Joseph, l’homme aux Anguilles de la source Vaima "Te ta’ata e te Puhi Pape"


Préhistoire, Antiquité, les anguilles sont sur terre depuis 100 millions d'années, de quoi nous inspirer du respect pour cet organisme surprenant qui a la capacité de se métamorphoser au cours de sa vie et de s’adapter à son environnement. Ce n’est pas un hasard si cet être mystérieux a une place essentielle dans la mythologie polynésienne. Même en 2013, les hommes sont incapables de révéler les endroits secrets de leur reproduction. On sait que les anguilles peuvent ramper tel un serpent, lorsqu’elles doivent traverser des zones à peine couvertes d’eau. Parmi les poissons, elles ont l’odorat le plus développé. Leur organisme s’adapte à l’eau douce comme à l’eau de mer, tout leur corps peut se métamorphoser, de la croissance de l’œil jusqu’à leurs nageoires. On dit que sans anguille, la rivière se meurt. Si elles fascinent les chercheurs depuis la naissance des temps, les anguilles sont aussi capables d’une grande affection et d’une fidélité certaine envers l’être humain qui saura les respecter.

Rencontre avec te ta’ata e te puhi pope, Joseph, l’homme aux anguilles de la source Vaima, située à Mataiea. Joseph est né à Makatea, il a grandi dans une fratrie de vingt enfants, tous de la même maman, ses parents travaillaient dans l’exploitation de phosphate. Tout jeune, il a rejoint sa grand-mère à Papeete, qui l’a élevé, il a grandi et travaillé sur l’île, aujourd’hui il est retraité, père de famille, il vit de son fa’a’apu, taro, banane, patates, et sa femme travaille en ville. Si vous allez à Vaima, vous aurez peut-être la chance de croiser son chemin.

Joseph n’est pas bavard, mais il aime parler doucement aux anguilles de la source Vaima. Depuis le pont qui la sépare de la mer, il marche lentement dans la rivière, jusqu’au bassin où l’eau de Vaima bout. C’est alors que sortent de dessous les rochers, et d’endroits inattendus, quelques anguilles qui ondulent jusqu’à sa rencontre ; elles reconnaissent Joseph parmi tous les autres baigneurs, qui surpris, se réfugient sur les rochers, s’éloignent ou observent, captivés, la complicité qui lie les anguilles à cet homme.

Il y a 5 ans, en 2008, comme beaucoup de Tahitiens, Joseph et sa famille sont allés se baigner à la rivière Vaima, située dans la commune de Mataiea. Ce jour là, ils ont aperçu un vieil homme entouré d’une myriade d’anguilles qui dansaient autour de lui : Le vieux leur donnait à manger. Tout en ressentant de l’appréhension, parce qu’ils étaient intimidés par ces anguilles, Joseph et sa tribu se sont pris au jeu et ils ont commencé, eux aussi, à les nourrir. Ce jour là, ils ont partagé leurs brochettes et leurs frites avec elles, mais sans les toucher. Au fur et à mesure, l’homme et les anguilles se sont apprivoisés l’un l’autre. Au fil du temps, Joseph est venu fidèlement les retrouver, il emmenait du ma’a à chaque fois, du poulet décongelé de la veille et distribué à midi : A l’odeur du poulet, les anguilles ondulent pour savourer le festin.

Arrive le temps où l’homme et les anguilles ne font qu’un. Joseph marche dans la rivière et elles le suivent, en troupeau, sous les regards fascinés des visiteurs qui s’éloignent. Aujourd’hui, les habitués de Vaima savent que Joseph est l’homme aux anguilles. Elles portent un nom : La plus grosse d’entre elles n’a qu’un œil, elle s’appelle Maspo, l’une s’appelle YMCA, l’autre, Bonnet, et il y a Koxka qui se distingue par son aspect brun et tigré et qui vit près du pont... mais elles étaient tellement nombreuses, qu’ils ne pouvaient pas toutes les baptiser.

Lorsqu’il me parle, Maspo sort de son rocher, comme pour nous saluer, elle vient, s’enroule autour de lui, elle se fait affectueuse et puis glisse dans l’eau pour disparaître. La 1ère fois que Joseph l’a vue, c’est son fils qui l’a repérée, elle ne dépassait pas 50 cm et il lui manquait un œil. Depuis, ils l’ont nourrie et Maspo fait aujourd’hui plus d’un mètre de long, elle est épaisse et c’est la plus grosse des anguilles de la source à présent.

Quand je lui demande s’il peut vivre sans venir à la rivière, Joseph sourit : « Ah ma femme est fiu, elle sait que quand je viens à la presqu’île, c’est pour venir ici, elle me dit de ne plus prendre la voiture, ‘tu prends le bus, parce que quand tu vas à Pueu, ce n’est pas pour aller à Pueu, c’est pour aller à la rivière’ dit-elle souvent agacée. Elle a raison ; je travaille jusqu’à midi, ensuite je viens voir les anguilles. » Les employés de la commune qui viennent de temps en temps débroussailler, nettoyer le lieu, sont surpris un jour, de voir cet homme encerclé d’anguilles : « ça fait longtemps qu’on vient ici nettoyer, c’est la première fois qu’on voit les anguilles. Tu dois avoir du mana avec les anguilles ! »

Joseph regrette de n’avoir pu aller au séminaire sur les anguilles à l’université, l’année dernière. Il n’avait pas de voiture. Il me dit aussi que l’émission Fare Ma’ohi en avait parlé et on sent dans sa voix la fascination pour ses compagnes d’eau douce. D’une trentaine en 2008, elles ne sont que 5 ou 6 aujourd’hui. « Elles sont faciles à pêcher. Il suffit de mettre un appât et elles viennent, comme elles ont faim. » Si je lui demande quel est son taura, son totem animal, il hausse les épaules et me dit : « Aucune idée ! », et il se met à rire. Ses enfants ont eux aussi plaisir à retrouver les anguilles sacrées.


En 2013, partout dans le monde, l’anguille est une espèce menacée. Ici à Tahiti, on a récemment déplacé une anguille pour la mettre dans le bassin de la Reine à Tarahoi, mais l’homme aux anguilles est réservé : « L’anguille est territoriale, elle doit être malheureuse de ne pas être dans sa rivière, elle fera tout pour y retourner ». A Paea, il y a aussi, du côté de la mairie, myriade d’anguilles, on a dit à Joseph « Que penses-tu de repeupler Vaima avec les anguilles de Paea » et il a répondu « Si vous faîtes ça, elles voudront retourner dans leur rivière, les anguilles sont territoriales ». L’anguille, un être fidèle, affectueux, magique.

Cet être mythologique a survécu aux glaciations et à la dérive des continents. La mythologie polynésienne lui accorde une place primordiale : L’anguille, te puhi pape a droit au paroxysme de la métamorphose. Les ancêtres connaissaient la capacité de ce poisson hors du commun de se transformer et dans la légende de Hina, l’anguille se transforme en noix de coco, une histoire d’amour entre l’être humain et un animal fantastique qui fait partie de notre réalité. Dans toute légende se niche la vérité : De quoi alimenter notre respect et nous faire prendre conscience que nous sommes chéris de pouvoir caresser, encore, les anguilles de la source Vaima.

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Rédigé par Ariirau RICHARD-VIVI le Lundi 2 Septembre 2013 à 05:34 | Lu 8129 fois