Histoire et culture polynésienne : il était une fois nos « fare » traditionnels


« Notre histoire ne serait pas ce qu’elle est sans nos « fare » ! » avait dit un jour pāpā Paemore, grand spécialiste de la culture des Îles-sous-le-vent. Lieux de repos, mais surtout de rassemblement ou de réunions, la maison traditionnelle polynésienne a fortement marqué les navigateurs, les missionnaires et plus tard, les touristes. Il était même devenu la deuxième icône de Tahiti et ses îles, après la « vahine». Mais avec le temps, il a subi de nombreux changements dans sa constitution et sa conception.

Dans un article paru dans le magazine culturel « hīro’a » du mois de septembre 2012, Natea Montillier, ethnologue au service de la culture et du patrimoine polynésien a décrit la constitution et la fabrication d’une maison traditionnelle polynésienne: « Un fare traditionnel polynésien était construit à partir des matériaux disponibles sur les îles : pierres volcaniques ou de corail pour paver le sol à l’intérieur et très rarement, pour les murs. De la terre, du sable et des herbes longues étaient utilisées pour le sol et des cordes de pūrau ou de bourre de coco servaient d’attaches pour les murs, les cloisons et le toit. Les cannes de bambou, attachées debout en cloisons permettaient de laisser passer l’air et la lumière, tandis que les cannes fendues, martelées en à-plats tressées selon divers motifs, servaient à réaliser des cloisons plus opaques. Pour la charpente et les pilotis, le bois massif naturel tels que le pūrau, le pandanus, ou les arbres fruitiers faisaient de solides constructions. La charpente devait être haute et pentue pour une plus grande résistance du toit au vent et à la pluie. Pour finir, le toit était recouvert de feuilles de pandanus séchées. »

La construction d’un « fare » ne pouvait se faire que sous la direction et l’appréciation d’un maître-constructeur, le « tahu’a-fare » lequel procédait à une cérémonie spécifique à cette tâche. D’autre part, la notion d’ouverture permanente, hormis les côtés exposés aux vents, donnait déjà une idée sur le caractère et le mode de vie des polynésiens d’antan, c’est-à-dire avant l’arrivée des missionnaires. Cet élément a été relevé par Natea Montillier dans le même article : « Les Tahitiens ne peuvent supporter l’idée d’être enfermés, un fare pouvait donc être ouvert de toutes parts ou n’avoir qu’un côté ouvert, tandis que l’autre, exposé aux vents, était fermé par des nattes. Le sol, légèrement surélevé, était couvert d’épais matelas de nattes. » Il a fait référence au livre « Voyages aux îles du Grand Océan » écrit par le consul Jacques Antoine Moerenhout et publié en 1837.

Selon le lieu de l’implantation du « fare », les matériaux utilisés étaient souvent les mêmes comme ceux cités plus haut. A l’exception faite que les maisons en bordure de mer étaient posées sur des « pilotis ». Rarement mais cela arrivait parfois que l’on trouvait des cases surélevées aux australes notamment, dans les cocoteraies se situant près de l’océan. Là aussi, la description de l’aménagement intérieur a été faite par l’ethnologue du service de la culture et du patrimoine : « La taille habituelle était de 7,2 x 3,6 mètres. Le toit était posé sur 3 rangées de piliers au centre, hauts de 2,7 mètres, ceux des côtés de 1,20 mètre. Le sol était recouvert d’un épais tapis de nōnoha (herbe longue et parfumée). Il n’y avait pas de cloison intérieure, les couples dormaient ensemble, les autres membres de la famille étaient groupés séparément par sexe. Les maisons étaient parfois édifiées sur une terrasse pavée et le plus souvent sur pilotis à 1,2 mètre du sol près des rivières et de la mer pour se garder de l’humidité. »

Autre point important souligné par Bernard Rodat, spécialiste en construction de maisons individuelles dans le Var (lequel a étudié les méthodes d’aménagements des fare traditionnels tahitiens durant les années 70), l’aspect communautaire qui régissait la vie d’alors. « Pendant nos recherches, nous avons découvert que tout se faisait en communauté. Les grandes cases de rassemblement ou de réunions étaient construites par des dizaines d’hommes. Il y avait même un exemple aux îles-sous-le-vent où un grand « fare » avait mobilisé 200 personnes, c’est dire de l’importance que revêtait cette tâche. » Mais pour un « fare » d’habitation de taille normale, un seul homme suffisait à la construire. Un extrait du film-documentaire des frères Alfonse et Charles Hollande intitulé « Si Tahiti m’était conté. » réalisé dans les années 70, montre un tahitien construisant sa case en l’espace seulement de deux heures. Quelques grosses branches de pūrau et une quarantaine de palmes de cocotiers, le tout lié par des cordelettes faites à partir des branches mêmes du pūrau et le tour était joué. Mais avec les techniques modernes de construction, et surtout la mise aux normes des constructions sommaires, les polynésiens ont changé malgré eux le style et l’aménagement de leur lieu de vie quotidien, adoptant ainsi le style européen. Et cela a commencé à partir des années 1800.

Le vent du changement de style

A cette époque-là, les missionnaires protestants qui ont réussi à s’établir à Tahiti, influencèrent radicalement les constructions des « fare » de l’époque. Selon les dires des témoins de ces changements, ils étaient simples et dépourvus le plus souvent de décorations. A contrario, les églises étaient construites avec du style. Les charpentes étaient taillées dans du bois précieux. Mais c’était une autre époque et une autre mentalité.

Plus tard, durant les deux premières décennies du vingtième siècle, le changement est finalement venu des exploitants de vanilles installés dans la colonie. Les affaires marchent et leur situation leur permet de se faire construire des maisons à tendance européenne qui étaient surnommées « fare vānira ». Et contrairement aux « fare » ouverts et dépourvus de cloisons de séparation, celles-ci possédaient des murs et des cloisons faites en bois rouge des Etats-Unis. Les tôles faisaient leur apparition et étaient posées sur un toit quasiment plat. A l’intérieur, on y trouvait également un couloir et des baies vitrées à petits carreaux. En avançant dans le temps, le style traditionnel a presque complètement disparu.

Les pensions de familles sauvent in extremis les « fare »

Il s’en est fallu de peu pour que le « fare » traditionnel ne soit relégué au banc des reliques. D’autres n’ont pas hésité à employer le terme de « souvenirs ». Fort heureusement, dans les années 90, de nombreuses pensions de familles et notamment celles des archipels ont effectué un travail de recherches, tant au niveau des styles que des matériaux, afin de ramener « l’ère » de cet héritage culturel, au premier plan. « Certes, les matériaux ont changé car aujourd’hui, les règles de sécurité et d’hygiène sont drastiques et nous nous devons de les respecter, mais hormis cela l’âme du « i[fare » tahitien fait partie de notre logique. ]i» a expliqué *Nadine, gérante d’une pension de famille aux îles Tuāmotu avant de relativiser : « Il est clair qu’on ne pourra plus construire des cases traditionnelles comme auparavant, mais c’est à nous aussi d’essayer de garder un maximum de traits communs entre nos maisons d’accueil actuelles et celles qui existaient avant. Cela est dû au fait que durant les années 1700 jusqu’en 1900, la pollution n’avait pas encore fait son œuvre et le climat était différent. Aujourd’hui, tout a changé.» A défaut de pouvoir reproduire à l’identique les anciennes structures, les professionnels du tourisme et de la culture s’accordent, à des degrés différents, à dire que l’hôtellerie de famille a permis de « sauvegarder » l’esprit des « fare » d’antan. Il suffit pour cela d’observer les bungalows dotés de toits en pandanus. Ils rappellent la case ancienne par sa forme et son style.

Seulement, l’évolution des normes et les exigences toujours plus strictes ont créé un autre style de « fare » plus moderne et en contreplaqué, le fare MTR. Son existence a été voulue et réfléchie par le gouvernement polynésien alors en place en 1983. Les cyclones qui avaient frappé les îles de la Société un an auparavant et la même année ont incité les autorités à mettre en place une politique de durabilité et de sécurité, ce qui a donc été le cas pour les maisons dites « sociales ».

Malgré tout, de plus en plus de particuliers font construire des maisons de style traditionnel, en mémoire aux traditions d’antan. Mais le « fare mā’ohi » fait de la résistance en continuant d’exister sur les marae tahitiens ou encore les paepae marquisiens. De plus, un groupe d’artisans de Raiatea s’attèle actuellement à la mise en place d’un programme de construction et d’apprentissage en direction des jeunes des îles-sous-le-vent.

Sources : magazine Hīro’a et Service de la Culture et du Patrimoine

TP


Rédigé par TP le Lundi 30 Décembre 2013 à 14:06 | Lu 6692 fois