JO : restrictions et désillusions


Depuis hier, l'accès au PK0 est autrorisé aux personnes non munies de laissez-passer dans la limite de 50 véhicules. Crédit : Anne-Charlotte Lehartel
Tahiti, le 24 juillet 2024 - Enfin, la prestigieuse compétition olympique de surf va débuter au PK0. Si beaucoup l’attendent avec impatience, pour l'expérience vécue ou les opportunités professionnelles, ils sont également nombreux à souffrir d’un symptôme : la désillusion olympique, engendrée par les restrictions imposées du 20 juillet au 5 août dans la commune de Teahupo’o. Malgré l’allègement de ces dernières annoncé par le haut-commissariat, beaucoup de touristes, d’habitants et de professionnels demeurent déçus par une compétition aux cinq anneaux qui ne s’annonce “pas comme on le pensait”.
 
C’est LA compétition sportive la plus suivie du monde. Trois milliards de spectateurs lors des Jeux du Japon en 2020, et près de 4 milliards attendus pour ceux de Paris 2024. Alors, à Paris comme sur la presqu'île tahitienne, pas une mouche ne volera de travers (sauf si elle a son accréditation). Pour cela, le haut-commissariat veille au grain : afin d’éviter tout débordement et imprévu qui entacherait cet événement, une flopée de restrictions a été appliquée, sur terre comme sur mer.
 
Alors que celles-ci ont récemment été assouplies pendant la période des entraînements afin de “favoriser l’accès du public au PK0 et répondre aux préoccupations des commerçants et prestataires”, l’accès au public non muni de badge (piétons, véhicules, bateaux et drones non accrédités) demeure interdit de 6 à 17 heures. Depuis ce mercredi, il est toutefois ouvert aux visiteurs sans laissez-passer dans la limite de 50 véhicules. Les restrictions horaires repasseront de 5 à 19 heures à partir du 27 juillet. Rappelons que le périmètre de protection commence à la mairie de Teahupo’o.
 
Pour les professionnels et habitants de la zone, il fallait donc faire des démarches administratives pour obtenir son macaron, un laissez-passer qui permet de ne pas trop souffrir des restrictions sur place. Pour les spectateurs, le seul moyen d’accéder au site olympique est d’avoir gagné sa place pour une journée, à la fanzone du PK0 pour laquelle 600 places ont été attribuées lors de tirages au sort. Pour les autres, habitants, commerçants, professionnels non accrédités et spectateurs sans tickets (et parfois journalistes), il faudra se faire une raison.
 
Désillusion locale
 
C’était pourtant une occasion en or de remplir les caisses, témoigne Randy Li Chin Foc, gérant du Magasin Teahupo’o : “J’avais quasiment doublé les commandes pour les marchandises qui marchent bien, mais franchement, on tourne moins bien que les jours ordinaires”. Une profonde déception, alors que les Jeux étaient vus comme providentiels à grand renfort de touristes dépensiers sur le spot. “Quand on entend Jeux olympiques, on s’attend à un boom économique, mais pas du tout, alors qu’avec la WSL, on fait quasiment le double.
 
Idem pour Dan Matemoko, vice-président du comité des forains de Teahupo’o : “Pour l’instant, la fréquentation n’est pas suffisante. Certains parlent déjà de fermer leur stand. C’est une perte d’argent et de temps !” Tous attendent avec impatience l’ouverture de la fanzone du PK0 pour voir si la donne change, même si Elvis Parker, propriétaire du restaurant Hinerava PK0, le confie : “Vivement que les JO soient passés pour reprendre nos activités normalement.”
 
Même son de cloche pour les habitants des environs qui se retrouvent parfois bloqués dans leurs déplacements, trouvant même que la situation a des airs de confinement bis. “On doit se promener avec un badge pour justifier nos déplacements. C’est pesant ! On ne s’attendait pas du tout à cette ambiance”, témoigne la résidente Noëlla Mahanora. Annick Paofai, gérante de la pension Bonjouir au Fenua ‘Aihere, craint, elle aussi, pour l’arrivée de ses clients : “Samedi et dimanche, mes touristes sont passés sans problème. Et lundi, ils ont été bloqués, comme des terroristes !
 
Des spectateurs déçus
 
Chez de nombreux spectateurs, le symptôme de la désillusion olympique est aussi diagnostiqué : ils pensaient assister à un événement mémorable, mais force est de constater que ces Jeux ne seront pas aussi magiques – non en termes de compétition, mais d’expérience vécue – qu’ils l’imaginaient. C’est le cas de Kareem, jeune surfeur métropolitain venu travailler à Tahiti en février. “Ça fait longtemps que je voulais venir ici, et avec les Jeux, je me suis dit que c’était le moment. Des JO à Teahupo’o, on n’est pas près de revoir ça.” Après avoir assisté à la finale de la WSL, il n’a qu’une hâte : voir le quatuor tricolore décrocher les sommets de l’olympisme. Mais pour des raisons diverses et n’ayant pas décroché son sésame pour la fanzone du PK0, il décide de rentrer à Bordeaux mi-juillet, alors que les Jeux sont imminents. “Je ne pouvais plus surfer à cause d’une blessure et vivre les JO de l’intérieur, je crois que c’est mort. J’ai préféré partir.” Ce moment historique auquel il rêvait d’assister, il le regardera depuis son canapé, à la maison.
 
Les gens veulent pourtant goûter cette saveur olympique, quitte à trouver des combines pour y parvenir. C’est le cas de cette engagée dans le staff du CIO sur site. “Le fait de pouvoir assister et participer à ces jeux, ça a été un facteur hyper motivant pour tous les salariés et bénévoles qui ont postulé. On se doutait qu’il allait y avoir beaucoup de restrictions, donc on mesure notre chance d’y être.” Des chanceux, qui réalisent l’impact des restrictions : “Tu ne peux pas du tout circuler après la mairie de Teahupo’o, et on ne voit aucun touriste, ni à Vairao ni vers Taravao. Ça devrait bouger avec l’ouverture de la fanzone, mais pour l’instant, il n’y a personne. C’est compréhensible qu’il y ait des restrictions pour la sécurité d’un événement pareil… Mais bon, je pense qu’ils auraient pu faire un effort pour laisser un peu plus de place aux touristes pour faire vivre l’économie locale.”
 
L’assouplissement des mesures
 
Pour le haut-commissariat comme pour le CIO, il est utile de mettre en place un dispositif de sécurité musclé. Il faut dire, ce sont les Jeux olympiques, le monde entier regardera la France, et Teahupo’o pour le surf. Émerge alors une pression considérable sur les épaules qui accueillent et organisent : tout doit être impeccable. Que ce soit pour anticiper le pire, comme une attaque terroriste, ou des éventualités probables comme des accidents sur le plan d’eau ou sur terre, et d’autres aléas que pourrait entraîner une forte fréquentation.
 
Malgré cela, la décision a été annoncée par le représentant de l’État dans l’après-midi du 23 juillet d’alléger ces restrictions dans la commune de Teahupo’o jusqu’au 27 juillet, début des Jeux. Cinquante places sont même ouvertes au parking dédié, “quelle que soit l’heure, permettant ainsi à tous de profiter des restaurants, snacks et activités proposées par les forains et commerçants locaux”, peut-on lire sur le Facebook du haut-commissariat ce mercredi. Le post est titré “Haere Mai”. Les autorités auraient donc entendu le mécontentement de la Presqu’île ; et encouragent maintenant les spectateurs à venir nombreux profiter des préparatifs de l’événement. Le filtrage était pourtant militaire, en début de semaine. Geste salvateur ou incohérence organisationnelle ? Le haut-commissariat semble marcher sur des œufs.
 
Tom Larcher et Anne-Charlotte Lehartel
 

le Mercredi 24 Juillet 2024 à 19:50 | Lu 3573 fois