Il n'y a plus qu'un seul médecin urgentiste à Taravao


Les urgences de l'hôpital de Taravao sont au cœur de l'actualité depuis plusieurs mois. Actuellement, il n'y a plus qu'une seule médecin urgentiste en poste, là où l'effectif était encore à quatre en avril dernier.
TARAVAO, le 19 août 2015. En avril dernier, les quatre médecins urgentistes de l'hôpital de la Presqu'île apprenaient que leur administration avait porté plainte contre eux. Cette plainte a été classée sans suite récemment. Cinq mois plus tard, les ¾ de ces médecins ont "lâché l'affaire" et quitté le territoire.

"Je suis toujours vivante ! " déclare en début d'entretien, l'unique et dernière médecin urgentiste en poste actuellement à l'hôpital de Taravao. Son contrat court jusqu'en juillet 2016 et elle ira à son terme, coûte que coûte. "Mais je compte les jours, les mois qui me restent". Sa déclaration n'a rien d'anecdotique. Le docteur Valérie Margot est la dernière à résister dans un environnement professionnel qui s'apparente, à bien des égards, à un enfer au cœur du paradis polynésien. Tous les autres médecins urgentistes avec lesquels elle partageait, jusqu'au début du mois de juin encore, la charge de travail des accueils des urgences de la Presqu'île ont lâché prise les uns après les autres. Une démission, un cas de burnout, un arrêt maladie prolongé suivi d'un retour express en fin de contrat vers la métropole. Le dernier de ses collègues part aujourd'hui même.

Trop de travail (des semaines à plus de 70 heures), alors que les heures supplémentaires effectuées en octobre, novembre et décembre 2014 n'ont toujours pas été payées, dix mois plus tard. Trop de pression aussi de la part de l'administration de tutelle (la direction de la santé du Pays), avec un flicage systématique des plannings de garde, des relevés des heures effectuées vérifiés une fois, deux fois, dix fois. "A force, c'est du harcèlement". Une pression telle qu'en avril dernier, l'ex directeur de la santé avait porté plainte au pénal contre ces médecins urgentistes. Il les accusait d'avoir réalisé des "faux en écriture" dénonçant, d'une bien curieuse façon, un système de paiement "border line" des heures supplémentaires mis en place par la précédente direction ! La plainte a été classée sans suite par le procureur de la République à la fin du mois de juillet dernier estimant qu'il s'agit d'un problème purement administratif "issu d’un texte de loi incohérent". Mais cet épisode judiciaire a laissé un goût amer à ces médecins.

UNE ORGANISATION UBUESQUE

Ce qui pèche dans cette ubuesque situation, c'est une organisation de travail mal ficelée et particulièrement mal adaptée à la spécialité médicale des urgentistes. A Taravao, l'hôpital étant sous la compétence de la direction de la santé du Pays, on a prévu pour ces médecins des horaires de fonctionnaires : 7h30-15h30, mais en leur demandant, en même temps, d'assurer des gardes sur des plages horaires de 12 heures, de nuit ou de jour, pour garantir une ouverture des urgences 24h/24 et 7 jours sur 7.

Les heures supplémentaires effectuées lors de ces gardes étaient ainsi lissées sur les jours de repos : des médecins "off" apparaissaient donc au planning adressé au service de paie alors qu'ils n'étaient pas présents physiquement dans l'établissement. "Quand j'ai signé mon contrat, en juillet 2013, j'ai accepté ces conditions car nous étions quatre à tourner" poursuit Valérie Margot. Au passage, son salaire était également écorné (trois échelons de moins) par rapport à la grille pratiquée en métropole, car les médecins de la direction de la santé de Polynésie ne sont pas assimilés aux praticiens hospitaliers territoriaux comme c'est le cas au Centre hospitalier du Taaone. Deux poids, deux mesures pour un si petit territoire : une incohérence de plus.

Puis, l'hôpital de Taravao a été assailli pendant de très longues semaines d'une file interminable de patients pour cause d'épidémie de chikungunya fulgurante, entamée justement sur la Presqu'île. "On a eu parfois jusqu'à 95 patients par jour avec un seul médecin mobilisé aux urgences durant le week-end. Une horreur!" C'est précisément le moment que choisit la direction de la santé pour ne plus payer les heures supplémentaires effectuées par les médecins urgentistes au cours de cette délicate fin d'année 2014…

DES URGENCES FERMEES UN JOUR SUR DEUX

Aussi, petit à petit, à force de suspicion mal placée à leur encontre, de surcharge excessive de travail et d'heures supplémentaires non payées, la motivation de ces urgentistes de Taravao a fondu rapidement. Trois d'entre eux –sur les quatre encore en poste en juin- ont déjà plié bagages. Et les offres d'emploi lancées pour de nouveaux médecins urgentistes ont fait chou blanc dès que les candidats ont appris les conditions de travail et de rémunération des postes ouverts à Taravao.

La dernière médecin urgentiste en place fait avec les moyens du bord, c'est-à-dire elle-même et les médecins de consultations externes qui viennent assurer des vacations quand ils le peuvent, avec quelques coups de main de médecins des dispensaires. Conséquence : les urgences de l'hôpital de Taravao sont ouvertes tous les jours après 15h30, mais en journée, et quasiment un jour sur deux il n'y a plus d'accueil !

A priori, la population de la Presqu'île en a pris son parti "la fréquentation des urgences a baissé. Les gens d'ici ne savent plus s'ils peuvent compter sur nous, alors beaucoup se déplacent directement au CHPF". La direction de la santé est prévenue de ces urgences ouvertes au compte-goutte "mais rien n'évolue. On espère que le futur schéma d'organisation sanitaire (SOS) pourra mieux planifier tout ça, que les salaires qui seront proposés seront plus intéressants pour que ce soit plus facile de recruter" témoigne encore le docteur Valérie Margot, qui croit peu à l'arrivée prochaine de nouveaux collègues. "Je fais en moyenne entre 60 à 70 heures de travail par semaine depuis le début du mois de juin. A ce rythme-là je ne sais pas si je vais pouvoir tenir très longtemps". Le nouveau SOS ne devant pas être validé par le gouvernement avant la fin de l'année, il reste au moins six mois à tenir.

Rédigé par Mireille Loubet le Mercredi 19 Aout 2015 à 19:41 | Lu 4128 fois