Jeanne Lecourt-Bouveret, femme de défis


TAHITI, le 18 mai 2022 - Elle est la présidente de la toute nouvelle association Vahine Arata’i no Porinetia. Jeanne Lecourt-Bouveret s’engage pour et avec les cheffes d’entreprises de Polynésie. L’occasion de découvrir le parcours d’une femme passionnée qui a mis ses compétences et son enthousiasme au service de la perle, la seule gemme française.

Tout au long de sa vie professionnelle, Jeanne Lecourt-Bouveret n’a cessé de relever des défis. Elle est une femme de challenges, mue par l’envie de faire toujours plus et toujours mieux ; d’aller toujours plus loin en découvrant de nouveaux horizons. Elle est la présidente de l’association Vahine Arata’i no Porinetia qui a officiellement vu le jour début avril.

Au service des actrices économiques

Les actrices économiques polynésiennes se sentent isolées sur un territoire aussi grand que l’Europe, dont les réseaux de transport sont dépendants des aléas climatiques, économiques, "mécaniques" et où persiste une disparité des accès aux divers réseaux. Elles sont 13 000 au fenua et rencontrent souvent des difficultés dans le développement de leur business. De la couturière aux Marquises à l’agricultrice aux Australes en passant par la prestataire de service aux îles du Vent, la cheffe d’entreprise doit allier sa vie de famille à sa vie professionnelle et se tenir constamment informée des modalités légales liées à son activité économique.

Pour les accompagner dans leur parcours, une dizaine de femmes cheffes d’entreprises a lancé Vahine Arata’i no Porinetia répondant par là au vœu de Poema Pidou de la Chambre de commerce, d’industrie, des services et des métiers. Jeanne Lecourt-Bouveret, interrogée à propos de cette nouvelle association, détaille les commissions en place (mémoire, women business Angel, événementiel, international…). Elle explique vouloir lancer un état des lieux des besoins post-Covid des membres. Elle insiste sur les valeurs portées par l’association, sur l’indispensable écoute de chacune. Jeanne Lecourt-Bouveret entend mettre au service de sa nouvelle cause toutes ses compétences et connaissances. Elle a passé sa vie dans le milieu de la perle, voyagé aux quatre coins du monde, rencontré les touristes, les décideurs, les professionnels, les puissants et les anonymes apprenant à leur contact autant sur le produit à vendre que sur les relations humaines.

"Je voulais faire du commerce international pour voyager."

Jeanne Lecourt-Bouveret est née en 1968 à Tahiti. Sa mère est Polynésienne, originaire des Australes, son père métropolitain. “Il était marin. J’ai quitté la Polynésie bébé. À l’époque on a fait Papeete-Marseille en bateau.” Son baccalauréat en poche, elle opte pour une école de commerce. “Je voulais faire du commerce international pour voyager.” Elle intègre donc l’European business school (EBS) à Paris. “Quand je pouvais, j’allais voir décoller les avions à Roissy. J’avais l’impression de partir moi aussi”, rapporte-t-elle, amusée. Elle enchaîne ensuite avec un stage dans une filiale de L’Oréal à Londres, comme assistante marketing. Stage concluant : Elle est embauchée. “Mais au bout de 6 mois ma mère m’a rappelée. Elle m’a dit : Tu as terminé tes études. Reviens à Tahiti !” Jeanne Lecourt-Bouveret reconnaît avoir “adoré” son expérience britannique mais “l’appel de la Polynésie a été plus fort.”

Mars 2009 - Rangiroa - sa 1ère greffe
Une fois sur place, elle refuse d’entrer dans l’administration comme le lui suggérait sa famille : “Je n’avais pas fait des études pour être fonctionnaire !” Elle trouve un poste de d’agent commercial pour une société d’import. Et c’est au cours de cette expérience professionnelle qu’elle rencontre, par hasard, ce qu’elle nomme aujourd’hui “la passion de ma vie”. À savoir, la perle. C’est Georges, “un vieux monsieur des Tuamotu” qui lui a un jour demandé de l’aider pour vendre ses perles. “J’y suis allée pour m’amuser.”

Un jour, Georges l’a présentée à Laurence et Rémy Bouché. Le couple cherchait à son tour quelqu’un pour vendre ses perles. “En me voyant, Rémy m’a dit que c’était un produit à part, qu’il fallait des compétences bien particulières. Il m’a lancé un défi.” Il lui laisse un lot pour la tester. Jeanne Lecourt-Bouveret le vend en un temps record. Elle est recrutée. “J’ai tout appris. Gérer une ferme perlière, des bijouteries, participer à des salons internationaux : Tucson, Hong Kong, Paris, Las Vegas… C’était vivant. Il y avait un milliard de choses à faire.” En Polynésie, elle était aussi en boutique. Elle se rappelle qu’un jour, elle a reçu deux clients, “vraiment charmants, simples, accessibles. Il s’agissait du roi et de la reine de Jordanie. “Je ne l’ai su qu’à l’issue de la vente… au bout de deux heures.

"C’était comme jouer la comedia dell’arte."


En 1997, Jeanne Lecourt-Bouveret rencontre Robert Wan pour qui elle a organisé une tournée des plus grands palaces européens. Elle avait dû faire face à des acheteurs aguerris, et affûté ses propres armes, en conséquence. “C’était comme jouer dans une commedia dell’arte.” Elle en rit encore, ravie. L’occasion surtout pour de faire ses preuves : “Quels souvenirs !

Au Cibjo congress en 2011
En 2001, après dix années passées avec Laurence et Rémy Bouché, Jeanne Lecourt-Bouveret change de société. Elle forme des vendeurs, retrouve un poste de vente en bijouterie. “Et puis j’ai eu une idée, un concept.” Elle trouve un financeur et lance le Tahiti Pearl Market. Un marché sur trois étages pour proposer aux clients une ambiance et une offre de perles en fonction de leurs moyens. Ils pouvaient choisir leur monture, et même participer à la fabrication parfois. “C’était une véritable expérience que l’on proposait.” Le concept plait au-delà de toute espérance. “J’avais pour objectif 10 millions de Fcfp par mois. Au bout de deux ans, j’en faisais 45 ! Je savais que ça allait marcher.”

En 2006, Jeanne Lecourt-Bouveret rejoint Robert Wan. “Je n’aime pas m’ennuyer. Je voulais changer.” Elle se rappelle les visites des fermes perlières avec des “gros clients”, les salons à l’international, un défilé de mode Place Rouge à Moscou. Elle repense à ses équipes locales et internationales qu’elle suivait de près. Elle revient sur l’écoute et l’attention. “Localement, j’accordais une heure hebdomadaire à chaque vendeur pour entendre tout ce dont il voulait parler, sans juger, ni rien attendre”, dit celle qui promeut le “management participatif”.

En 2008, elle s’engage dans un projet de musée et de centre de revente, en Andorre. “Mais il n’a pas vu le jour en raison de la crise. Les banques nous ont finalement refusé les crédits.” En 2009, elle refuse de prendre la tête de la Maison de la perle. Elle accepte en 2010 de faire la promotion de la perle de Tahiti à l’international. Et elle reprend la route.

Une classification internationale de la perle

En 2011, la voici participant pour la première fois à une rencontre de membres de la Confédération internationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des diamants, perles et pierres, la Cibjo. Ce groupement encourage l’harmonisation des pratiques, promeut une coopération internationale dans l’industrie de la bijouterie, résout les problèmes concernant le commerce mondial de bijoux…“Nous n’étions que deux représentants des producteurs de perles, un consultant japonais et moi.” Tandis que les discussions tournaient autour des problèmes de définition et de techniques perlières, Jeanne Lecourt-Bouveret prend la parole, s’affranchissant des protocoles en vigueur : “Je m’ennuyais et je ne comprenais pas l’intérêt des échanges. J’ai fait une demande toute simple : Mettre en place une classification internationale et unique de la perle.” La demande esté mise au vote, et… acceptée ! En 2012, Jeanne Lecourt-Bouveret est sollicitée pour devenir la vice-présidente de la commission perlière de la Cibjo. Elle a depuis travaillé sur le projet de classification qui a finalement abouti l’année dernière.

Place vendôme avec le ministre Temaurii Foster, Monsieur Bandarin de l'Unesco et monsieur Legaret, maire du 1er arrondissement.
En 2011 toujours, Jeanne Lecourt-Bouveret participe à l’organisation d’une exposition place Vendôme pour les 50 ans de la perle de Tahiti. Rappelons que c’est en 1961 que Jean-Marie Domard, précurseur de la perle de Tahiti, testait pour la première fois sur des Pinctada margaritifera la technique de greffe inventée par le Japonais Kōkichi Mikimoto pour la culture de perles. L’exposition-anniversaire rencontra un joli succès malgré les embûches rencontrées en amont.

En 2014, peu après la fermeture de la Maison de la perle, Jeanne Lecourt-Bouveret fonde la fédération perlière de Polynésie française. À ne pas confondre avec la Tahitian Pearl Association. “Nous n’avons, en 7 ans, reçu que 3,5 millions de Fcfp de subvention pour fêter les 60 ans de la perle en 2021”, souligne-t-elle, alors que son parcours professionnel continue. Elle vient de finir l’enregistrement d’une master class, reste consultante et anime des formations qui traitent de l’histoire de la perle, de techniques de commercialisation… “Saviez-vous que la perle de Tahiti était la seule gemme française ? Qu’elle est la seule perle au monde qui ne soit pas traitée chimiquement ?” Sur le sujet, elle reste intarissable. La passion de Jeanne Lecourt-Bouveret est comme au premier jour, quand elle a rencontré Georges. “Et dire que je ne l’ai jamais revu !




Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 18 Mai 2022 à 16:35 | Lu 2414 fois