"Ils savent très bien que leur interlocuteur est indépendantiste"


Tahiti, le 16 août 2023 - Moetai Brotherson s'est longuement entretenu avec la délégation ministérielle, ce mercredi, dans son bureau. Il a été question d'indépendance, de nucléaire, mais surtout de développement économique du pays. Le président a répondu aux questions de Tahiti Infos à l’issue de cet entretien.
 

Quels ont été les dossiers que vous avez évoqués avec la délégation ?

“On a discuté de beaucoup de choses. Nous avons discuté des aéroports. À la fois celui de Faa'a avec le nouveau cahier des charges qui prendra mieux en compte les demandes du Pays, mais aussi celui des Marquises sur lequel nous allons lancer une étude conjointe, la première sérieuse sur ce sujet. On a ensuite parlé de pêche avec notre volonté de triplement de notre capacité de pêche sur dix ans. L'État devra nous accompagner parce que nous n'avons pas de possibilité de construction ni de formation des capitaines suffisamment bien calibrée. On a parlé des 300 conventions entre le Pays et l'État. Beaucoup arrivent à échéance en fin d'année et il faut travailler à leur reconduction. On a parlé de la DGA (dotation globale d'autonomie, NDLR) qui n'a pas été réactualisée depuis dix ans, alors que tout a augmenté. On a parlé des Jeux olympiques, avec certaines contraintes, et puis des bonnes nouvelles, qui seront annoncées conjointement plus tard. On a enfin parlé de l'ITR puisque les dernières discussions n'ont pas satisfait les syndicats de fonctionnaires d'État en Polynésie. Des annonces seront faites sur le sujet par Philippe Vigier.”

 
Au sujet de l'aéroport de Tahiti-Faa'a, avez-vous discuté du flou juridique de sa situation ? Le Conseil d'État a donné la concession à Vinci. C'est Egis qui continue de gérer. Et le ministre des Transports dans l’Hexagone relance un appel d'offres malgré la décision de justice.

“Des retours que j'ai eus de Paris, la discussion est entendue et le nouvel appel d'offres sera lancé.”
 

Le sujet du nucléaire a été abordé et vous êtes en charge de ce dossier. Quelles en sont les avancées ?

“Il y a des dossiers sur lesquels rien ne sert de communiquer tant que l'on n'a pas les éléments concrets de changement à exposer. Ce sont des dossiers de fond qui ne se discutent pas de semaine en semaine. Ce sont des dossiers très longs.”


 
La question du millisievert a été avancée ?

“C'est un dossier qui est traité par les parlementaires avec lesquels je suis en phase. Cette contrainte du millisievert n'a jamais eu lieu d'être. Je me place sur le plan plus général en ce qui concerne l'indemnisation des victimes et les négociations avec la CPS…”
 


Le nucléaire est une question plus ou moins occultée du programme de la délégation ministérielle…

“Ce n'est pas comme si on n'en parlait jamais. On en parle à chaque fois que l'on se voit et on échange dessus. Ce n'est pas une surprise pour eux. Nous devons trouver une solution conjointe qui satisfasse tout le monde.”
 


Quelle serait cette solution justement, pour vous ?

“En tant que président du Pays, ce qui me satisferait, c'est que l'État assume pleinement ses responsabilités, qu'on lève certains obstacles qui n'ont plus lieu d'être, qu'on puisse se mettre d'accord sur le statut des victimes, qu'on puisse se mettre d'accord sur les modalités d'indemnisation, sur les sommes engagées par la CPS…”
 


Est-ce que vous allez parvenir à vous mettre d'accord sur les sommes ?

“Chacun a fait des études dans son coin. À un moment donné, il faudra envisager de faire une étude commune pour aboutir à des chiffres sur lesquels on peut s'entendre. Aujourd'hui, chacun campe sur ses positions.”
 


Le président du conseil d'administration de la CPS, Patrick Galenon, ainsi que le président du Tavini, Oscar Temaru, soutiennent que ce sont 100 milliards de francs que l'État doit à la CPS...

“Chacun estime avoir les bons chiffres et nous sommes dans un dialogue de sourds. Si on reste dans cette position-là, on ne va pas avancer. Il faut refaire les calculs ensemble.”
 


Comment cela se passe-t-il, les discussions entre l'État et un gouvernement indépendantiste ?

“Cela se passe très bien et cela se passe très bien depuis le début. Ça va continuer comme ça pendant au moins dix ans (rires). Ce sont des discussions respectueuses.”


 
Quand une délégation ministérielle arrive, nous avons toujours une manifestation du Tavini, les pancartes de 193, la sortie de la statuette de la Liberté bleue. Cette fois-ci, rien. L'apprentissage du pouvoir fait baisser le volume sonore des revendications ?

“Non, la conviction, elle est toujours là. La volonté d'indépendance et d'autodétermination est intacte. C'est peut-être la méthode qui a changé.”


 
Et cela, l'État peut l'entendre ?

“Mais bien sûr, et il l'entend depuis le début. On a eu des discussions très franches là-dessus et ils savent très bien que leur interlocuteur est indépendantiste et ne va pas, demain matin en se réveillant, se transformer en autonomiste ou départementaliste.”


 
Vous avez évoqué la citoyenneté mā'ohi ?

“Oui, brièvement. C'est un sujet que nous devons développer avec les parlementaires.”


 
Gérald Darmanin, c'est aussi monsieur sécurité en tant que ministre de l'Intérieur. Certains sujets ont été évoqués ?

“Nous avons parlé de la sécurité civile. Nos pompiers sont dans la difficulté, avec des situations différentes. Un CTA qui est à bout de souffle. Se pose aujourd'hui la question de mettre en place un Épis (Établissement public d'incendie et de sécurité, NDLR). Je suis favorable, sur le principe, à cette mutualisation des moyens, mais c'est un sujet qu'il faut avant tout aborder avec les tāvana.”
 

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mercredi 16 Aout 2023 à 18:18 | Lu 4736 fois