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John Doom, un "metua" s'en est allé…


Homme de lettres, de culture et d'église, John Doom a tiré sa dernière révérence le soir de Noël. (Photo : Marie-Hélène Villierme)
Homme de lettres, de culture et d'église, John Doom a tiré sa dernière révérence le soir de Noël. (Photo : Marie-Hélène Villierme)
PAPEETE, le 26 décembre 2016 - Figure éminente de la culture polynésienne et homme engagé, John Doom s'est éteint le soir de Noël, à l'âge de 80 ans, des suites d'une longue maladie. Co-fondateur de l’Académie tahitienne et ardent militant anti-nucléaire, il était aussi très impliqué au sein de l’église protestante mā'ohi. Apprécié de tous, ce sage qui a œuvré sa vie entière pour les Polynésiens restera dans toutes les mémoires. Une veillée sera organisée ce soir à 19 heures, au temple protestant Thabor de Pirae, puis la levée du corps aura lieu demain vers 14 heures, avant qu'il ne rejoigne sa dernière demeure, au cimetière de Papeari.


Doom. John Doom. Tout le monde le connaissait au fenua pour ses fortes convictions et sa détermination sans faille, et chacun l'aimait et le respectait pour cela. Affaibli et éprouvé par la maladie depuis plusieurs longs mois, le grand homme s'en est allé à l'âge de 80 ans, le 25 décembre en début de soirée, plongeant toute la Polynésie en deuil. Né en 1936, Taroanui (son prénom mā'ohi) vit son enfance à Tubuai, dans l’archipel des Australes, loin des tumultes de la Seconde Guerre mondiale. Très investi au sein de l'église évangélique, il devient diacre à Papeete en 1962 et remplit notamment les fonctions de secrétaire général de l’Église protestante mā'ohi (de 1971 à 1988), puis celles de secrétaire exécutif du conseil œcuménique des Églises (COE) pour le Pacifique (de 1989 à 2000).

Défenseur des langues polynésiennes, il a aussi mené un combat avec Bruno Barillot pour la reconnaissance des victimes des essais nucléaires. (Photo : Tenahe Faatau)
Défenseur des langues polynésiennes, il a aussi mené un combat avec Bruno Barillot pour la reconnaissance des victimes des essais nucléaires. (Photo : Tenahe Faatau)
Du haut de ses trente ans, alors qu'il est jeune journaliste bilingue à l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), il assiste le 2 juillet 1966 au premier tir à Moruroa, une expérience qui va le marquer à vie. Pour le lancement de la première bombe française, Il se trouve en effet sur l’île de Mangareva comme interprète du ministre de la France d’Outre-mer, Pierre Billotte, venu assister (de loin) à l’événement. "Ce jour-là, les retombées radioactives sur Mangareva sont telles que la délégation officielle doit s’enfuir précipitamment, laissant une population locale dans la plus totale ignorance", rapporte Bruno Barillot, responsable du suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie, qui a été évincé par Gaston Flosse en 2013 avant de reprendre récemment les commandes du comité. C'est le déclic, John Doom devient alors un ardent militant anti-nucléaire. D'autant que ses homologues et les Églises chrétiennes du Pacifique sont, eux-aussi, préoccupés par les conséquences des expériences nucléaires américaines aux îles Marshall et anglaises en Australie et à Christmas Island.

Il a publié en octobre dernier ses "Mémoires d’une vie partagée - A he’e noa i te tau", un ouvrage autobiographique, comme un dernier au revoir.
Il a publié en octobre dernier ses "Mémoires d’une vie partagée - A he’e noa i te tau", un ouvrage autobiographique, comme un dernier au revoir.
UN HOMME ENGAGÉ POUR SON FENUA

Grâce à ses relations œcuméniques, il fonde le 4 juillet 2001, avec Roland Oldham et Bruno Barillot, Moruroa e Tatou, l’association locale de défense des travailleurs du nucléaire (pour la métropole, l’Association des vétérans du nucléaire est créée à Lyon le 9 juin 2001). Il consacre ainsi une grande partie de sa vie de retraité au combat pour la reconnaissance des victimes. Ancien coordinateur de l’association, il en était jusqu’à aujourd’hui le président d’honneur. John Doom est également connu pour son engagement dans la vie culturelle de son fenua. Fervent défenseur des langues polynésiennes, il crée en 1972 avec Maco Tevane l'Académie tahitienne, dont les principales missions sont la conservation et la promotion du reo tahiti.

D'abord chancelier, il devient ainsi l'un des "premiers immortels", puis succède, en 2012, à Maco Tevane à la tête de l'institution. Désormais directeur, il est un puissant moteur dans les projets de Fare Vāna'a, notamment au travers de la publication de divers dictionnaires et lexiques qui rendent aux langues leurs lettres de noblesse. Ancien élu du conseil municipal de Pirae, il est également un membre très actif du Conseil économique, social et culturel (CESC). Homme de lettres, il a publié par ailleurs, en octobre dernier, ses "Mémoires d’une vie partagée - A he’e noa i te tau", aux éditions Haere Pō, un ouvrage retraçant sa vie bien remplie au service des Polynésiens.

Le corps de John Doom, dit Tematauira, est actuellement exposé au temple protestant Thabor de Pirae, où un culte aura lieu ce soir, à 19 heures, et demain, à 13 heures.
Le corps de John Doom, dit Tematauira, est actuellement exposé au temple protestant Thabor de Pirae, où un culte aura lieu ce soir, à 19 heures, et demain, à 13 heures.
DERNIER VOYAGE À PAPEARI

Le corps de John Doom, dit Tematauira, est actuellement exposé au temple protestant Thabor de Pirae, où un culte aura lieu ce soir, à 19 heures. Une seconde cérémonie religieuse est également programmée demain, toujours au temple protestant Thabor, à 13 heures. Elle sera suivie de la levée du corps vers 14 heures. L'inhumation est ensuite prévue à 16 heures, au cimetière de Papeari, sa dernière demeure.

"Papy" pour certains, "tonton" pour d'autres et "mémoire" pour tous, les hommages ont été nombreux, que ce soit de la part du monde religieux, du milieu culturel ou des classes politiques, ainsi que de ses proches, bien sûr, chacun rappelant à sa manière les qualités humanistes de ce grand homme charismatique. On se souviendra tous de cette force tranquille, dotée d'un large sourire, à peine dissimulé sous son chapeau traditionnel. La Polynésie vient de perdre un sage, un ancien, une mémoire, un "metua", un guide… Toute la rédaction de Tahiti Infos s'associe à la douleur de la famille, avec toutes nos plus sincères condoléances.


Lire aussi les messages de condoléances : http://www.tahiti-infos.com/Messages-de-condoleances-suite-au-deces-de-John-Doom_a156265.html

Ce grand homme charismatique a consacré toute sa vie au service de son fenua. (Photo : Marie-Hélène Villierme)
Ce grand homme charismatique a consacré toute sa vie au service de son fenua. (Photo : Marie-Hélène Villierme)
Les réactions


Sabrina, la nièce de John Doom :
"C'était mon tonton au chapeau"


"Pour moi, c'était un deuxième papa. Il nous a appris à nous aimer les uns les autres, à partager et à être fiers de notre culture, fiers d'être Polynésiens. Au travers de son livre ("Mémoires d’une vie partagée - A he’e noa i te tau", ndlr) auquel j'ai participé, j'ai constaté qu'il avait de grandes connaissances, il connaissait tout le Pacifique, il a voyagé aux quatre coins du monde. C'était quelqu'un de très aimé, très apprécié, il a su apporter à l'étranger tout son amour de la Polynésie. Outre la sauvegarde de nos langues, un autre de ses combats concernait les essais nucléaires en Polynésie ; il n'a eu de cesse de montrer et crier sa désapprobation de fait d'avoir vécu le tir de la première bombe et de savoir que cela tuait des gens. Je garderais le souvenir d'un homme très généreux envers tout le monde, qui aimait également faire de l'humour ; c'était mon tonton au chapeau, dont la joie de vivre était incommensurable."


Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la Promotion des langues et de la Culture
"C'est un papa qui s'en va encore pour moi…"


"C'était un ami de la famille, un compagnon de longue date de mon père (Maco Tevane, de son vrai nom, Marc Maamaatuaiahutapu, décédé le 21 août 2013, ndlr). Ils ont été ensemble interprètes, puis journalistes à l'ORTF, et j'ai suivi ma scolarité avec son fils. Au-delà du metua, c'est un papa qui s'en va encore pour moi… C'était un pilier pour notre fenua, en tant que membre fondateur de l'Académie tahitienne avec mon père et des personnes comme Samuel Raapoto. Il a œuvré pour que l'institution puisse voir le jour, avec une volonté perpétuelle de défendre les langues polynésiennes. Il a apporté beaucoup sur le plan linguistique en particulier, et la culture en général. Témoin privilégié, il commençait à peine à livrer les détails de notre histoire, il avait encore beaucoup de choses à nous dire et à nous apprendre."


Denise Raapoto, membre de l'Académie tahitienne depuis 2003 :
"Une personne de confiance, pragmatique et très active"


"C'est une grande perte, j'éprouve une profonde tristesse. C'était l'un des piliers de l'Académie tahitienne depuis sa fondation, l'un des initiateurs les plus importants. Je retiendrai de lui une personne de confiance, pragmatique et très active ; il maîtrisait l'informatique, Internet, etc., tous les outils de communication en raison notamment de son rôle au sein des Églises du Pacifique. J'ai beaucoup apprécié de travailler avec lui, il était très ouvert à la discussion, à l'écoute des projets qu'il était toujours prêt à soutenir. Je vais beaucoup le regretter, je le considérais comme un père…"


Gouvernement de la Polynésie française :
"Un homme d’une profonde humanité"


"Avec conviction, mais avec une grande tolérance et un grand respect d’autrui, John Doom a consacré sa vie à défendre les polynésiens. C’était un homme d’une profonde humanité, qui aimait le peuple polynésien, sa culture et ses langues. Il laissera à tous ceux qui l’ont côtoyé le souvenir de sa grande bonté, de son esprit vif, et de sa détermination. C’est l’ensemble de la Polynésie qui pleure aujourd’hui un grand homme, un sage, un guide."

Rédigé par Dominique Schmitt le Lundi 26 Décembre 2016 à 16:16 | Lu 3444 fois