Hervé Leroy dresse son bilan


Tahiti, le 18 juillet 2023 - Affaire Temaru, choix procéduraux du parquet, atteintes à la probité : au terme de sept années d'exercice, le procureur de la République en Polynésie, Hervé Leroy, a accordé un entretien à Tahiti Infos dans lequel il explique notamment qu'il va rejoindre le parquet général de Papeete où il compte “terminer sa carrière”, lui qui ne comptait initialement pas “s'éterniser” en Polynésie. 

Vous quitterez vos fonctions le 1er septembre. Quel bilan tirez-vous de ces sept années écoulées ?

“Ce que j'aimerais dire en préambule, c'est que je n'ai pas vu passer ces sept ans. Contrairement à ce que certains peuvent penser dans l'Hexagone, il y a du travail ici et le parquet est vraiment très occupé. J'aimerais aussi ajouter que j'ai eu plaisir à exercer en Polynésie française car – et cela n'est pas du tout de la flatterie – j'ai constaté que nos compatriotes ont encore des valeurs liées au respect des anciens, de la famille, de l'autorité, qu'elle soit civile, militaire, judiciaire ou religieuse. Et il aura été agréable d'exercer dans ces conditions. En outre, en tant que procureur j’ai eu autour de moi une équipe de magistrats et de fonctionnaires engagés. Un chef de parquet ne peut pas faire grand-chose sans des collaborateurs investis. Je les remercie.”

Avez-vous été particulièrement marqué par certaines thématiques ?

“À titre professionnel, la lutte contre le trafic de stupéfiants – de paka et d'ice – aura été l'une des priorités de politique pénale résultant d’une volonté gouvernementale déclinée localement. Le trafic de méthamphétamine, notamment, a connu une accélération liée au fait que les services enquêteurs – le commandement de la gendarmerie, la section de recherches de Papeete et la brigade de recherches de Faa'a, la direction territoriale de la police nationale et l'antenne de l'Ofast ainsi que la direction régionale des douanes – aient mis l'accent sur cette problématique. Il y a eu de belles saisies réalisées et des jugements assez conséquents au niveau des peines de prison et des confiscations prononcées. Parquet et service enquêteurs ont eu à cœur de combattre ces trafiquants qui sont sans vergogne, sans foi ni loi et qui profitent du désarroi psychologique de certaines personnes. Selon la célèbre formule du Dr Claude Olivenstein, “la toxicomanie est la rencontre d'un produit, d'une personnalité et d'une circonstance”. Ces trafiquants, de vrais criminels chevronnés, signent la mort civile et sociale des toxicomanes et de leurs familles. Cette thématique m'a donc particulièrement marqué tout comme celle des violences intrafamiliales – sur les mineurs et sur les femmes – qui est aussi l'une des priorités fixées par l'ancien garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, dans sa circulaire de politique pénale territoriale pour la Polynésie française du 3 mai 2017, toujours d’actualité, et qui font l'objet d'une réponse pénale rapide.”

Justement, la politique du parquet consistant à renvoyer de nombreuses affaires en comparution immédiate a souvent été critiquée, notamment par les avocats. Est-ce une orientation que vous assumez ?

“C'est un choix assumé car tous ces contentieux – les stupéfiants, les violences intrafamiliales, les agressions sexuelles, la délinquance routière – constituent malheureusement des contentieux de masse qu'il faut traiter comme tel en apportant une réponse rapide afin de diminuer le délai entre la commission des faits et la réponse pénale. Pour ce faire, la comparution immédiate est la meilleure procédure. Non pas à tout va, mais en raison de la gravité des faits et de la personnalité de ceux qui les commettent. Le législateur indique d'ailleurs qu'il faut aller dans ce sens puisqu'il existe désormais la comparution immédiate à délai différé.”  

Ces sept années, on le sait, ont pu faire l'objet de tensions. Vous avez parfois été critiqué sur les choix de poursuites, notamment en ce qui concerne Oscar Temaru. 

“Lorsque l'on est procureur de la République, il faut assumer d'être critiqué et de ne pas être aimé. Ce n'est pas la vocation d'un procureur de la République de faire l’unanimité. J'assume mon choix dans l'affaire relative à Oscar Temaru. Je rappelle déjà que cette enquête, ouverte en 2014, avait été initiée avant mon arrivée. J'ai repris cette enquête et je l'ai poursuivie car c'est ce que l'on appelle l'indivisibilité du parquet. J'ai fait ce que je devais faire car mon action est orientée par la loi, toute la loi rien que la loi. Et si j'estime qu'il y a une infraction, j'exerce des poursuites. Maintenant, il appartient aux juridictions de dire si les faits sont constitués. La Cour de cassation verra ce qu'il en est et dira le droit. J'ajoute que je ne suis pas du tout animé par une quelconque volonté politique, ce n'est pas mon rôle mais je rappelle que l'une des priorités de la politique pénale énoncée par le garde des sceaux en 2017 est la lutte contre les atteintes à la probité.”

Après deux ans d'inertie, les renvois d'élus ou d'anciens élus se sont multipliés ces dernières semaines. Assumez-vous cette trêve judiciaire relative aux élections législatives et territoriales ? 

“Je ne parlerais pas d’inertie, parfois, il faut laisser le temps au temps. C’est-à-dire qu'un dossier peut être initié par le parquet, transmis aux enquêteurs puis clôturé et peut connaître d'autres développements en raison de nouveaux rebondissements. J'assume aussi le fait d'avoir temporisé car nous avons connu deux années riches en événements politiques avec les élections législatives puis territoriales. Du fait de ces scrutins électoraux, du fait que ces campagnes avaient été ouvertes bien avant la date officielle, j'ai jugé opportun d'attendre avant d'exercer l'action publique sous peine de laisser à penser que je pouvais interférer dans le scrutin électoral en poursuivant tel élu appartenant à tel parti. J'ai entendu respecter cette “trêve des confiseurs” pour qu'il n'y ait pas de discussions possibles sur la raison des poursuites.”

Vous allez désormais rejoindre le parquet général ? 

“J'ai été nommé en septembre 2016 comme substitut général du procureur général délégué dans les fonctions du procureur de la République. Pour tout dire, je ne pensais pas m'éterniser en Polynésie mais les mois et les années passant, j'ai été séduit par ce territoire au plan professionnel et personnel. Je vais donc terminer ma carrière ici. Ma collègue Solène Belaouar Faou, actuellement procureure de la République à Périgueux, va me succéder et je suis très heureux de voir une femme procureure de la République nommée en Polynésie française. C'est une bonne chose et je lui souhaite la pleine réussite dans ces fonctions qui sont prenantes mais aussi passionnantes.”

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 18 Juillet 2023 à 19:29 | Lu 2118 fois