Hikikomori, un mal-être en devenir en Polynésie


Observé en premier lieu au Japon, le syndrome Hikikomori s'est largement répandu dans toutes les sociétés modernes au monde. Aujourd'hui, il frappe aux portes de la Polynésie française.
Tahiti, le 20 mars 2024 – Le retrait social extrême, plus connu sous le nom de “Hikikomori” au Japon, touche de plus en plus de jeunes à travers le monde. Caractérisé par une phobie sociale et scolaire, ainsi qu'une réclusion à domicile pouvant durer des années, le phénomène s'installe également en Polynésie. Aujourd'hui, chercheurs, professeurs et parents tirent la sonnette d'alarme.
 
Si le phénomène n'est pas encore clairement défini, ni totalement compris, il gagne en revanche du terrain. Le Hikikomori, ou retrait social extrême, fait l'objet de nombreuses études menées par des chercheurs japonais désireux de mettre un nom sur un mal-être qui touche de plus en plus la jeunesse à travers le monde. Parmi eux, le professeur Tadaaki Furuhashi, actuellement sur le territoire polynésien dans le cadre de ses recherches, est catégorique : “On trouve de nombreux cas de Hikikomori en Polynésie.”
 
Caractérisé par une phobie sociale, un refus scolaire, ainsi qu'une réclusion à domicile pouvant s'étendre sur des périodes très longues, le Hikikomori tend à se propager de manière alarmante. Aujourd'hui associé à la cyberdépendance des jeux vidéo et d'internet, le phénomène se veut pourtant antérieur à l'ère de l'électronique et ses dérives. En effet, au Japon, dès 1920, le phénomène est observé et défini par de l'anthropophobie et du nervosisme. Dans les années 60, les scientifiques parlent de “syndrome d'identité diffuse” afin de désigner les jeunes ne pouvant pas trouver leur place dans la société. Il a fallu attendre 1985 pour parler véritablement de Hikikomori, et les années 2000 pour que le phénomène soit pris au sérieux par les autorités japonaises.
 
Une prise en charge difficile
 
En France, n'étant pas un diagnostic psychiatrique reconnu, le Hikikomori n'ouvre pas de droits et implique de ce fait le recours à d'autres catégories de diagnostic. En effet, pour pouvoir bénéficier d'une prise en charge de la sécurité sociale, les personnes victimes d'Hikikomori sont  catégorisées comme souffrant de dépressions chroniques ou de trouble du spectre autistique. Hélas, malgré un diagnostic de dépression et un traitement aux antidépresseurs, une personne Hikikomori ne sort pas nécessairement de son retrait social.
 
Selon le professeur Tadaaki Furuhashi, la pharmacothérapie est d'ailleurs vaine. “Ce que m'enseigne mon expérience clinique, c'est que le retrait social perdure tant que l'histoire de la rupture du lien social n'est pas abordée par le jeune et ses proches”, insiste-t-il. Malheureusement, rares sont les jeunes Hikikomori qui se déplacent de leur plein gré vers un établissement médical afin de consulter et demander de l'aide. Selon une étude des chercheurs Kondo N. et Sakakibara A. , le temps moyen entre le début du retrait social et le début d'un accompagnement spécialisé est d'environ quatre ans, ce qui est relativement long. Dans 21,8% des cas, le retrait social peut même durer de 5 à 10 ans avant d'être pris en charge.
 
Des degrés différents selon les pays
 
Si les symptômes sont les mêmes pour tout le monde, les déclencheurs diffèrent selon le pays et la culture locale. En France, les jeunes que l'on peut qualifier de Hikikomori tombent dans cet état plus tôt, suite notamment à un échec : rupture et déception lors de relations amoureuses et sexuelles, ou via la consommation de drogues, en particulier l'alcool et le cannabis. À l'inverse, au Japon, les jeunes deviennent Hikikomori plus tardivement, à l'approche d'une grande “rupture” et en voulant éviter un échec ou un trouble, souvent illustré par le passage à la vie adulte marqué par la fin des études.
 
Si pour le moment il est trop tôt pour avoir une vision exhaustive du phénomène en France et en Polynésie, les chercheurs s'entendent néanmoins sur l'étendue de la problématique au Japon : On y dénombre actuellement plus de 1 500 000 de Hikikomori, dont 70% sont des hommes. Toujours selon les experts, le chiffre devrait se multiplier par dix ces dix prochaines années et représenter 10% de la population totale du pays. Un chiffre astronomique et une tendance qui devrait s'étendre à tous les pays. La Polynésie est prévenue.
 

Témoignage – Patrick, parent d'un enfant Hikikomori au Fenua :

“Mon fils est resté un an sans jamais sortir de sa chambre. Lui demander de descendre ne serait-ce que dans le salon pour manger, c'était déjà trop pour lui. Même la famille il ne voulait pas la voir. Avec nous, les parents et sa petite sœur ça allait, mais le reste non. Les oncles, les tantes etc. : impossible. Son premier contact avec le monde extérieur a été via les jeux vidéo, où d'anciens copains à lui sont venus lui parler en ligne. Ils lui ont donné rendez-vous, plusieurs fois, il n'est jamais allé. Il a fallu qu'il nous en parle et qu'on lui propose de l'accompagner pour qu'il accepte de sortir. Il a donc d'abord repris contact avec un seul copain et le reste c'est fait vraiment petit à petit, très progressivement. Lorsqu'il a fallu essayer de comprendre l'élément déclencheur de ce mal-être, on s'est rendu compte qu'il s'agissait en fait de moqueries dont il a été victime à l'école. Ayant une malformation palatine, mon fils a des difficultés de prononciation, et lors d'un exercice de récitation en anglais ces camarades se sont moqués de lui. Et comble de l'histoire : la professeur a collé mon fils pour avoir fait rire les autres."

Réaction : Belinda Walker, Directrice du Lycée Samuel Raapoto :

“Depuis quelques années on observe une augmentation du phénomène de phobie scolaire, de mal-être. De plus en plus, on essaye d'accompagner des enfants qui n'arrivent plus à trouver leur place dans une classe, mais également dans la société en général. C'est inquiétant car souvent ce sont des enfants qui sont pointés du doigt. Aujourd'hui, la situation nous oblige à nous poser les bonnes questions et à avoir un œil averti sur ces problématiques. Pour le moment nous essayons de faire intervenir des partenaires afin d'avoir des points d'écoute. Je pense que c'est l'avenir des établissements scolaires. Nous devons devenir des lieux d'accompagnement des comportements à risque. Ces dernières années nous avons eu des élèves qui ont fait des tentatives de suicide, c'est une réalité à laquelle nous devons apprendre à faire face et c'est la raison pour laquelle nous devons continuer à nous former.”
 

Rédigé par Wendy Cowan le Mercredi 20 Mars 2024 à 17:20 | Lu 5717 fois