Agé de quelques jours et perché dans son nid à l'intérieur d'une volière, un petit oiseau chanteur très apprécié en Indonésie pour son gazouillement porte à la patte une bague métallique, très importante pour lutter contre l'immense trafic d'oiseaux exotiques dans ce pays.
L'oisillon est né dans le jardin tropical de Megananda Daryono, à Bogor, une ville de la grande île de Java, dans la proche banlieue de la capitale Jakarta. Ce défenseur des espèces sauvages vend des oiseaux nés en captivité: il leur enfile une bague à la patte pour montrer aux acheteurs potentiels que ces animaux n'ont pas été capturés dans la nature.
"J'ai réalisé que les oiseaux attrapés dans la forêt disparaîtraient un jour pour de bon", explique-t-il au milieu de ses volières contenant des centaines d'espèces, parmi lesquels de magnifiques perroquets et des oiseaux chanteurs vulnérables.
Des milliers d'oiseaux exotiques sont en effet attrapés illégalement chaque année dans les forêts tropicales en Indonésie et revendus sur des marchés où ils arrivent cachés dans des caisses, parfois même à l'intérieur de bouteilles en plastique.
L'Indonésie est un terrain propice à un tel trafic: la jungle de l'archipel d'Asie du Sud-Est regorge d'espèces d'oiseaux chanteurs, tels le garrulaxe bicolore de Sumatra, le Lori noira rouge à la queue brun-vert ou encore l'étourneau à ailes noires.
Depuis des siècles, les Indonésiens possèdent des oiseaux en cage comme animaux domestiques. Et dans ce pays émergent à la population croissante, l'obsession d'avoir chez soi des oiseaux et la participation à des concours de gazouillement nourrissent une demande sans précédent, en partie alimentée par les trafics.
Conséquence: pas moins de 131 espèces d'oiseaux dans la jungle indonésienne sont menacées, soit plus que dans tout autre pays à l'exception du Brésil, s'alarme TRAFFIC, une ONG de surveillance du commerce de la faune et de la flore.
Les élevages d'oiseaux en captivité comme celui de Megananda sont présentés comme une alternative durable au trafic effréné et lucratif, quand 40% des Indonésiens vivent avec moins de deux dollars par jour.
Le trafic, lui, menace de nombreuses espèces indigènes, ont souligné des experts lors d'une réunion d'urgence l'an passé à Singapour, en appelant à intervenir d'urgence pour mettre fin au pillage.
"Cela concerne des millions et des millions d'oiseaux chaque année, on atteint un seuil critique", affirme à l'AFP Chris Shepherd, de l'ONG TRAFFIC. "C'est maintenant ou jamais pour nombre de ces espèces".
- 'Gazouillis mania' -
Du côté du public, l'urgence n'est pas forcément la même: des associations regroupant des milliers d'amateurs de gazouillements parcourent l'archipel pour participer à des concours nationaux de chants d'oiseaux dans l'objectif de remporter des prix. Ou pour la gloire.
Ce sont des affaires sérieuses, raconte Johan, un champion en la matière, pendant un récent concours dans le centre de Java, où des hommes crient et sifflent en direction de leurs oiseaux pour les encourager à continuer de chanter. Un jury impassible attribue des points pour la mélodie, la durée et le volume.
"Ce n'est pas un concours de beauté, c'est un concours de chant. C'est de la gazouillis mania", s'enthousiasme Johan. "Le chant est la seule chose qui compte", explique-t-il à côté de son canari jaune perché dans une cage en bois orné. C'est l'un des 50 oiseaux qu'il possède.
Des appels lancés pour interdire ces concours populaires ont rencontré une vive résistance. Les défenseurs de la "gazouillis mania" estiment qu'ils constituent une spécificité indonésienne et accusent le commerce d'oiseaux - pas les compétitions - d'être responsable de la forte diminution du nombre d'oiseaux exotiques dans les forêts.
Capturer toute espèce d'oiseau dans la nature, qu'elle soit protégée ou non, est pourtant illégal en Indonésie, mais les lois sont peu appliquées et des sanctions sont rarement prononcées contre des trafiquants ou vendeurs sur des grands marchés, constate Chris Shepherd.
- 'Faire évoluer les esprits' -
A Jakarta, le marché aux oiseaux de Pramuka, l'un des plus grands d'Asie, est connu comme un endroit où sont vendues des espèces vulnérables et gravement menacées, en l'absence de contrôles. Quelque 20.000 oiseaux y étaient exposés lors d'une récente journée.
Des efforts ont été entrepris pour éviter d'associer les concours de chants d'oiseaux aux trafics sur les marchés. Ainsi, la Société indonésienne des oiseaux sauvages (PBI), qui autorise et note un important championnat de chants d'oiseaux, a promis d'éliminer tous les oiseaux sauvages et de les remplacer par des oiseaux chanteurs nés en captivité.
Mais l'ancien président de la PBI, Made Sri Prana, estime que la transition prendra du temps et observe qu'"il n'y a pas de véritables obligations" pour des concours organisés par des associations ne dépendant pas du PBI.
Signes positifs, des programmes d'élevage d'oiseaux comme celui de Megananda se développent par centaines à travers le pays et les autorités ont effectué récemment plusieurs importantes saisies d'oiseaux attrapés illégalement.
Il faudra toutefois du temps pour changer les vieilles habitudes, prévient Ria Saryanthi, de l'ONG pour la protection des oiseaux Burung Indonesia. "Pas facile de faire évoluer les esprits".
Avec AFP