Frédéric Dock est le directeur de Cegelec, le président de la Commission économique du Medef et le vice-président d'OPEN, une organisation qui regroupe les entreprises du numérique polynésien, dont Tahiti Infos.
PAPEETE, le 15 juillet 2015 - Le chef d'entreprise Frédéric Dock est également président de la commission économique du Medef et vice-président de l'association des professionnels du numérique, l'OPEN. Il interpelle le gouvernement sur sa stratégie numérique.
La semaine dernière, Teva Rohfritsch nous confiait sa vision de la relance économique du Territoire, des grands projets d'investissement et de la stratégie numérique à adopter en Polynésie. Le ministre de la Relance économique semble privilégier une approche où le privé prend le relais du public pour les gros investissements. Le Pays devrait se concentrer sur la régulation, par exemple en séparant la tutelle de l'OPT et la régulation des télécoms ; avec la future autorité de la concurrence qui verra le jour avant la fin du mois ; en simplifiant le labyrinthe administratif ; ou encore via de meilleures études d'impact environnemental (dans le cas de Hao par exemple). Le mot d'ordre : "libérer les énergies".
Sur le numérique spécifiquement, le ministre assure que pour améliorer les débits et réduire les prix de l'accès à Internet, "ce n'est pas seulement un problème de concurrence, c'est aussi parce qu'il faut créer du contenu et une vraie économie numérique autour de ça. Ce n'est pas le particulier qui est le premier à créer le contenu. Il faut donc un tissu d'entreprises." Selon lui, la priorité est donc créer un écosystème numérique qui entraînera tout le reste.
Frédéric Dock, directeur de Cegelec (le plus gros équipementier du Territoire), président de la Commission économique du Medef et vice-président d'OPEN, ne partage qu'en partie cette analyse.
La semaine dernière, Teva Rohfritsch nous confiait sa vision de la relance économique du Territoire, des grands projets d'investissement et de la stratégie numérique à adopter en Polynésie. Le ministre de la Relance économique semble privilégier une approche où le privé prend le relais du public pour les gros investissements. Le Pays devrait se concentrer sur la régulation, par exemple en séparant la tutelle de l'OPT et la régulation des télécoms ; avec la future autorité de la concurrence qui verra le jour avant la fin du mois ; en simplifiant le labyrinthe administratif ; ou encore via de meilleures études d'impact environnemental (dans le cas de Hao par exemple). Le mot d'ordre : "libérer les énergies".
Sur le numérique spécifiquement, le ministre assure que pour améliorer les débits et réduire les prix de l'accès à Internet, "ce n'est pas seulement un problème de concurrence, c'est aussi parce qu'il faut créer du contenu et une vraie économie numérique autour de ça. Ce n'est pas le particulier qui est le premier à créer le contenu. Il faut donc un tissu d'entreprises." Selon lui, la priorité est donc créer un écosystème numérique qui entraînera tout le reste.
Frédéric Dock, directeur de Cegelec (le plus gros équipementier du Territoire), président de la Commission économique du Medef et vice-président d'OPEN, ne partage qu'en partie cette analyse.
Parole à : Frédéric Dock
Que pensez-vous de la stratégie numérique énoncée dans les grandes lignes par Teva Rohfritsch ?
"J'ai beaucoup aimé son expression, "il faut libérer les énergies". Et aujourd'hui pour libérer les énergies, nous avons besoin de deux choses. D'abord que les outils du numérique, à commencer par la signature électronique et la dématérialisation en général, soient traités par la réglementation, ça c'est fondamental. Et deuxièmement, il faut des infrastructures qui soient ouvertes au maximum d'opérateurs et acteurs de l'économie numérique."
L'OPT a déjà reçu 500 millions de francs de subventions pour installer la fibre optique, dans le cadre d'un plan à 2,5 milliards qui fibrera les îles de la Société d'ici 2024. Est-ce suffisant ?
"Aujourd'hui la subvention est destinée principalement à la boucle locale (NDA : les câbles tirés sous les routes et les trottoirs), elle n'est pas destinée à la connexion directe des entreprises à la fibre optique. Pour l'instant, tous les travaux de génie civil pour raccorder les entreprises et demain les particuliers ne sont financés par personne. Donc les seuls qui peuvent profiter de la fibre sont ceux qui sont dans des bâtiments neufs qui ont été pré-équipés pour cela. Pour les autres il faut faire les travaux soi-même. À ma connaissance, il n'y a donc pas de stratégie pour le raccordement rapide des utilisateurs, particuliers ou entreprises, à la boucle locale."
La relance est pour l'instant passée par de gros investissements dans la route, mais vous plaidez plutôt pour une relance par le numérique. Quelle serait la priorité pour vous ?
"La priorité c'est qu'à chaque fois que l'on construit une infrastructure, que l'on mesure son impact sur l'économie. Il faut que l'on passe d'une économie aujourd'hui administrée, à une économie de performance. Il faut que pour chaque franc investi on connaisse les retombées économiques, notamment en termes d'emplois.
Aujourd'hui, les investissements qui rapportent le plus pour l'économie, ce sont ceux dans le numérique. Si aujourd'hui la France a fixé un objectif de 80% de sa population connectée au très haut débit en 2020, c'est bien parce qu'elle est persuadée que ça permet de "libérer les énergies" selon les mots du ministre. Donc les investissements dans la fibre optique et la mobilité sont les deux éléments dans le numérique qui permettent de favoriser le développement. Il faut construire des routes du numérique, pas des routes de bitume."
Combien coûterait au Pays une mise à jour de nos réseaux ?
"Connecter la majorité de la population et des entreprises, disons les îles de la Société, ça coûterait quelques milliards de francs. Moins de 10 milliards Fcfp même puisque l'OPT a déjà réalisé toute la partie amont, c'est-à-dire la boucle locale."
Quand le ministre assure qu'il faut attendre la création de contenus locaux avant de pouvoir augmenter les débits ou baisser les tarifs, ça vous semble logique économiquement ?
"Ça peut paraitre logique, sauf que ce n'est pas comme ça que ça s'est passé dans le reste du monde. La création d'un écosystème s'est faite à partir des infrastructures. C’est-à-dire que c'est le fait que le très haut débit et/ou la mobilité soient disponibles et que beaucoup de gens y soient connectés qui a fait, effectivement, le développement des énergies, des initiatives, des projets, et enfin des contenus. C'est sans doute un des seuls secteurs où les choses se font dans cet ordre-là : infrastructures, très haut débit et mobilité, et ensuite l'écosystème se transforme en développement et c'est là que l'on récupère les quelques pourcents de PIB qui nous manquent aujourd'hui.
Après il y a des Pays où ce n'est pas le public qui finance tout. L'État finance les zones blanches, et ce sont les opérateurs privés qui financent les zones à forte densité, avec des objectifs fixés par le gouvernement. Il faut surtout fixer les règles du jeu : quel est le rôle que l'on veut donner à l'OPT demain ? Doit-il être un opérateur d'infrastructure ? Peut-il aussi continuer à se positionner sur les contenus et les services, et donc freiner, du coup, les initiatives privées qui peuvent venir en concurrence ?"
La séparation des rôles entre tutelle de l'OPT et régulation du numérique est donc une bonne mesure ?
C'était une recommandation de la Chambre territoriale des comptes il me semble, mais économiquement, c'est une très bonne chose. On est plus dans le conflit d'intérêt économique que nous avions jusqu'à maintenant. On sort d'un modèle "public contre privé", l'OPT contre le reste du monde, pour avancer vers un modèle "public avec privé" pour construire ensemble.
On reparle en ce moment d'un câble international pour compléter Honotua, qui desservirait les autres pays du Pacifique Sud. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
"C'est vrai que c'est un monde dans lequel les opportunités sont fondamentales, les fenêtres s'ouvrent et se referment. Aujourd'hui avec l'OPEN et le Medef, nous avons partagé avec le Pays les données sur l'opportunité économique d'un tel projet. On devrait nous en présenter les conclusions dans les semaines qui viennent, mais le lancement des démarches vers les investisseurs privés doivent commencer immédiatement. Il y a déjà des fenêtres qui se sont refermées, il ne faut plus attendre.
Notre vision, qui a été défendue au Sénat le 25 juin par le président du Medef Olivier Kressmann, est de rallier la Nouvelle-Calédonie à la Polynésie en passant par les collectivités françaises et les autres pays du Pacifique. Ce projet avait déjà été sur la table plusieurs fois, car la Polynésie c'est les États-Unis à travers Hawaii, et la Calédonie est connectée à l'Australie et demain à Fidji. Cela permettrait de renforcer la présence économique de la France. Les Pays pourront aider, mais les investissements seront privés."
Un dernier mot sur la e-administration ?
"Oui, c'est effectivement une des premières pierres de l'édifice. Quand on a une administration aussi importante qu'elle l'est en Polynésie, le numérique est l'occasion de se poser les bonnes questions sur le périmètre où devrait se cantonner l'administration, mais aussi sur les méthodes des services publics, donc sur l'optimisation.
Nous sommes persuadés aujourd'hui qu'il faut mener une réforme de l'administration, et le numérique nous apporte les meilleures méthodes pour y parvenir. Les priorités sont donc les investissements et la réforme de l'administration, et ces deux éléments sont censés déclencher tout le reste."
Que pensez-vous de la stratégie numérique énoncée dans les grandes lignes par Teva Rohfritsch ?
"J'ai beaucoup aimé son expression, "il faut libérer les énergies". Et aujourd'hui pour libérer les énergies, nous avons besoin de deux choses. D'abord que les outils du numérique, à commencer par la signature électronique et la dématérialisation en général, soient traités par la réglementation, ça c'est fondamental. Et deuxièmement, il faut des infrastructures qui soient ouvertes au maximum d'opérateurs et acteurs de l'économie numérique."
L'OPT a déjà reçu 500 millions de francs de subventions pour installer la fibre optique, dans le cadre d'un plan à 2,5 milliards qui fibrera les îles de la Société d'ici 2024. Est-ce suffisant ?
"Aujourd'hui la subvention est destinée principalement à la boucle locale (NDA : les câbles tirés sous les routes et les trottoirs), elle n'est pas destinée à la connexion directe des entreprises à la fibre optique. Pour l'instant, tous les travaux de génie civil pour raccorder les entreprises et demain les particuliers ne sont financés par personne. Donc les seuls qui peuvent profiter de la fibre sont ceux qui sont dans des bâtiments neufs qui ont été pré-équipés pour cela. Pour les autres il faut faire les travaux soi-même. À ma connaissance, il n'y a donc pas de stratégie pour le raccordement rapide des utilisateurs, particuliers ou entreprises, à la boucle locale."
La relance est pour l'instant passée par de gros investissements dans la route, mais vous plaidez plutôt pour une relance par le numérique. Quelle serait la priorité pour vous ?
"La priorité c'est qu'à chaque fois que l'on construit une infrastructure, que l'on mesure son impact sur l'économie. Il faut que l'on passe d'une économie aujourd'hui administrée, à une économie de performance. Il faut que pour chaque franc investi on connaisse les retombées économiques, notamment en termes d'emplois.
Aujourd'hui, les investissements qui rapportent le plus pour l'économie, ce sont ceux dans le numérique. Si aujourd'hui la France a fixé un objectif de 80% de sa population connectée au très haut débit en 2020, c'est bien parce qu'elle est persuadée que ça permet de "libérer les énergies" selon les mots du ministre. Donc les investissements dans la fibre optique et la mobilité sont les deux éléments dans le numérique qui permettent de favoriser le développement. Il faut construire des routes du numérique, pas des routes de bitume."
Combien coûterait au Pays une mise à jour de nos réseaux ?
"Connecter la majorité de la population et des entreprises, disons les îles de la Société, ça coûterait quelques milliards de francs. Moins de 10 milliards Fcfp même puisque l'OPT a déjà réalisé toute la partie amont, c'est-à-dire la boucle locale."
Quand le ministre assure qu'il faut attendre la création de contenus locaux avant de pouvoir augmenter les débits ou baisser les tarifs, ça vous semble logique économiquement ?
"Ça peut paraitre logique, sauf que ce n'est pas comme ça que ça s'est passé dans le reste du monde. La création d'un écosystème s'est faite à partir des infrastructures. C’est-à-dire que c'est le fait que le très haut débit et/ou la mobilité soient disponibles et que beaucoup de gens y soient connectés qui a fait, effectivement, le développement des énergies, des initiatives, des projets, et enfin des contenus. C'est sans doute un des seuls secteurs où les choses se font dans cet ordre-là : infrastructures, très haut débit et mobilité, et ensuite l'écosystème se transforme en développement et c'est là que l'on récupère les quelques pourcents de PIB qui nous manquent aujourd'hui.
Après il y a des Pays où ce n'est pas le public qui finance tout. L'État finance les zones blanches, et ce sont les opérateurs privés qui financent les zones à forte densité, avec des objectifs fixés par le gouvernement. Il faut surtout fixer les règles du jeu : quel est le rôle que l'on veut donner à l'OPT demain ? Doit-il être un opérateur d'infrastructure ? Peut-il aussi continuer à se positionner sur les contenus et les services, et donc freiner, du coup, les initiatives privées qui peuvent venir en concurrence ?"
La séparation des rôles entre tutelle de l'OPT et régulation du numérique est donc une bonne mesure ?
C'était une recommandation de la Chambre territoriale des comptes il me semble, mais économiquement, c'est une très bonne chose. On est plus dans le conflit d'intérêt économique que nous avions jusqu'à maintenant. On sort d'un modèle "public contre privé", l'OPT contre le reste du monde, pour avancer vers un modèle "public avec privé" pour construire ensemble.
On reparle en ce moment d'un câble international pour compléter Honotua, qui desservirait les autres pays du Pacifique Sud. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
"C'est vrai que c'est un monde dans lequel les opportunités sont fondamentales, les fenêtres s'ouvrent et se referment. Aujourd'hui avec l'OPEN et le Medef, nous avons partagé avec le Pays les données sur l'opportunité économique d'un tel projet. On devrait nous en présenter les conclusions dans les semaines qui viennent, mais le lancement des démarches vers les investisseurs privés doivent commencer immédiatement. Il y a déjà des fenêtres qui se sont refermées, il ne faut plus attendre.
Notre vision, qui a été défendue au Sénat le 25 juin par le président du Medef Olivier Kressmann, est de rallier la Nouvelle-Calédonie à la Polynésie en passant par les collectivités françaises et les autres pays du Pacifique. Ce projet avait déjà été sur la table plusieurs fois, car la Polynésie c'est les États-Unis à travers Hawaii, et la Calédonie est connectée à l'Australie et demain à Fidji. Cela permettrait de renforcer la présence économique de la France. Les Pays pourront aider, mais les investissements seront privés."
Un dernier mot sur la e-administration ?
"Oui, c'est effectivement une des premières pierres de l'édifice. Quand on a une administration aussi importante qu'elle l'est en Polynésie, le numérique est l'occasion de se poser les bonnes questions sur le périmètre où devrait se cantonner l'administration, mais aussi sur les méthodes des services publics, donc sur l'optimisation.
Nous sommes persuadés aujourd'hui qu'il faut mener une réforme de l'administration, et le numérique nous apporte les meilleures méthodes pour y parvenir. Les priorités sont donc les investissements et la réforme de l'administration, et ces deux éléments sont censés déclencher tout le reste."