Un veilleur de nuit superstitieux a accusé une collègue de l'avoir envouté avec une poupée vaudou comme celles-ci (crédit : photo libre de droit de Claudia Brooke, les poupées appartiennent au Historic Voodoo Museum de la Nouvelle-Orléans)
PAPEETE, le 26 mai 2017 - Le veilleur de nuit d'un foyer éducatif a accusé une de ses collègues de sorcellerie. Une accusation prise suffisamment au sérieux pour enclencher une enquête interne… qui a révélé qu'il s'agissait d'une histoire inventée. La salariée accusée, d'origine antillaise, dénonce des discriminations insupportables au travail.
Voilà une affaire pour le moins inhabituelle. Elle tient de l'anecdote, donc nous ne citerons aucun nom, mais elle a le mérite d'éclairer certains aspects de la société polynésienne et de notre vie commune, en particulier dans le milieu professionnel. Ainsi la rédaction de Tahiti Infos a été informée par des sources syndicales qu'une éducatrice salariée d'un foyer d’action éducative de Punaauia avait été l'objet d'une enquête interne pour… Sorcellerie. Une accusation liée de près à ses origines antillaises.
Mme M., que nous avons contactée par téléphone, nous raconte son expérience : "J'ai été convoquée par ma directrice et ma supérieure directe, qui m'ont fait part du fait que Mme B., directrice adjointe de l'association pour laquelle je travaille, les avaient informées que son beau-fils, veilleur de nuit pour le foyer, lui avait fait des révélations. Il dit que je l'aurais envouté parce que je suis amoureuse de lui, que je l'aurais ensorcelé avec une poupée et un rituel vaudou. J'aurais récupéré ses cheveux et des vêtements à lui pour confectionner cette fameuse poupée. À ce moment je me suis dit que c'est çà cause de mes origines, parce que je suis antillaise, donc j'ai pris ça pour de la discrimination."
L'enquête la disculpera rapidement : "Au cours des auditions, mon collègue qui était censé être avec le veilleur de nuit au moment je l'ai envouté, a expliqué que bien sûr tout était faux. Ensuite on me dit qu'un autre de mes collègues auquel il se serait confié doit être auditionné. Et lui non plus n'est pas au courant. Mais Mme B. voulait que la procédure continue et voulait une confrontation entre moi, le veilleur de nuit et les deux 'témoins'. Lors de la confrontation, il a admis qu'il avait menti à sa belle-mère, et comme elle y avait cru il n'avait pas démenti. Il a dit qu'il avait des problèmes avec sa concubine, c'est pour ça qu'il a inventé cette histoire. Lui, c'est un veilleur de nuit que je vois très rarement."
"NOUS AVONS L'HABITUDE DES CAS DIFFICILES, IL FAUT SURTOUT ÊTRE À L'ÉCOUTE"
Au terme de cette procédure, très mal vécue par l'accusée, la directrice du foyer Mme Q. conclut que l'éducatrice est – évidemment – innocente des accusations d’envoûtement. "Ces choses-là ne se sont pas passée du tout, il n'y a pas eu de sorcellerie. La personne qui a fait ces accusations les a inventées, il ne se sentait pas bien. La question est réglée" assure la directrice, contactée par téléphone. "On n'a pas pris ces accusations au sérieux, ça nous a paru un peu bizarre. Mais quand on nous signale des choses, il faut bien vérifier l'info, et il s'est avéré que tout était faux. Je peux comprendre que la salariée soit blessée, mais quelqu'un peut raconter des bêtises. À aucun moment on a pris parti pour l'un ou l'autre."
La responsable devient un peu gênée quand on lui demande si le salarié qui a porté les fausses accusations risque une sanction : "on gère ça en interne. Ça arrive à des personnes qui ne sont pas dans leur état normal de dire des choses. Elle était innocente, mais lui aussi est innocent à sa façon. Pour moi c'est un malentendu qui prend de l'ampleur. Nous avons l'habitude des cas difficiles, il faut surtout être à l'écoute de chacun et tout vérifier. On prend les deux en charge, à notre manière. Ils ont un espace d'écoute, on les accompagne. Mais il y aura une suite."
De son côté Mme B., la vice-présidente de l'association, également à un poste important dans l'un des plus gros ministères du Pays, minimise l'affaire : "Ce sont des histoires internes, on en a régulièrement. Là c'est un salarié qui dit avoir vu un Tahu'a (NDLR : guérisseur traditionnel polynésien). Ce n'est pas une histoire de vaudou. La directrice a fait une enquête en interne, ils ont entendu les salariés en question, et c'est finalement une affaire de superstition, et c'est tout. Il n'y a rien qui mérite qu'on s'y arrête. Si une affaire impliquait un jeune ça aurait été plus grave, mais là il s'agit juste d'une affaire qui implique un salarié. Je comprends bien que Mme M. soit perturbée par ce qu'il s'est passé, nous aussi avons été choquées. Mais on va faire les choses au fur et à mesure "
"C'EST VRAI QU'ICI LES GENS ONT UNE CERTAINE PEUR DES SIKI"
Mme M., qui n'est donc pas une sorcière, reste sous le choc : "Si je suis allée voir les syndicats, c'est par rapport à la forme. Je suis éducatrice, je travaille avec des mineurs délinquants, si Mme B. pense que je peux envoûter des adultes, ça pose des questions par rapport à ma fonction. Est-ce que c'est mon travail qui les fait aller mieux, ou est-ce que je les envoûte ?"
Mme M. est une Antillaise vivant à Tahiti depuis 16 ans. Elle est malheureusement habituée aux préjugés : "Je suis Guadeloupéenne, et c'est vrai qu'ici les gens ont une certaine peur des siki (NDLR : personnes noires de peau). Il y a des amalgames entre l'Afrique et les Antilles… Mais c'est la première fois qu'on m'accuse d'ensorcellement. Ça m'a fait un choc, surtout que, hasard du calendrier, c'était le jour de la célébration de l'abolition de l'esclavage ! Ça a mis en doute ma fonction, ça m'a questionné sur mes origines, plein de choses. Je regrette surtout qu'on considère sérieusement des propos aussi exubérants, ce n'est quand même pas rien d'inventer une histoire comme ça. Quand ça arrive dans la vie publique, on se dit que certaines personnes ne sont pas capables de faire la part des choses. Mais en milieu professionnel, les origines ne devraient pas compter, seule la performance devrait être importante."
Malgré tout elle adore son travail : "Les jeunes qui arrivent au foyer sont tous mineurs. Mon travail est de les aider à se reconstruire, à se réinsérer dans la société. J'aime ce travail parce que j'œuvre pour la jeunesse polynésienne. J'ai l'impression que malgré les gros problèmes sociaux qui touchent le pays, il ne leur manque pas grand-chose, il faut juste leur redonner confiance en eux et en l'adulte, mais ces jeunes ont vraiment de grandes capacités."
Voilà une affaire pour le moins inhabituelle. Elle tient de l'anecdote, donc nous ne citerons aucun nom, mais elle a le mérite d'éclairer certains aspects de la société polynésienne et de notre vie commune, en particulier dans le milieu professionnel. Ainsi la rédaction de Tahiti Infos a été informée par des sources syndicales qu'une éducatrice salariée d'un foyer d’action éducative de Punaauia avait été l'objet d'une enquête interne pour… Sorcellerie. Une accusation liée de près à ses origines antillaises.
Mme M., que nous avons contactée par téléphone, nous raconte son expérience : "J'ai été convoquée par ma directrice et ma supérieure directe, qui m'ont fait part du fait que Mme B., directrice adjointe de l'association pour laquelle je travaille, les avaient informées que son beau-fils, veilleur de nuit pour le foyer, lui avait fait des révélations. Il dit que je l'aurais envouté parce que je suis amoureuse de lui, que je l'aurais ensorcelé avec une poupée et un rituel vaudou. J'aurais récupéré ses cheveux et des vêtements à lui pour confectionner cette fameuse poupée. À ce moment je me suis dit que c'est çà cause de mes origines, parce que je suis antillaise, donc j'ai pris ça pour de la discrimination."
L'enquête la disculpera rapidement : "Au cours des auditions, mon collègue qui était censé être avec le veilleur de nuit au moment je l'ai envouté, a expliqué que bien sûr tout était faux. Ensuite on me dit qu'un autre de mes collègues auquel il se serait confié doit être auditionné. Et lui non plus n'est pas au courant. Mais Mme B. voulait que la procédure continue et voulait une confrontation entre moi, le veilleur de nuit et les deux 'témoins'. Lors de la confrontation, il a admis qu'il avait menti à sa belle-mère, et comme elle y avait cru il n'avait pas démenti. Il a dit qu'il avait des problèmes avec sa concubine, c'est pour ça qu'il a inventé cette histoire. Lui, c'est un veilleur de nuit que je vois très rarement."
"NOUS AVONS L'HABITUDE DES CAS DIFFICILES, IL FAUT SURTOUT ÊTRE À L'ÉCOUTE"
Au terme de cette procédure, très mal vécue par l'accusée, la directrice du foyer Mme Q. conclut que l'éducatrice est – évidemment – innocente des accusations d’envoûtement. "Ces choses-là ne se sont pas passée du tout, il n'y a pas eu de sorcellerie. La personne qui a fait ces accusations les a inventées, il ne se sentait pas bien. La question est réglée" assure la directrice, contactée par téléphone. "On n'a pas pris ces accusations au sérieux, ça nous a paru un peu bizarre. Mais quand on nous signale des choses, il faut bien vérifier l'info, et il s'est avéré que tout était faux. Je peux comprendre que la salariée soit blessée, mais quelqu'un peut raconter des bêtises. À aucun moment on a pris parti pour l'un ou l'autre."
La responsable devient un peu gênée quand on lui demande si le salarié qui a porté les fausses accusations risque une sanction : "on gère ça en interne. Ça arrive à des personnes qui ne sont pas dans leur état normal de dire des choses. Elle était innocente, mais lui aussi est innocent à sa façon. Pour moi c'est un malentendu qui prend de l'ampleur. Nous avons l'habitude des cas difficiles, il faut surtout être à l'écoute de chacun et tout vérifier. On prend les deux en charge, à notre manière. Ils ont un espace d'écoute, on les accompagne. Mais il y aura une suite."
De son côté Mme B., la vice-présidente de l'association, également à un poste important dans l'un des plus gros ministères du Pays, minimise l'affaire : "Ce sont des histoires internes, on en a régulièrement. Là c'est un salarié qui dit avoir vu un Tahu'a (NDLR : guérisseur traditionnel polynésien). Ce n'est pas une histoire de vaudou. La directrice a fait une enquête en interne, ils ont entendu les salariés en question, et c'est finalement une affaire de superstition, et c'est tout. Il n'y a rien qui mérite qu'on s'y arrête. Si une affaire impliquait un jeune ça aurait été plus grave, mais là il s'agit juste d'une affaire qui implique un salarié. Je comprends bien que Mme M. soit perturbée par ce qu'il s'est passé, nous aussi avons été choquées. Mais on va faire les choses au fur et à mesure "
"C'EST VRAI QU'ICI LES GENS ONT UNE CERTAINE PEUR DES SIKI"
Mme M., qui n'est donc pas une sorcière, reste sous le choc : "Si je suis allée voir les syndicats, c'est par rapport à la forme. Je suis éducatrice, je travaille avec des mineurs délinquants, si Mme B. pense que je peux envoûter des adultes, ça pose des questions par rapport à ma fonction. Est-ce que c'est mon travail qui les fait aller mieux, ou est-ce que je les envoûte ?"
Mme M. est une Antillaise vivant à Tahiti depuis 16 ans. Elle est malheureusement habituée aux préjugés : "Je suis Guadeloupéenne, et c'est vrai qu'ici les gens ont une certaine peur des siki (NDLR : personnes noires de peau). Il y a des amalgames entre l'Afrique et les Antilles… Mais c'est la première fois qu'on m'accuse d'ensorcellement. Ça m'a fait un choc, surtout que, hasard du calendrier, c'était le jour de la célébration de l'abolition de l'esclavage ! Ça a mis en doute ma fonction, ça m'a questionné sur mes origines, plein de choses. Je regrette surtout qu'on considère sérieusement des propos aussi exubérants, ce n'est quand même pas rien d'inventer une histoire comme ça. Quand ça arrive dans la vie publique, on se dit que certaines personnes ne sont pas capables de faire la part des choses. Mais en milieu professionnel, les origines ne devraient pas compter, seule la performance devrait être importante."
Malgré tout elle adore son travail : "Les jeunes qui arrivent au foyer sont tous mineurs. Mon travail est de les aider à se reconstruire, à se réinsérer dans la société. J'aime ce travail parce que j'œuvre pour la jeunesse polynésienne. J'ai l'impression que malgré les gros problèmes sociaux qui touchent le pays, il ne leur manque pas grand-chose, il faut juste leur redonner confiance en eux et en l'adulte, mais ces jeunes ont vraiment de grandes capacités."