"Je me dis toujours que c'est de ma faute" (Leila, femme battue)


TAIARAPU EST, le 26/11/2017 - Leila* vit un calvaire depuis plusieurs années. Elle reçoit souvent des coups et des insultes de la part de son conjoint. "Tu es bête" ou encore "tu ne sais pas parler", autant d'humiliations qui ont poussé dernièrement Leila* à penser au suicide. Fragile et perdue, Leila* vit quotidiennement dans la peur. Elle s'est confiée anonymement à Tahiti Infos.

Leila* et moi, nous nous sommes rencontrées à Taravao, lors de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes. L'approche n'a pas été facile, et il a fallu bien négocier avec elle, avant d'obtenir son accord. Mais, pour ne pas éveiller les soupçons de son conjoint - qui était en train de discuter un peu plus loin avec ses amis - nous nous sommes rendues séparément à l'étage, dans le bureau de la présidente de l'association "Vahine Orama de Tahiti Iti", Marie-Noëlle Epetahui.

Une fois là-haut, je ressens la peur dans les yeux de cette femme meurtrie. "Il va falloir faire vite, sinon, il va se douter de quelque chose", lance-t-elle d'entrée.

Avec mon enregistreur, on commence son interview. À ma première question : "Vous vous faites battre souvent par votre conjoint ?", Leila* a eu une réponse assez surprenante, ou du moins à laquelle je ne m'y attendais pas. "Je ne peux pas dire battre, peut-être que c'est ma façon de parler." Là, j'ai vite compris que cette femme était réellement dans la détresse, et qu'il fallait réagir.

Plus les minutes passent, plus cette conviction se confirme. Son témoignage est si poignant que j'en ai eu des frissons et les larmes aux yeux.

NEUF ANS DE CALVAIRE


Leila*, 52 ans et son conjoint vivent à la Presqu'île.

Si tout se passait pour le mieux au début de leur rencontre, les choses ont vite changé, quelques mois plus tard. Au début, ce sont des insultes, puis viennent les coups. Et, "lorsque je subis des violences, je reste dans mon coin et je me dis que c'est de ma faute".

Les disputes continuent. "Il aime bien me dire que je suis bête, que je ne sais pas parler. Il aime me rabaisser, il me traite de folle dingue, je ne sais rien faire, des mots durs qui font mal et qui nous irritent. Et, il y a peu, j'ai commencé à lui répondre, malgré ma maladie. Dès fois, je me dis que je ne sais pas parler, donc je préfère me taire."

Dès fois, "je vais devant la glace pour me regarder". Et c'est en pleurs qu'elle regarde son visage meurtri, "parce que je n'étais pas comme ça avant. J'étais une femme remplie de joie, maintenant tout a changé." Toujours amoureuse de son conjoint, Leila* arrive même à lui trouver des excuses, malgré tout. "Je me dis aussi que si cette personne est agressive, c'est sûrement parce qu'elle a été tapée quand elle était enfant. Mais ce n'est pas une raison de ramener sur moi."

"J'ai 52 ans et je souffre encore aujourd'hui", et là encore, elle culpabilise. "Après, je me dis toujours que c'est de ma faute. Heureusement que je ne bois pas, sinon je vais passer mon temps à boire." Il n'y a pas longtemps d'ailleurs, la mère de famille a encore reçu des coups, et ce sera la fois de trop. "Ma voisine est allée déposer une plainte", et son tāne a, bien sûr, rejeté la faute sur Leila*. "Il a dit aux gendarmes que je crie et que je suis bête."

Une situation qui a failli aboutir sur un drame. "Une fois, il y avait la corde devant moi et j'ai regardé les bois de la toiture. J'avais pensé à passer à l'acte, tellement je suis remplie de colère et de souffrance. Mais, avant de franchir le pas, une voix intérieure m'a dit : "Tu ne vas pas mourir pour cette personne-là. On a besoin de toi." Donc, je me suis arrêtée."

"J'ai cinq enfants d'un premier lit. Mais je ne veux pas aller chez eux. Je ne veux pas les déranger, ils ont leur vie. Je préfère porter mon fardeau."

Depuis la semaine dernière, Leila* est suivie par l'association "Vahine Orama de Tahiti Iti". "Je suis venue ici, par l'intermédiaire d'une autre personne. Avant je baissais toujours les yeux, j'allais dans un coin et je ne parlais à personne."

Même si elle se sent accompagnée, Leila* ne peut s'empêcher de retrouver son conjoint, de peur de subir de nouveau, des violences. "Il a tendance à me critiquer devant les gens, lorsqu'on lui pose des questions. Donc, c'est ma version contre la sienne. Mais je leur dis toujours que quand on se retrouve dans la chambre, c'est entre lui et moi. Je suis la seule à réellement le connaitre."

"J'ai besoin de parler avec quelqu'un", lâche Leila, en pleurs.

"On est membres tous les deux de l'Eglise mormone. On connait nos principes, je connais la bible. Et quand je mets un pied en avant, eh bien, il met son pied en arrière et on tombe. Mais, quand je fais ma prière, je demande aussi à ce qu'on l'aide", raconte Leila*.

Malgré sa souffrance, Leila* garde espoir qu'un jour son calvaire prenne fin. Et le fait de se retrouver avec d'autres femmes battues de l'association lui fait du bien. "Je souffre jusqu'à présent, mais je sais que je peux m'en sortir", dit-elle avant de sortir du bureau.




(*) prénom d'emprunt

Marie-Noëlle Epetahui, 58 ans
Présidente de l'association "Vahine Orama de Tahiti Iti"


Comment êtes-vous tombée dans ce milieu ?

"Je suis une femme qui aime aider son prochain, et j'ai vu sur la Presqu'île qu'il y avait des membres de Vahine Orama qui recevaient des femmes battues. Je voulais voir comment ça se passait, parce que lorsque j'étais une enfant, je voyais des femmes qui se renfermaient sur elles-mêmes, et qui ne connaissaient pas leurs droits. En 2006, je suis entrée dans cette association."

Quelle est votre première approche lorsque vous rencontrez des femmes battues ?

"J'écoute d'abord les femmes lorsqu'elles viennent me voir. Quand une personne pleure devant moi, je ne lui demande pas si elle va bien, non. Je lui dis "mai" (viens), et elle se confie automatiquement, je n'ai même pas besoin de lui poser des questions. Ensuite, nous échangeons jusqu'à ce qu'on arrive à la raison de cette violence. Et, c'est là que je lui demande ce qu'elle attend vraiment de moi. Parce que lorsque je parle avec ces femmes battues, je leur donne des conseils, et pour la plupart des cas, ce sont des conseils qu'elles n'ont pas envie d'entendre. Mais elles n'ont pas vraiment le choix, je ne suis pas une personne qui tourne autour du pot, je suis directe. Une fois cette étape terminée, je les oriente vers les personnes adéquates, soit la gendarmerie ou l'assistante sociale. Tout dépend de la gravité de la situation. Si elle a été battue, je lui dis d'aller chercher un certificat médical et de se rendre ensuite à la gendarmerie pour porter plainte. Mais attention, lorsqu'on porte plainte, il ne faut pas retourner dans les bras de l'auteur, pour se faire taper de nouveau. Aujourd'hui, on voit aussi des hommes qui se font battre par leurs femmes. Beaucoup viennent me voir pour me poser des questions, et connaitre les démarches à suivre."

Quel est le principal facteur de ces violences ?
"Le principal facteur est la jalousie, vient ensuite le vécu de l'enfance, puis l'alcool."

Recevez-vous également les auteurs des coups ?
"Oh oui, et c'est choquant aussi pour moi de les voir. J'ai reçu un homme il n'y a pas longtemps, parce que sa femme avait porté plainte contre lui, et il ne savait plus quoi faire. Il avait peur d'aller en prison, et il voulait se suicider. Il a fait une tentative de suicide, mais je l'ai raisonné. Je suis intervenue quatre fois chez lui, et j'ai vu comment il parlait avec sa femme. À chaque fois, je lui disais de ne pas faire ceci, cela. Un jour, il est venu me voir. Nous avons bien discuté, et il s'en sort bien aujourd'hui parce qu'il a reconnu son acte. Alors qu'au début, il était toujours en train d'accuser sa femme. Je lui ai dit que s'il continuait à ce rythme-là, il allait perdre sa femme. J'ai même rajouté que si j'étais à la place de sa femme, je l'aurai déjà quitté. J'ai répété 4 fois la même chose et il avait compris mon message."

Y'a-t-il beaucoup de femmes battues qui retournent avec leur tāne ?

"Et ce qui me fait mal, c'est ce que je vois dans les journaux, alors que j'ai tout fait. On a essayé. La femme est libre de son choix, elle connait ses droits. Tu ne peux pas forcer la personne. Si elle tombe, tu ne peux plus rien faire. Le plus important est de sensibiliser et d'informer les personnes sur les droits de chacun. Depuis 2006, j'ai aidé plus de 9 000 femmes."

Que pensez-vous de la Polynésie de nos jours ?
"Avec toutes ces femmes qui meurent, qui sont maltraitées… J'ai mal au cœur. Je me dis qu'elles n'ont pas pu supporter et que ce n'est pas de leurs fautes. Et je suis sûre qu'au fond de leurs cœurs, elles appelaient au secours. Il y a des personnes qu'on n'écoute pas du tout et qui se réfugient dans l'alcool. Je suis une personne qui est attentive à tout. Donc, il y a des gestes qui font que j'arrive à percevoir que telle personne est battue."


Wendy Otomimi
Directrice adjointe de l'association "Te Rama Ora"


Quel est le constat aujourd'hui par rapport aux femmes battues ?
"Il y a de plus en plus de révélations dues aux campagnes de sensibilisation et aux associations de proximité, comme Vahine Orama. Ça peut aider la victime à s'exprimer par rapport à cette violence. Les femmes osent en parler, aujourd'hui."

Quel est le parcours lorsqu'une personne dépose plainte pour violences ?
"La victime, dès qu'elle est violentée, dépose plainte. Donc, la plainte peut se faire en gendarmerie ou à la police, dans n'importe quelle commune. Une fois que la plainte est déposée, une enquête est ouverte. Forcément, l'auteur de ces violences est interrogé sur ce qui s'est passé, et éventuellement les témoins s'il y en a. Ensuite, cette procédure sera transmise au procureur, et ce sera lui qui décidera des poursuites à mener contre l'auteur de ces violences. Donc, forcément, s'il y a des poursuites qui sont menées, la victime et l'auteur seront convoqués à une audience. Et un magistrat sera amené à statuer sur la condamnation. Il abordera aussi la question de la réparation de la victime, celle-ci a des possibilités à demander des dommages et intérêts pour ce qu'elle a subi."

Combien de temps dure en général une procédure ?
"Elle peut durer plusieurs années, si notamment, il y a un viol conjugal, par exemple. On n'en parle pas beaucoup parce que les personnes dans le couple pensent qu'ils se sont mis en couple, donc forcément, on consent à l'acte sexuel. Alors que non. C'est ton corps et tu choisis si tu consens ou non à un acte sexuel. Le public a tendance à croire qu'ils sont mariés, donc forcément, tu dois le faire, alors que non. Il faut savoir que la loi punit le viol conjugal, comme étant un crime, et ça fait partie des infractions les plus graves. Donc, l'enquête va mettre un peu plus de temps et la procédure aussi."

Les femmes sont-elles nombreuses à retirer leurs plaintes, par la suite ?

"Régulièrement, les victimes retirent leurs plaintes. Dans le couple, il y a les frustrations et à un moment donné, il y a une explosion. Donc, qu'est-ce qui se passe ? Soit, on passe à l'acte verbalement, soit c'est physiquement. Ensuite, chacun part de son côté pour faire un débriefing sans réellement résoudre le problème. Et le soir, on se retrouve sous le même toit et on se réconcilie. Au fur-et-à-mesure, c'est comme un vase qui se remplit, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase et on passe à l'acte. Dans ce cycle-là, les personnes vont déposer plainte tout de suite après l'acte, ensuite, il y a cette réconciliation. Donc, la victime, en général, retourne voir la gendarmerie ou la police pour retirer sa plainte. Il faut savoir que le retrait de la plainte ne va pas faire échec à la procédure. Le procureur peut poursuivre sans la victime. Si l'enquête révèle qu'il y a eu une violence qui a été infligée à une personne, il y a une infraction qui a été commise. Donc, il y a une poursuite."


TÉMOIGNAGE ANONYME D'ENFANTS

Elsa, 11 ans et son petit frère Maui, 9 ans

"Je n'oublierai jamais ce que j'ai vu"


"J'ai vu mon papa taper ma maman plusieurs fois. Il tapait souvent sur la tête, et je pleurais dans ma chambre. J'avais trop peur. C'était tous les jours comme ça. Avant que mon frère arrive, mon papa tapait ma maman, et elle a même failli faire une fausse couche. Il donnait des coups de poings sur le ventre de ma maman. Il ne voulait pas que mon petit-frère naisse. À l'école, j'étais toute seule dans mon coin et je me suis confiée à mamie. Aujourd'hui, on vit avec mamie. Mais je n'oublierai jamais ce que j'ai vu. Ils sont toujours ensemble et ça va mieux parce que ma mamie a dit à mon papa de ne plus taper ma maman, sinon, elle gardera mon petit-frère définitivement."



Rédigé par Corinne Tehetia le Dimanche 26 Novembre 2017 à 19:00 | Lu 10841 fois