Innombrables tīpaniē


L’hibiscus et le bougainvillier ne sont pas les seules plantes à déchaîner les passions des jardiniers amateurs en Polynésie ; les frangipaniers offrent des dizaines de variétés à ceux qui ont la main verte et la place pour les planter
Tahiti, le 31 décembre 2021 - On les appelle plumerias ou Singapore frangipani en anglais, frangipaniers en français, tīpaniē en tahitien (sans accent et sans forme plurielle), mais en réalité, ces arbres ont autant de noms vernaculaires qu’il y a de langues pour les décrire. Nous aborderons aujourd’hui les deux espèces dominantes du genre Plumeria, à savoir Plumeria obtusa et Plumeria rubra, grâce auxquelles les passionnés disposent aujourd’hui de dizaines, de centaines même de variétés !
 
Mais d’abord, pourquoi “plumeria” ? Le genre, rattaché à la grande famille des Apocynanées, a ainsi été nommé en hommage au botaniste français Charles Plumier (1646-1704). Ce religieux était un botaniste distingué (en plus d’être un mathématicien reconnu). Louis XIV l’expédia par trois fois aux Amériques où il fit des découvertes et des descriptions de plantes remarquables. 

Charles Plumier, éminent botaniste dont le nom a été choisi pour la classification scientifique du genre Plumeria (initialement Plumieria).
Obtusa et rubra
 
Ainsi, si la vanille d’origine mexicaine avait été découverte en 1571 par Francisco Hernandez, c’est Plumier qui nomma la liane qui était alors appelée “vainillia”, devenant ainsi “Vanilla planifolia”. Il a également nommé le bégonia, le lobélia, le magnolia, le fuchsia et bien d’autres plantes. Compte tenu de son apport à la botanique, il méritait amplement que son nom soit donné à un genre, et pas n’importe lequel, le genre Plumeria.
 
Les plumerias correspondant à nos tīpaniē sont donc classés en deux espèces : Plumeria obtusa, à fleurs blanches et feuilles vert sombre, et Plumeria rubra, à fleurs blanches, jaunes ou rouges et feuilles d’un vert plus pâle.
Une troisième espèce de Plumeria est très à la mode dans nos îles, Plumeria pudica, mais elle est toutefois très différente des deux précédentes espèces.
Tous les frangipaniers sont de grands amateurs de soleil ; en revanche, ils n’aiment pas du tout les zones à l’ombre dans un jardin. En pot, ils dépassent rarement un mètre cinquante, alors qu’en pleine terre, l’arbre peut atteindre dix mètres de hauteur.

Frangipaniers et fruitiers
 
Mais malgré cette longue présence à Tahiti et dans les îles, le frangipanier ne connaissait pas encore le succès populaire qui est le sien aujourd’hui, tout spécialement depuis deux ans. 
En novembre 2019, deux jeunes passionnés, Karen (29 ans aujourd’hui) et Tumanarii (33 ans), décidèrent qu’ils n’avaient qu’une seule vie et que leurs boulots respectifs ne les passionnaient en rien. Ce qui les “branchait”, c’était les plantes, leur rêve étant de devenir des pépiniéristes, avec deux spécialités : les arbres fruitiers et les frangipaniers. 
Oh, certes, la surface actuelle de leur pépinière, à Paea, est petite (moins de mille mètres carrés) et leur jeune société, baptisée Artof Tahiti (AOT pour les habitués) a encore toute son histoire à écrire. Mais le fait est que depuis deux ans, le couple ne ménage pas sa peine, notamment sur les réseaux sociaux, pour se faire connaître en proposant aux jardiniers amateurs soit des graines de frangipaniers, soit des boutures. Le stock de roulement, en termes de plantes, est important puisque Artof Tahiti dispose en permanence de deux mille jeunes plantes environ. Les boutures, puisque les frangipaniers se prêtent admirablement à ce mode de reproduction, on devrait écrire de duplication, nécessitent environ une année de préparation avant d’être mises à la vente. Il est vrai que la jeune bouture demande une douzaine de mois pour pleinement développer ses racines et être ainsi prête à s’installer dans un nouvel environnement.
Karen et Tumanarii, les patrons de la jeune entreprise Artof Tahiti, proposent à leur clientèle des dizaines et des dizaines de variétés de tīpaniē.

250 variétés !
 
Que les amateurs de jardins fleuris disposant d’un peu de place n’hésitent pas à se tourner vers ce jeune couple très dynamique : Karen et Tumanarii sont à même de leur proposer la bagatelle de deux cent cinquante variétés environ, dont un certain nombre ont été mises au point à Hawaii, devenu l’archipel le plus en pointe en matière de culture des frangipaniers. 
Dans des grands pots ou en pleine terre, à vous de faire votre choix !

Plumeria pudica

Plumeria pudica est la troisième espèce du genre Plumeria présente en Polynésie française. Elle se reconnaît à ses branches verticales terminées par des toupets de fleurs immaculées (Photo : DP).
Plumeria pudica est la troisième espèce de Plumeria très présente à Tahiti. Appelé frangipanier pudique ou parfois bouquet de mariée, il est plus petit que les classiques frangipaniers puisqu’il ne dépasse guère quatre mètres de hauteur. Comme les frangipaniers, cet arbuste est originaire d’Amérique tropicale, mais son aire naturelle de répartition est plus étroite et se limite à la Colombie et au Venezuela, alors que les frangipaniers se trouvent dans toute l’Amérique tropicale et même dans les Caraïbes.
Enfin, signalons également que comme toutes les espèces de Plumeria, celle-ci est toxique. 

Elle se reconnaît à ses touffes de fleurs blanches fixées à l’extrémité supérieure des branches de l’arbuste, celles-ci étant toujours dressées droit vers le ciel et la lumière.
L’espèce se prête également très facilement au bouturage.

La famille Frangipani

Le nom de frangipanier serait dû, selon une version, à un noble italien issu d’une très grande famille se réclamant de l’un des derniers empereurs romains, Flavius Anicius Olybrius (il ne régna que quelques mois en l’an 472). 
Le marquis Pompeo Frangipani, qui avait le titre de maréchal de France sous les ordres de Louis XIII, créa un parfum à partir d’amandes, parfum avec lequel il traitait ses gants et ses chaussures. Plus tard, inspiré par ce parfum, son pâtissier attitré créa une crème d’amandes avec le même parfum, crème qu’il baptisa frangipane en l’honneur de son maître (et que l’on retrouve aujourd’hui dans certaines galettes des rois). Le parfum des frangipaniers ressemblant, disait-on à l’époque, à celui du parfum du marquis, l’arbre fut ainsi baptisé. 
Plusieurs autres versions, antérieures à ce marquis, expliquent l’apparition du mot frangipanier, toutes étant reliées à la famille italienne Frangipani. 
La plus crédible à nos yeux est celle qui cite Mutio Frangipani, botaniste italien ayant visité les Antilles en 1493, juste après leur découverte par Christophe Collomb. A une encablure de l’île d’Antigua, les marins s’étonnèrent d’un parfum charrié par les vents. Mutio Frangipani leur expliqua que ce parfum était celui de fleurs d’un arbre local, appelé Plumeria alba, qui devint, dans le langage de l’équipage, le frangipanier.

Médicinale, mais toxique

Attention lorsque vous manipulez des frangipaniers (taille, boutures), le latex de cet arbre est en effet toxique pour l’homme qui souffrira de troubles digestifs en cas d’ingestion. En réalité, toutes les parties du frangipanier produisent des alcaloïdes légèrement toxiques, qui peuvent affecter les peaux sensibles. Il convient de ne pas toucher et encore moins de manger les fleurs (ou toute partie de la plante), car elles peuvent provoquer une irritation de la peau ou des douleurs à l'estomac et des crampes chez certaines personnes.
En revanche, le frangipanier est utilisé dans la pharmacopée traditionnelle ; avec le latex, on brûle ainsi les verrues ; en Inde, l’écorce du tronc et des racines sert de purgatif. Aux Philippines, on soigne même la blennorragie avec l’écorce fraîche... 
Des feuilles et de l’écorce a été extrait un antibiotique, la fulvoplumiérine, bloquant la croissance de Mycobacterium tuberculosis (le bacille de Koch, provoquant la tuberculose).

les 68 variétés de tīpaniē cultivées par Karen et Tumanarii


Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 30 Décembre 2021 à 16:28 | Lu 11534 fois