“Il faut de grandes décisions”


Tahiti, le 27 décembre 2022 –Alors que l'année 2022 a notamment été marquée par la fin du première partie du plan climat 2022-2030 et la tenue du Blue Climate Summit, le président de la Fédération des associations de protection de l'environnement, Winiki Sage, a accordé un entretien à Tahiti Infos. Il revient sur les grandes priorités de la Fape –refus de l'exploitation des fonds marins, la pêche dans le Pacifique, le traitement des déchets– et explique qu'il reste confiant quant à l'avenir.
 
La première partie du plan climat 2022-2030 visant à faire un état des lieux climat-air-énergie du territoire et des politiques de transition s'est achevée en novembre dernier. Quelles conclusions en tirez-vous ?

“Déjà, si je me réfère au premier plan climat, il y avait de beaux objectifs que l'on n'a pas du tout atteint. On avait annoncé une réduction des émissions de gaz à effet de serre alors que cela a augmenté selon les propres chiffres du Pays. Nous avions fait un courrier au Pays à ce sujet et cela est tombé au moment de la première phase du nouveau plan climat 2022-2023. C'est donc bien tombé et nous avons souhaité participer à cette première partie. L'axe important est celui des énergies et d'essayer d'être indépendant. Nous produisons déjà 33% d'énergie verte avec les barrages électriques alors que la France métropolitaine est à 10, 11%. C'est donc un point positif. Lorsqu'il pleut beaucoup, cela monte même à 60%. On pourrait faire mieux mais nous, les associations, nous opposons à tout autre projet hydroélectrique à cause des dégâts qui ont été faits dans les vallées. C'est embêtant car c'est un peu contradictoire : Nous avons toujours prôné l'hydroélectrique mais vue la manière dont cela a été fait, on n'accepte plus de nouveaux projets tant que les dégâts n'ont pas été réparés. Nous sommes donc perplexes.”
 
Alors que l'empreinte carbone moyenne d'un Polynésien est actuellement de 11 tonnes de Co2 par an, l'objectif est de la réduire de 50% à l'horizon 2030. Cela vous semble-t-il réaliste ?

“Ce n'est pas très réaliste, c'est un sujet difficile. L'empreinte carbone, c'est d'abord la question des véhicules avec les routes qui n'ont pas été élargies et l'absence d'un vrai réseau de transports en commun. Cela fait longtemps que nous disons qu'il faut trois voies pour entrer dans la ville, deux pour les véhicules et une pour les bus. C'est ce qui pollue le plus. Autre grosse source de pollution : les ferries qui font des trajets quotidiens. On veut traverser aujourd'hui en 30 minutes donc ce sont des milliers de chevaux et du diesel que l'on consomme, des milliers de tonnes que l'on déplace. Il faut prôner les déplacements avec des navires moins polluants, peut-être avec des voiles ou avec de l'énergie solaire.”
 
Le Blue Climate Summit s'est tenu à Tahiti en mai dernier. Vous étiez réticents à y participer mais vous y avez finalement assisté. Qu'en avez-vous retenu ?

“Il est toujours intéressant pour nous de participer à ce genre de choses puisque nous sommes seuls au milieu du Pacifique. Il y a souvent des gens qui sont de passage pour faire des études et qui viennent nous donner des leçons pour nous dire comment faire. Or, là, nous avons pu partager des choses. J'ai pu m'exprimer, notamment sur notre refus quant à l'exploitation des fonds marins. Nous avons rencontré des gens très intéressants qui nous ont éclairés. En revanche, nous avons été déçus car il y avait peu de bailleurs de fonds.”
 
Justement, pouvez-vous rappeler quelle est votre position sur cette question de l'exploitation des fonds marins ?

“Comme je le disais, nous y sommes opposés. Quand on voit les dégâts que l'on a causés sur terre, on ne va pas commencer à aller faire la même chose à 3 000 mètres au fond de l'océan. Pour les Polynésiens, cet océan est comme un marae et ce qui nous inquiète, c'est que les pays voisins soient prêts à exploiter les fonds marins. Ils ont besoin d'argent et sont donc prêts à vendre les leurs sans se soucier des dégâts irréversibles.”
 
Qu'en est-il de la gestion des déchets sur le territoire ?

“Nous avons fait beaucoup, beaucoup de progrès dans ce domaine. Il y a vingt ans, le Pays était sale. Lorsque Gaston Flosse était au pouvoir, il a pris la décision de faire le Centre d'enfouissement technique et cela à beaucoup amélioré les choses. Cela étant dit, c'est loin d'être suffisant car il y a encore des communes qui ne font pas le tri. Par ailleurs, il se passe des choses terribles dans les îles avec des décharges sauvages. C'est scandaleux, il faut vraiment prendre des mesures et cela peut commencer au niveau individuel, au niveau familial ou au niveau du quartier. Cette prise de conscience est importante, chacun doit prendre sa part.”
 
En termes de pollution marine, il est très difficile de poursuivre les navires immatriculés à l'étranger qui s'échouent régulièrement sur les récifs polynésiens. Quelles solutions voyez-vous pour endiguer ce phénomène?

“Cela aussi est scandaleux ! Mais il y a une initiative intéressante du gouvernement qui est de faire des routes maritimes. C’est-à-dire que ceux qui traversent notre Pays n'auront pas le droit de traverser là où ils veulent, ils seront obligés de rentrer dans une sorte de corridor. Cela permettrait une certaine traçabilité et ça éviterait les naufrages. A l'heure du GPS, comment arrivent-ils à se planter sur les récifs ?”
 
En matière de pêche, vous estimez que les pays voisins devraient interdire la pêche à la senne. Quels sont les dégâts causés par ce type de pêche ?

“Nous sommes contents que notre pays soit un sanctuaire et nous aimerions maintenant qu'un lobbying se fasse au niveau international et que nos cousins des pays voisins fassent la même chose et qu'ils interdisent la pêche à la senne. Car le problème de ce type de pêche est que l'on embarque tous les animaux –tortues, requins– et que cela finit en boite. Nous, au moins, nous faisons une pêche à peu près sélectionnée.”
 
A l'approche des élections territoriales, quelles sont vos attentes en matière de politique environnementale ?

“Comme nous l'avons fait avec les députés, nous allons envoyer des courriers avec des préconisations et on va leur demander de réagir. Nous avons même envie d'organiser des débats avec les leaders politiques. Nous allons adresser ces courriers en espérant qu'ils seront intégrés dans les programmes des candidats.”
 
A l'image de Coral gardeners, on constate que la jeunesse porte de nombreux projets en matière d'initiative. Comptez-vous sur ces nouvelles générations qui militent autrement ?

“Avant, pour la Fape, il s'agissait beaucoup d'être contre et de se battre. Or, depuis un certain nombre d'années, nous essayons de monter des projets. Nous formons les associations et les gens dans les communes. On a fait un réseau d'éco sentinelle. On fait beaucoup de choses et l'on voit bien que les jeunes veulent s'investir et ne pas être juste dans le négatif. Ils veulent créer des choses.”
 
Partagez-vous le sentiment ambiant d'anxiété quant à l'avenir?

“Je suis très positif. Il faut laisser du temps à la nature qui a toujours su d'adapter. SI tout le monde s'y met à son niveau, on peut y arriver. Mais il faut aussi de grandes décisions. Si demain, toutes les zones économiques exclusives faisaient un sanctuaire comme la Polynésie, le stock de poissons remonterait dans cinq ou dix ans.”
 

Rédigé par Garance Colbert le Mercredi 28 Décembre 2022 à 17:58 | Lu 2168 fois