Iles Bijagos en Guinée-Bissau: beaucoup de serpents et trop peu de traitements


Losange rouge incrusté au bas de la cheville, la plaie de Gina est toujours à vif. Il y a trois mois, un serpent a mordu cette habitante des Bijagos, un archipel de rêve en Guinée-Bissau, dont le venin mortel des ophidiens empoisonne l'existence.
"Je pensais que c'était un bout de bois", raconte Gina, assise devant sa case au toit de chaume et au plancher en terre tapissé de coquillages blancs dans le village d'Eticoba, sur l'île de Soga, l'une des 88 que compte cet archipel d'Afrique de l'Ouest. 
"On a dû me porter chez moi car je ne pouvais plus marcher", souffle-t-elle, à côté d'une marmite qui chauffe sur des bûches rougeoyantes.
La douleur persiste mais elle ne prend plus de médicaments - ils sont épuisés.
Elle peut s'estimer heureuse d'avoir survécu. Quelque 125.000 personnes par an meurent de morsures de serpent, dont 30.000 en Afrique subsaharienne, où les traitements sont souvent coûteux ou inaccessibles pour des populations rurales démunies, selon des statistiques publiées en 2015 par la revue médicale The Lancet.
Les Bijagos, où vivent environ 30.000 personnes, ont été classées par l'Unesco parmi les réserves de biosphère de la planète, en raison de leur écosystème exceptionnel. 
Les eaux poissonneuses de l'archipel attirent les dauphins et les touristes amateurs de pêche. Ses mangroves et ses plages abritent de rares hippopotames, lamantins et tortues vertes, et ses forêts constituent un vivier de serpents.
"Les Bijagos sont réputées pour les serpents. Toutes les espèces les plus venimeuses y vivent. Des mambas, des cobras ...", indique Aissata Regolla de l'Institut de la biodiversité et des aires marines protégées (Ibap), à Bissau, la capitale.
  - Guérisseurs traditionnels -  
Aux Bijagos, les enfants et les agriculteurs sont les plus touchés par les morsures.
Cacutu Avis et ses deux amis, occupés à couper un réduit de forêt entre la côte et le village d'Eticoba, connaissent les risques.
"Les +cacubas+ (désignation locale des mambas, NDLR) sont les serpents les plus venimeux: généralement, quand ils te mordent, tu ne survis pas. Ils sont souvent dans les arbres et les feuilles de palmier", précise-t-il.
Leur dangerosité alimente les croyances locales selon lesquelles les serpents peuvent être utilisés par les humains pour régler leurs comptes.
Soga est à une demi-heure en pirogue motorisée de l'île de Bubaque, qui dispose d'un hôpital sommaire, et à plus de cinq heures de Bissau. Comme dans d'autres campagnes africaines reculées, le recours aux guérisseurs traditionnels est souvent le premier réflexe.
"Des gens sont morts devant moi chez des tradipraticiens, d'autres ont survécu", affirme Jose Nacutum, directeur de l'hôpital de Bubaque. "Nous ne disposons pas de sérums adaptés aux différentes espèces et nous avons énormément de difficultés pour identifier les types de serpents".
Coûteuse et souvent inadaptée aux réalités locales, l'offre de sérums antivenins fait défaut en Afrique subsaharienne.
"Le sérum est un produit biologique. Il faut acheter des venins, immuniser des chevaux, récupérer les anticorps, les purifier... C'est une alchimie extrêmement complexe et onéreuse", explique à l'AFP Jean-Philippe Chippaux, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), basé au Bénin.
"Il faudrait que les Etats, les collectivités locales et les entreprises contribuent. Aujourd'hui, aucun ministère n'est capable de dire à quel niveau se situe le problème, combien de morsures il y a et où elles ont lieu", déplore-t-il.
  - Manque de sérums antivenimeux -  
Depuis juin 2016, les derniers sérums antivenimeux Fav-Afrique produits par Sanofi Pasteur ont expiré: le laboratoire français en a arrêté la production en 2010 à cause d'une baisse de la demande et de coûts élevés.
Le prix était prohibitif pour les populations concernées (environ 100 euros la dose) et le sérum, bien que jugé efficace, était peu adapté à la situation, car il devait être conservé au frais, dans un pays où le taux d'accès à l'électricité est inférieur à 10 %.
Il existe pourtant un marché potentiel en Afrique subsaharienne estimé à plus d'un million de sérums par an, souligne François Chippaux. Il pourrait représenter 40 millions d'euros annuels, mais ne peut fonctionner qu'à condition de baisser considérablement le prix de vente final d'une dose de sérum.
Certains laboratoires s'y positionnent.
Basée au Mexique, l'entreprise Inosan Biopharma revendique ainsi la place de premier fournisseur en Afrique. "Les antivenins ne rapportent pas assez aux gros laboratoires, comparés à d'autres produits", souligne son président Juan Silanes, joint par Skype.
"C'est un cercle vicieux: les laboratoires ne produisent pas, donc les gens vont voir les tradipraticiens. Mais s'il y a un produit assez bon et bon marché, ça peut faire changer les choses", assure-t-il.

avec AFP

Rédigé par RB le Lundi 28 Novembre 2016 à 05:01 | Lu 1053 fois