"Il ne faut pas avoir peur des investissements étrangers"


PAPEETE, le 21 mars 2018 - La deuxième journée des Pacific Business Days a permis des échanges fructueux sur le tourisme, les investissements étrangers et le développement du numérique dans la région. Ils montrent que les investissements étrangers sont les bienvenus à travers le Pacifique... sous conditions. Rencontres.

Tevita Tu'i Uata, ministre du Commerce et du Développement économique des Tonga

"Que les investisseurs soient chinois ou européens n'a aucune importance, ce qui est important c'est que le gouvernement du pays hôte soit extrêmement clair sur les secteurs ouverts aux investissements étrangers."

La Chine a offert deux avions neufs à votre Pays et investit beaucoup. Ici aussi des investissements chinois sont attendus, mais la population est inquiète. Quel a été le résultat de la présence chinoise aux Tonga ? Devons-nous avoir peur de la Chine ?
"Non, vous ne devez pas avoir peur ! Les investissements étrangers sont tous pareils, qu'ils viennent de Chine, des États-Unis, d'Europe ou d'Australie. Le fait qu'ils soient chinois ou européens n'a aucune importance, ce qui est important c'est que le gouvernement du pays hôte soit extrêmement clair sur les secteurs ouverts aux investissements étrangers. Il faut s'assurer qu'ils ne viennent pas prendre une part du gâteau existant, pour remplacer des entreprises locales.

Par contre, quand ils créent leur propre marché, quelque chose qui n'existait pas à Tahiti ou dans une autre île, alors il n'y a aucun problème ! Ce sont des emplois et des revenus en plus. Mais si ces investissements étrangers viennent et prennent la place de ce que les locaux faisaient déjà, là c'est un non ferme ! Donc il n'y a pas de problème sur l'origine des investisseurs, qu'ils soient chinois ou américains. C'est un problème de gouvernance. Les dirigeants du moment doivent être très, très clairs sur ce qu'ils veulent comme investissements.

Ici aux Tonga, nous sommes un tout nouveau gouvernement, et nous sommes maintenant très clairs. D'abord, si vous n'avez pas des millions de dollars, on ne vous parlera même pas. Ensuite, si vous n'avez pas une technologie innovante, ça ne nous intéresse pas. Enfin, si vous ne développez pas une industrie que nous n'avons, nous ne voulons pas vous parler. Mais si vous avez ces trois choses, nous vous accueillerons volontiers !"


Christophe Plée, président du RPPS

"Pour tout le monde au final, le plus important est que les investissements respectent les populations et l'environnement "

Vous avez animé la conférence de ce matin sur les mesures pour attirer les investissements étrangers, quels ont été les retours ?

"Les discutions ont cherché à faire le tour des mesures d'attractivité qui marchaient dans certains pays, et celles qui ne marchaient pas. De nombreux exemples ont été donnés, mais un consensus a émergé sur la façon de traiter les investissements : il faut faire venir les investisseurs en respectant les populations, l'environnement et les intérêts de tout le monde.

En pratique, chaque pays a créé une commission d'investissement, un guichet unique qui analyse demande par demande les propositions des entreprises. Fidji par exemple autorise des investissements très ciblés, sur les secteurs d'activité à développer et pour répondre aux besoins de leur population... Mais il n'y a pas de recette miracle. Nous avons tous été très attentifs sur les retours d'expérience de tous les pays, et nous avons bien entendu la façon dont les petits pays veulent que l'on investisse chez eux. Pour tout le monde au final, le plus important est de respecter les populations et l'environnement, là vraiment tout le monde est d'accord dans la région. D'autant que nos paysages sont magnifiques, il y a une vraie croissance économique, et le fait que la région est vraiment très sûre quand beaucoup d'autres régions ne vont pas bien attire ces investisseurs."


Raj Shiu, directeur du Secrétariat du forum du Pacifique Sud

"Aujourd'hui si vous n'êtes pas sur Internet, vous ne faites pas de profit, quelle que soit votre entreprise"

Ce matin la conférence sur le tourisme régional a attiré du monde, qu'en est-il ressorti ?

"Ces PBD permettent de faire passer beaucoup de messages. Ce matin sur le tourisme, on a vu que c'est un sujet qui touche tous les peuples du pacifique et un secteur de développement économique qui a énormément de potentiel pour tous les pays. Même pour ceux qui n'ont pas encore un secteur touristique très développé, comme Tuvalu par exemple où le tourisme est encore très limité... Mais même là-bas il y a de belles opportunités à développer. À propos de nos discutions de ce matin, les pays ont expliqué lors de leurs interventions que les investissements dans le secteur touristiques ont pris une vraie vigueur. Ils ont aussi souligné les opportunités qu'il y a à harmoniser les lois sur les investissements étrangers. Des opportunités dans la construction d'hôtels, mais aussi dans les activités insulaires qui supportent ce secteur, de la pêche à l'agriculture à la laverie industrielle ! Il y a un gros potentiel pour les locaux, avec ces petites et moyennes entreprises à développer en marge des grands hôtels."

Cette après-midi nous parlons du numérique, et certains pays attendaient particulièrement ce débat. Ce secteur est-il si important ?
"Bien sûr ! C'est la façon contemporaine de faire du business. Si vous n'êtes pas sur Internet, vous ne faites pas de profit, quelle que soit votre entreprise. Si vous faites des ventes, il faut être certain de pouvoir interagir avec vos clients sur ces plateformes... Et pour tout ça, il faut des infrastructures qui autorisent la connexion. Il y a aussi des développements à faire dans le secteur financier pour permettre le paiement numérique. Et pour y arriver, il est important que les pays ouvrent leurs secteurs des télécommunications et de la finance. Car les opportunités que des investisseurs extérieurs peuvent exploiter dans ces deux secteurs sont déjà là, et il faut les développer. Pour le moment, il y a en moyenne deux à trois opérateurs par pays. Dans certains pays le marché est déjà saturé, mais dans d'autres, il y a encore un monopole... Mais dans ce cas il faut avoir une très bonne régulation pour encadrer les prix et la qualité du service."

Beaucoup d'investissements sont faits dans les câbles sous-marins, et il y a l'émergence de nouvelles technologies satellites. Le Pacifique pourrait-il rapidement rattraper son retard numérique ?
"Je pense qu'il y a une vraie possibilité pour que cela arrive. Ca a déjà commencé dans certains pays, qui sont très en avance sur le e-commerce. Le secteur touristique en particulier a beaucoup travaillé. L'organisation que je représente travaille ainsi avec de petits hôteliers pour les aider à mettre en place leurs sites internet. Des pays comme Fidji sont très avancés, mais la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie sont aussi très efficaces dans l'utilisation de ces nouvelles technologies."




Christopher Roy Cocker, p-dg de la South Pacific Tourism Organisation

"Ceux qui ont fait du tourisme une priorité et qui ont mis des ressources pour le développer en profitent aujourd'hui "

Vous avez présenté la situation touristique dans le Pacifique lors du débat de ce matin, et elle est très bonne !

"J'ai donné une idée de ce qu'il se passe dans la région en terme de tourisme. Les prévisions sont impressionnantes. Pour le moment il y a eu 1,3 milliards de touristes dans le monde l'année dernière, dont 24% sont venus dans la région Asie-Pacifique... Et l'Organisation mondiale du commerce estime que ce chiffre va monter à 1,8 milliards d'ici 2030.

Dans le pacifique, nous avons eu 2,1 millions de touristes en 2017. 40% sont allés à Fidji, 9% sont venus en Polynésie française qui est le deuxième plus gros marché touristique. Donc on voit que ces visiteurs sont très mal distribués. Dans toute la région, 8 destinations prennent 97% du marché, et c'est vraiment lié aux politiques publiques. Ceux qui ont fait du tourisme une priorité et qui ont mis des ressources pour le développer en profitent aujourd'hui. Par exemple Fidji a environ 840 000 touristes... Mais ils dépensent 12 millions de dollars US par an juste pour le marketing. Ils ont aussi une très large variété d'hébergements, des plus abordables aux plus luxueux.

A Fidji, le principal marché est l'Australie et la Nouvelle Zélande, avec la moitié qui vient des pays plus éloignés. À Tahiti, c'est au contraire l'Europe et les États-Unis qui fournissent le plus de touristes, avec un marché très haut de gamme. Donc ces pays sont complémentaires !"

Vous avez dit ce matin que 120 000 emplois seront créés dans le tourisme pour nos îles du Pacifique d'ici 2040...
"Oui, ce sont des estimations de la banque mondiale, et ça n'est que pour les emplois direct du tourisme ! Il y aura aussi tous les emplois annexes, de l'agriculture à la pêche aux produits financiers en passant par l'artisanat...

Nous avons aussi beaucoup parlé ce matin du développement de produits multi-destination. Le problème pour le moment est le manque de connexion entre nos îles. Pour enchainer deux pays, il y a des vols compliqués, de longues attentes dans les aéroports, et les deux principales destinations que sont Tahiti et les Fidji ne sont même pas reliées entre elles ! Alors que la Polynésie devrait être un lien entre le Pacifique et les deux Amériques, surtout avec la croissance très importante de l'Amérique du Sud.

Il faut comprendre que pour le moment, les touristes restent 7 à 9 nuits dans leur destination. Donc plus ils restent longtemps, mieux c'est pour nous tous. Donc il faut les encourager à visiter plus d'îles. Un "Pacific Air Pass" serait un progrès très important... Et justement la compagnie Fiji Airways y travaille, car Fidji est déjà le hub principal pour les Tonga, les Samoa... Mais il y a encore beaucoup de blocages réglementaires à lever et des infrastructures à construire. Par exemple il y a des pays qui défendent leurs compagnies nationales et ferment leur espace aérien, ce qui ne permet pas d'avoir une concurrence avec une baisse des tarifs et une multiplication des liaisons entre nos pays. Par exemple, je viens de Tonga, et avant, les billets d'avion étaient très chers. Dès que les compagnies à bas coût sont arrivées, la compétition a été importante et le prix des billets s'est effondré. Le tourisme a augmenté en conséquence."


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 21 Mars 2018 à 20:32 | Lu 3014 fois