaia, miki miki et autres brousses...

Colliers de koporoporo

Kadua romanzoffiensis est un fruit typique des Tuamotu. Cette petite Rubiacée, appelée localement koporoporo, se trouve de Niue (à l’ouest) aux Tuamotu (à l’est), en passant par les Samoa, les Cook, etc. 
L’arbrisseau qui porte ces fruits allant du blanc crème au violet foncé ne dépasse guère un mètre de hauteur. Attention, ces baies ne sont pas comestibles, même si, dans le passé, la médecine traditionnelle savait comment les utiliser pour combattre certaines affections. 
Plus récemment, les habitants des atolls s’en servaient volontiers pour faire des colliers, usage qui semble aujourd’hui avoir disparu. Et c’est bien dommage. Le fruit, une baie de douze millimètres de diamètre environ, enferme plusieurs petites graines.

U’u ou mikimiki ?

A Kauehi cohabitent –apparemment harmonieusement– deux plantes aux allures très voisines mais qui appartiennent pourtant à deux familles bien différentes. On les regroupe souvent, à tort, sous l’appellation de miki miki, ce qui est exact pour la plante produisant des petites fleurs blanches (Pemphis acidula) alors que le nom vernaculaire de u’u s’impose pour les buissons produisant des petites fleurs jaunes (Suriana maritima). 
Ce qui est remarquable dans ces deux arbrisseaux buissonnants, formant des taillis souvent impénétrables, est le fait qu’ils illustrent à merveille la théorie darwinienne de l’évolution : deux plantes appartenant à deux genres très différents et même à deux familles que tout sépare (les Lythracées pour Pemphis acidula et les Surianacées pour Suriana maritima) finissent, compte tenu de leurs conditions de vie, à furieusement se ressembler au point qu’à quelques mètres de distance, si l’on ne voit pas les fleurs, on peut facilement confondre les deux espèces. 
Sur des substrats d’une pauvreté extrême, les “pieds” dans l’eau salée, la “tête” en plein soleil, dans les vents et les embruns eux aussi salés, ces plantes se sont adaptées à leur environnement au point d’adopter les mêmes modes de survie : petites feuilles (plus pointues pour le u’u), aspect de buisson très dense, taille identique, bref des faux jumeaux qui méritaient bien ces quelques lignes.

L’anti-scorbut

Un peu partout en Polynésie française, plus spécialement sur les atolls des Tuamotu, dont Kauehi, on marche littéralement sur les petits pourpiers (Portulaca lutea), appelés pokea en Paumotu (ou aturi en Tahitien). 
Plante indigène (largement répandue dans le monde), cette herbacée très commune est aujourd’hui souvent récoltée pour être donnée à manger aux cochons. On oublie trop souvent que ce que les anciens navigateurs appelaient souvent du nom de “cresson de mer” était une plante comestible extrêmement appréciée car, entre autres, très riche en vitamine C, donc susceptible de guérir les équipages souffrant du scorbut. 
La première mention du pourpier en tant que plante médicinale remonte aux Assyriens ; les Grecs puis les Romains l’utilisèrent jadis tout comme, chez nous, les premiers Polynésiens. 
Certes, tiges, feuilles et fleurs n’ont pas un goût très prononcé, mais crue (en salade) ou cuite (façon épinards) cette plante demeure excellente pour la santé et sera d’autant plus appréciée qu’elle sera accompagnée d’un assaisonnement de qualité (tiges et feuilles charnues sont, c’est vrai, plutôt fades).

Le roi de cet atoll

A Kauehi, ce petit arbre est extraordinairement abondant sur toutes les surfaces émergées, tant côté lagon que côté océan. Heliotropium foertherianum (tohunu, tahinu) est indubitablement le roi de cet atoll.
Le faux-tabac, comme il est souvent appelé, produit des fleurs minuscules formant des fruits guère plus gros, petites baies verdâtres, enfermant des graines noires. Plante indigène de la famille des Boraginacées, le faux-tabac, depuis la nuit des temps, a de multiples usages dans la pharmacopée traditionnelle ; aux Tuamotu, une décoction faite avec ses feuilles (il faut qu’elles soient déjà un peu jaunies), permet de calmer les démangeaisons dues à une intoxication causée par la ciguatera et d’en atténuer fortement les autres effets. On utilise aussi, nous a-t-on expliqué à Kauehi, les fruits du tahinu pour ce même usage “anti-gratte”. 
C’est grâce aux molécules d’acide rosmarinique de la plante –aussi appelée veloutier à cause du duvet sur ses feuilles– que ses propriétés détoxifiantes sont si efficaces. A noter qu’une plante de nos jardins, d’introduction moderne, est tout aussi utile car riche de ce même acide : notre romarin de cuisine...

Forêts d’antan

Avant l’arrivée des missionnaires et autres négociants, la physionomie des atolls des Tuamotu était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui ; alors que les cocoteraies dominent le paysage, jadis c’est un très grand arbre, Pisonia grandis (pu’atea) qui était, en quelque sorte, l’assurance-vie des Paumotu. 
La canopée d’une forêt de pisonias dépasse en effet largement les cocotiers, les branches étant autant d’opportunités de nicher tranquillement, hors de portée des hommes, pour les oiseaux de mer. Les fientes de ceux-ci, tombant au sol et surtout sur les feuilles des pisonias placées plus bas (feuilles qui tombaient à leur tour) formaient un épais tapis de terreau qui n’avait rien à envier aux plus riches sacs de compost que l’on trouve de nos jours dans les jardineries. 
Ainsi, pour leurs fosses de culture, les anciens Paumotu disposaient-ils d’une terre extrêmement fertile. Et si un cyclone venait à “nettoyer” le sol d’une forêt, celui-ci se régénérait très vite grâce au cocktail feuilles-fientes. 
C’est sans doute à Ahe que subsiste la plus dense et la plus belle forêt de Pisonia grandis, mais Kauehi en abrite également une ; on regrettera seulement que de nombreux cocotiers se soient installés à l’ombre des grands arbres dont ils pompent effrontément la nourriture. 
Certes, le bois de Pisonia grandis n’est pas de grande qualité, car il est gorgé d’eau ; mais une fois séché, il est à peine plus lourd que le bois de balsa. Les feuilles sont comestibles pour les animaux ; jeunes, elles constituent un excellent substitut aux épinards.

Increvables figuiers

Les figuiers sont sans doute les arbres (plutôt des arbustes aux Tuamotu) les plus adaptés aux sols coralliens des atolls, parmi les arbres fruitiers introduits par l’homme à l’époque moderne. Ficus carica (de la famille des Moracées) est typique du bassin méditerranéen, mais il s’est parfaitement adapté à notre climat (comme d’ailleurs à celui de l’île de Pâques où il atteint des tailles énormes). 
Le figuier aurait commencé à être sélectionné par l’homme plus de dix mille ans avant Jésus-Christ.
A noter que la figue n’est pas à proprement parler un fruit mais une infrutescence.
Si le figuier est aujourd’hui solidement implanté aux Tuamotu, il convient tout de même d’éviter de le planter en plein vent. Colette, de la pension Kauehi Lodge, en fait d’excellentes confitures servies au petit-déjeuner.

La liane qui tue

Cassitha filiformis, plus connue sous son appellation de taino’a, est indubitablement une plaie pour la flore des atolls, car cette petite liane a tendance à absolument recouvrir tous ses hôtes jusqu’à les étouffer et à provoquer leur mort. C’est le cas des faux-tabacs, mais surtout des kahaia (Guettarda speciosa), dont le bois est très utile dans les îles pour servir de piliers à l’intérieur des maisons comme sous les pontons (il résiste très bien à l’eau de mer et aux attaques des insectes). Le plus étonnant, et notre photo le montre bien, c’est qu’une fois la plante hôte tuée par asphyxie et impossibilité d’accéder à la lumière, la liane elle-même ne tarde pas à dépérir et à mourir. Une sorte de victoire à la Pyrrhus pour la petite taino’a puisque la mort de la plante envahie aboutit à sa propre mort...
Les petits fruits globuleux qui font penser à des boules de gui avaient des usages médicinaux dans le passé, notamment pour soigner les hémorroïdes, mais les prescriptions précises en ont été perdues.

Cocotier à étages

La croissance des cocotiers (Coco nucifera) obéit à des règles qui, parfois, échappent à l’esprit cartésien des humains. Ainsi ce cocotier en bord de lagon a-t-il décidé, par on ne sait quel caprice, sans doute une cassure dans sa jeunesse, de se développer sur deux étages, fusée s’élançant vers le ciel de Kauehi. 
Un tronc, ou plutôt un stipe puisque l’on parle d’un palmier, qui défit les lois de la pesanteur. Sera-t-il assez fort pour supporter longtemps son propre poids ainsi déséquilibré ?

Vous avez dit pagures...

Sur un atoll aussi peu fréquenté que Kauehi, il n’est pas très difficile de rencontrer des représentants de la super-famille des Paguroidea, dont deux espèces attirent toujours l’attention des visiteurs, les gros bernard-l’hermite rouges (parfois grenat, voire même bruns, Coenobita perlatus) et surtout –mais bien plus rares– les crabes des cocotiers (Birgus latro), autrement appelés “kaveu” en Paumotu.
 
Bernard-l’hermite
Le gros bernard-l’hermite (huit centimètres), la plupart du temps rouge, vit très souvent en bandes de plusieurs dizaines d’individus. Il n’est pas comestible pour l’homme, mais en revanche, il constitue (surtout son abdomen) un appât irrésistible pour les poissons et les pêcheurs à la palangrotte le savent bien (souverain pour “piquer” une loche marbrée, le kito paumotu). 
Assez curieux, le bernard-l’hermite se faufile jusque dans les habitations : il est vrai que sa fonction même explique cette irrépressible envie qu’il a d’explorer tout ce qui est à portée de ses pattes, car notre animal est le principal éboueur des atolls ; côté océan, à marée basse, il se délecte de toutes les substances organiques que la mer rejette, tandis que dans la brousse, la cocoteraie ou sur les plages des lagons, il traque tout ce qui peut se manger, mort ou vif. 
S’il est friand de noix de cocos ouvertes, il n’a pas la force de les percer ou de les ouvrir et se contente donc généralement de celles qui sont déjà brisées au sol. L’animal, qui peut changer de “maison”, c’est-à-dire de coquille (généralement celle de maoa, Turbo setosus), n’est certes pas bien grand, mais il a une remarquable espérance de vie : jusqu’à quarante ans lorsqu’il est en liberté.
A noter que dans certains pays, en Asie notamment, il est capturé pour être transformé en... animal de compagnie (au même titre qu’un canari ou qu’un poisson rouge). Souvent les revendeurs peignent sa coquille avec des couleurs fluo et les vendent ainsi comme bermard-l’hermite Pokemon, ce qui est, vous l’avouerez, d’un goût plus que douteux. Si vous n’en avez pas besoin pour aller à la pêche, laissez-les tranquilles, leur rôle dans l’écosystème des atolls est essentiel.

Crabe des cocotiers
Nous ne vous garantissons pas qu’à chaque séjour à Kauehi, vous dégusterez, au Kauehi Lodge, de savoureux crabes des cocotiers, pas plus que nous vous garantirons que vous en trouverez en farfouillant de jour ou de nuit dans la brousse. Sauf à les appâter avec une noix de coco, ces énormes pagures, de la même famille que les bernard-l’hermite, sont en effet très discrets et très craintifs. On les trouve sous des blocs coralliens, sous des troncs d’arbres, cachés par d’épais fourrés et des palmes de cocotiers au sol, voire au fond de terriers creusés sous les racines des Pinonia grandis par exemple.
Nous le savons tous, ces animaux, qui sont les plus gros arthropodes terrestres, n’ont qu’un point faible, leur goût plus que prononcé pour les noix de coco dont ils se délectent la nuit, parvenant, grâce à la puissance redoutable de leurs pinces, à en enlever la bourre avant de les ouvrir. 
A propos de leurs pinces, il est bien évident qu’il est plus que recommandé de s’abstenir d’y approcher un doigt, sauf à chercher l’amputation volontaire. A manier donc avec la plus grande prudence...
Leur poche ventrale, très grasse, passe pour être le caviar des Tuamotu alors que le reste de leur corps a une saveur comparable à celle des gros crabes ; accompagné d’une petite mayonnaise maison, le kaveu est un délice sur une table, mais il peut être aussi –parfois– très dangereux, voire mortel. Comme son “copain-cousin” le bernard-l’hermite, le kaveu se nourrit de toutes les substances animales ou végétales passant à sa portée ; il ne dédaigne pas les cadavres de rats quand ceux-ci sont victimes de poison dans les cocoteraies, ni non plus certaines plantes toxiques, une toxicité que l’on peut retrouver dans leur chair. Des cas d’intoxication ont été relevés aux Tuamotu, très rares heureusement, et même des cas mortels à l’île de Maré au large de la Nouvelle-Calédonie. Les kaveu y avaient mangé des fruits de Cerbera odollam, les redoutables et mortelles fausses mangues du reva.
Le crabe des cocotiers mesure en général une quarantaine de centimètres pour les spécimens arrivés à l’âge adulte, avec une envergure, pinces écartées, au maximum de 80 cm (parfois un mètre). Pesant un à trois kilos, le kaveu semble pouvoir prendre des dimensions bien plus importantes dans certaines régions de l’Indo-Pacifique puisque des spécimens de dix-sept kilos auraient été capturés.
A noter que cet animal a une vie marine durant les trois premières années de son existence : la femelle pond à marée haute (50 000 à 150 000 œufs) qui se développent sous forme de larves pendant quelques semaines avant de se transformer en petits crustacés s’abritant dans différentes coquilles. Plus ils grandissent, plus les jeunes kaveu se rapprochent de la terre où ils finissent par s’installer à l’âge de trois ans. Ils perdent alors leur coquille d’emprunt, leur carapace se durcit et la force de leurs pinces s’affirme comme arme défensive. Ils ne peuvent plus alors respirer dans l’eau ; leur espérance de vie est d’environ trente ans. On ne leur connaît que deux ennemis, une toute petite fourmi et surtout les êtres humains qui les pourchassent pour leur chair. 
A noter que son nom latin “latro” est à rapprocher de ladron en espagnol ou de larcin en français : Birgus latro est en effet réputé pour être un fieffé voleur de nourriture, y compris dans les maisons !

Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 20 Aout 2020 à 13:14 | Lu 4140 fois