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José Thorel, procureur "sans regrets" cède la place après sept ans à la tête du parquet de Papeete


Le procureur de la République, José Thorel, quitte le parquet... pour le parquet général.
Le procureur de la République, José Thorel, quitte le parquet... pour le parquet général.
PAPEETE, le 18 juillet 2016 - José Thorel, procureur de la République et patron du parquet de Papeete depuis sept ans, quitte ses fonctions. Son successeur, Hervé Leroy, 53 ans, arrive de Nice (Alpes-Maritimes) où il était procureur adjoint. Il prendra ses fonctions au 1er septembre. José Thorel ne quitte pas pour autant la Polynésie française puisque le magistrat a été « reversé » au parquet général de la cour d'appel de Papeete. Entretien.

Quel bilan tirez-vous de vos sept années passées à la tête du parquet de Papeete ?

"Un bilan plutôt positif. À titre personnel, une grosse satisfaction d'avoir retrouvé la Polynésie où j'avais déjà travaillé en 1995, comme juge du siège. J'ai retrouvé un pays qui avait certes changé à mon retour, en 2009, mais qui a quand même gardé cette culture très spéciale, cette culture de l'accueil, de la courtoisie, du caractère non agressif des relations. Au sujet du parquet plus particulièrement, je pense avoir essayé, et en partie réussi, le développement de politiques pénales que je pense adaptées au contexte local."

Par exemple ?

"J'ai mis l'accent sur la sécurité routière. Nous avions constaté un taux d'accidentologie très supérieur à celui de la métropole et des stages de sensibilisation à la sécurité routière ont été mis en place, avec le concours de l'association de prévention routière. Nous avons mené une grande action de prévention de la récidive des délits routiers, avec dans le même temps la mise en place d'une politique de répression assez ferme. Avec notamment une augmentation très importante des comparutions immédiates en la matière. Il y en avait une quarantaine par an à mon arrivée en 2009, nous en avons fait 240 en 2015."

Cela ne concerne pas que les délits routiers...

"Non, en partie seulement. Mais je pense que d'une matière générale nous avons amélioré la rapidité de la réponse pénale. Une réponse plus dure, aussi. La comparution immédiate, en général, c'est une peine d'emprisonnement ferme avec incarcération immédiate. Ce type de politique pénale, qui consiste à faire alterner les mesures répressives avec des mesures alternatives comme la composition pénale, des stages d'alternative aux poursuites, l'injonction thérapeuthique en matière de stupéfiants, a pu avoir un effet à la longue. On constate une stabilisation du nombre des affaires nouvelles en 2014, c'est à dire une stabilisation de l'activité criminelle. On a même constaté une petite décrue en 2015 et qui semble se confirmer en 2016, en léger décalage avec les statistiques nationales qui, elles, sont toujours à la hausse. Je pense que la politique pénale locale, associée à un bon engagement des forces de police et de gendarmerie, des douanes, des associations de prévention comme l'APAJ [Association polyvalente d'actions judiciaires, ndlr], la prévention routière, des services du pays aussi, a réussi sinon à faire reculer, du moins à stabiliser la délinquance en Polynésie française. On a marqué quelques points et rien que ça, c'est une grande satisfaction."

Votre avez succédé à un procureur de la République controversé, taxé sinon de complaisance, du moins d'immobilisme envers les errements du pouvoir politique local et notamment de Gaston Flosse à l'époque. Votre passage à la tête du parquet est au contraire associé à une accélération du traitement des affaires de délinquance en col blanc, on vous a même taxé d'acharnement...

"Ma position a toujours été une stricte application de la loi à l'égard de ces délits que l'on appelle d'atteinte à la probité : la corruption, l'ingérance, le favoritisme dans les marchés publics, le détournement de fonds publics, commis par des élus, des haut-fonctionnaires. Ma position rejoint celle des instances européennes, qui ont toujours considéré que la lutte contre la corruption, et notamment en France, devait être plus sévère. Notre garde des Sceaux l'an dernier, madame Taubira, avait posé la lutte contre les atteintes à la probité comme une priorité nationale. Je n'étais donc pas à contre courant des préoccupations européennes, et même françaises, dans ce domaine.
(…) Localement, il est vrai que certaines personnalités, certains élus, ont cumulé ce genre d'infractions. Et c'est ce cumul des poursuites qui a pu être analysé comme une forme d'acharnement, mais qui n'était en fait que la déclinaison de cette politique pénale de lutte contre les atteintes à la probité. Des maires de grosses et de petites communes, y compris des archipels, des fonctionnaires du pays mais aussi de l'État, des élus du pays comme un ancien président de l'assemblée et l'ancien président du gouvernement, ont été touchés. Et même des élus nationaux tels qu'un sénateur et, comme on l'a vu récemment, un député. Dans ce domaine-là, c'est une politique de répression tous azimuts et sans complaisance, mais sans acharnement. Cette lutte est d'ailleurs plus difficile ici qu'en métropole en raison de l'éloignement, puisque nous sommes loin des grands services de police judiciaire comme l'office central de répression contre la grande délinquance financière par exemple. Ils ont pu nous apporter leur aide avec des renforts ponctuels sur certains dossiers très complexes, comme l'affaire OPT, mais globalement toutes ces affaires ont été traitées avec la ressource locale et il faut leur rendre hommage. Je pense à la section financière de la DSP [la Direction de la sécurité publique, ndlr] où au groupe financier de la section de recherches de la gendarmerie."

Où en sommes nous aujourd'hui sur ce type de délinquance qui mine la Polynésie française ? La classe politique a appris de l'expérience de ces dernières années, une page se tourne ?

"Les statistiques de ces deux dernières années montrent une tendance à la décrue de ces dossiers de corruption, trafic d'influence et détournement de fonds publics. Néanmoins, des affaires nouvelles apparaissent encore et des enquêtes sont en cours. On sent bien qu'il y a encore ce travail de formation, d'information à faire, à la déontologie, au respect des fonctions, au risque pénal aussi. Mon successeur aura encore probablement des dossiers de ce type, qui sont en gestation, à traiter."

Sur la délinquance générale, et après une première expérience en Polynésie au milieu des années 1990, quelle évolution constatez-vous, comment analysez-vous le climat ?

"Il y a une certaine dégradation. Il y a eu une augmentation des faits délictueux, que cela soit des agressions et des vols, qui est probablement en corrélation avec la dégradation économique et la perte de ces milliers d'emplois constatée par les observateurs. Et puis il y a une seconde dégradation, c'est dans le degré de gravité. Nous avons constaté des faits de délinquance qui, sans atteindre les extrêmes que l'on peut voir en métropole comme la criminalité organisée, les actes de terrorisme, sont d'une plus grande violence qu'auparavant. Mais nous n'avons pas de gangs, toujours très peu de délinquance armée, pas d'attaques de banque ou de car-jacking ! La détention d'arme reste maîtrisée en Polynésie française. Le domaine le plus difficile à maîtriser aujourd'hui reste le trafic de stupéfiants."

Pourquoi ?

"Il y a une demande. Qui est forte. Notamment chez la jeune génération, et même la plus jeune génération. Des enfants de 12, 13 ans, commencent à fumer le paka. Il y a une demande, donc forcément un marché se crée, surtout en période de difficultés économiques. L'apparition de l'ice et son importation depuis l'étranger sont très inquiétantes. On pense actuellement qu'il n'y a pas de laboratoire en Polynésie mais il y a, par contre, des importations continues. Le marché est sans cesse approvisionné. Certaines affaires nous le montrent régulièrement, comme l'an dernier avec l'interpellation d'un commerçant qui importait l'ice dans des climatiseurs, ou par ce que l'on appelle les « fourmis », dans les bateaux. Le travail des services des stup spécialisés de la DSP, de la gendarmerie, mais aussi le travail quotidien de renseignement des brigades locales est constant sur ce fléau."

Un magistrat polynésien s'apprête à rejoindre le parquet de Papeete, c'est une première ?

"Oui, il s'agit de Robert Danielsson. Il était pour jusqu'à présent magistrat à la chancellerie et il arrive le 10 octobre prochain pour prendre les fonctions de vice-procureur. Il est effectivement originaire de Polynésie française. Il a passé le concours de la magistrature. Il a déjà eu plusieurs affectations en métropole, à Bordeaux et à Paris notamment. C'est à ma connaissance le premier magistrat d'origine polynésienne nommé en Polynésie. C'est une très bonne chose. Cela illustre le fait que la magistrature, qui ne l'oublions pas et c'est écrit en tête de tous les jugements, rend ses décisions au nom du peuple français, montre par cette présence d'un magistrat polynésien que le peuple polynésien est partie intégrante de la nation française et que certains de ses enfants rendent même la justice en Polynésie. Je vois cela d'un œil extrêmement positif, il a été nommé à sa demande et c'est une personnalité qui va immanquablement enrichir le parquet de Papeete."

Revenons à vous, quelles affaires regrettez-vous de ne pas avoir menées à terme ?

"Je n'ai pas de regrets sur des affaires dans lesquelles il a pu y avoir une relaxe par exemple, comme c'est arrivé. Là où j'ai une petite amertume, un goût d'inachevé, c'est sur les quelques affaires de découvertes de cadavres qu'on n’a jamais pu identifier, ou des disparitions de personnes que nous ne sommes pas parvenus à élucider. Il y en a eu quelques-unes. Mais un dossier n'est jamais véritablement fermé. Je pense au dossier du journaliste JPK [Jean-Pascal Couraud, ndlr] qui est toujours à l'instruction, ne l'oublions pas. À un moment ou à un autre, ce type d'affaire peut-être élucidé. J'en veux pour preuve le dossier Rachel Aberos. Le dossier avait fait l'objet d'un non-lieu en 2007 quand je l'ai fait rouvrir en 2010. Et en ré-analysant des prélèvements génétiques nous avons pu identifier l'auteur du viol suivi du meurtre de cette enfant de 14 ans, il a avoué et il a été jugé, même 23 ans après les faits. On peut élucider de telles affaires grâce à l'amélioration des techniques d'investigation criminelle."

Justement, dans les affaires élucidées, quelles ont été les plus marquantes pour vous ?

"Celle-ci justement, que je considère comme ma plus belle réussite. Il y a aussi eu de gros dossiers d'escroquerie, les emplois fictifs, des affaires complexes comme l'affaire OPT, même si l'ordonnance a été annulée, elle est de nouveau entre les mains du juge d'instruction. Des dossiers criminels aussi, qui ont pu être élucidés rapidement alors qu'il n'y avait au départ que très peu d'indices. Je pense à l'assassinat de ce touriste allemand, Stefan Ramin, aux Marquises. C'est un gendarme marquisien déployé rapidement sur le terrain qui a pu relever la trace d'un brasier et qui a découvert, en fouillant dedans, des dents et des fragments d'os. Il n'y avait plus grand chose. Cette découverte a permis grâce à notre plateau de médecine légale à l'hôpital du Taaone, d'entrer en contact avec le dentiste de la victime présumée en Allemagne et de l'identifier formellement, tout cela en moins de 48 heures. Sans cette découverte rapide, sa disparition serait probablement restée inexpliquée."



Rédigé par Propos recueillis par Raphaël Pierre le Lundi 18 Juillet 2016 à 14:31 | Lu 4831 fois