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Indonésie: l'inquiétante militarisation du régime six mois après l'arrivée de Prabowo


Crédit Handout / PRESIDENTIAL PALACE / AFP
Crédit Handout / PRESIDENTIAL PALACE / AFP
Jakarta, Indonésie | AFP | dimanche 19/04/2025 - Une influence militaire accrue au sein du gouvernement, des journalistes menacés et une économie en difficulté: les six premiers mois au pouvoir du président indonésien Prabowo Subianto soulèvent des inquiétudes face à un retour aux racines autoritaires du pays.

Le mois dernier, le Parlement indonésien a amendé une loi permettant aux militaires de travailler désormais dans 14 grandes institutions publiques, contre 10 auparavant.

Le Parlement a également supprimé l'obligation pour les militaires de démissionner de l'armée avant de prendre des fonctions civiles.

Un aménagement qui inquiète les ONG qui y voient des réminiscences de l'ère du dictateur Suharto, au pouvoir de 1967 à 1998.

"Le gouvernement ne se rend pas compte que l'Indonésie souffre d'un traumatisme collectif en raison du régime autoritaire" de Suharto, estime Hussein Ahmad, directeur adjoint de l'ONG Imparsial.

Suharto a été renversé par des manifestations étudiantes en 1998. Prabowo commandait alors une force d'élite chargée de réprimer les troubles.

L'ex-général a depuis lors adouci son image. Il reste accusé de violations des droits de l'homme pour avoir, selon des ONG, ordonné l'enlèvement de militants pro-démocratie à la fin du régime de Suharto, des allégations qu'il a toujours rejetées.

Mais au cours des six premiers mois de son mandat, des symboles de son passé militaire ont ressurgi, suscitant des critiques au sein même de l'élite politique.

- 100 nouveaux bataillons -

En février, Susilo Bambang Yudhoyono, président de 2004 à 2014, rappelait qu'il était alors "interdit" aux militaires d'entrer en politique. "C'était l'une de nos doctrines".

"Cette loi limite en réalité le rôle (des militaires, ndlr)... à 14 secteurs qui ont réellement besoin des compétences et de l'expertise nécessaires à la formation (militaire)", a réagi auprès de l'AFP Hasan Nasbi, porte-parole de la présidence, jugeant les critiques "inexactes".

Symbole de cette militarisation, après son investiture en octobre, Prabowo a fait défiler ses ministres en tenue militaire lors d'un séminaire d'intégration.

Puis en novembre, son ministre de la Défense, Sjafrie Sjamsoeddin, également ancien général accusé de violations des droits de l'homme sous Suharto, a annoncé la création de 100 nouveaux bataillons.

A cela s'ajoute un mécontentement alimenté par la mauvaise santé de l'économie indonésienne, avec une roupie affaiblie et l'incertitude face aux annonces américaines sur la hausse des droits de douane.

Prabowo fait également face à de sévères critiques pour avoir réduit les budgets de ses ministères afin de financer notamment un coûteux programme de repas gratuits pour les scolaires.

- Menaces sur la presse -

La liberté de la presse, qui s'est épanouie dans le vaste archipel après la chute de Suharto, est également en jeu, selon Reporters sans frontières.

Ainsi, une nouvelle réglementation publiée le 10 mars renforce le contrôle de la police sur les journalistes étrangers et les chercheurs en les obligeant à réclamer une lettre officielle pour pouvoir exercer dans "certains endroits" du pays.

Une mesure qui pourrait limiter les reportages sur les sujets sensibles comme "l'huile de palme, l'oppression des minorités sexuelles, de genre et religieuses", pointe Andreas Harsono, de Human Rights Watch.

"Si le travail des journalistes est supprimé, la liberté d'expression est également supprimée et la démocratie sera paralysée", a-t-il prévenu.

Dans le même temps, une autre affaire a secoué le monde de la presse: une tête de porc et des rats décapités ont été expédiés à la rédaction du magazine indonésien Tempo, rare média critique envers le gouvernement. 

Une de ses journalistes, Francisca Christy Rosana assure avoir vu certaines de ses données personnelles divulguées et a reçu des messages inquiétants.

"Cette terreur visait non seulement à nous intimider mais aussi à nous réduire au silence", a-t-elle déclaré.

- "Boîte de Pandore" -

Le mois dernier, des milliers de personnes ont protesté contre la nouvelle loi favorable aux militaires. Devant le Parlement à Jakarta ou à Surabaya, la police a dû employer des canons à eau pour disperser les manifestants.

"Les civils en ont assez de l'intrusion du militarisme dans les affaires civiles", estime Andrie Yunus, responsable de la Commission pour les personnes disparues et les victimes de violence (KontraS).

Selon lui, ces manifestations ne sont que "la partie émergée de l'iceberg".

Qualifiant les inquiétudes d'une montée en puissance des militaires de "non-sens", Prabowo a assuré qu'il respectait le droit de manifester.

Mais si les manifestations "créent le chaos et l'agitation, cela va à mon avis à l'encontre de l'intérêt national", a-t-il déclaré récemment.

Pour Andrie Yunus, la voie vers un régime militaire "est ouverte". La révision de la loi offrant plus de postes civils aux militaires, en est, selon lui, le signal le plus évident. 

"Nous considérons l'adoption de la révision (de la loi, ndlr) comme une tentative d'ouvrir la boîte de Pandore", prévient-il.

le Mardi 22 Avril 2025 à 06:47 | Lu 311 fois