Heiva : Entraînements intensifs, des conséquences parfois douloureuses pour les danseurs


PAPEETE, le 15 mai 2016 - Les entraînements intensifs pour préparer le Heiva I Tahiti ne sont pas anodins surtout pour des danseurs qui ne font pas de sport pendant l'année et qui du jour au lendemain prennent un rythme de sportif de haut niveau. Les conséquences se font vite sentir, le corps fatigue et les blessures ne sont jamais loin.

Le Heiva approche à grands pas, les groupes intensifient leurs entraînements. Les danseurs vont commencer à danser quatre voire cinq fois par semaines. Les bras toujours plus hauts avec des bouteilles remplies de sables pour assurer le maintien. Des chambres à air autour de la taille pour faire du poids sur le bassin et rechercher l’amplitude et la vitesse, répéter dix, quinze fois le même mouvement. Tout cela la plupart du temps sans échauffements et sans étirements. En soi, cela ne poserait pas plus de problèmes que ça, si les danseurs étaient tous sportifs et avaient un rythme d’exercice régulier tout au long de l’année, seulement ce n’est pas le cas, au contraire.

Un très grand nombre de danseuses ne fait pas de sport tout au long de l’année et tout à coup à partir du mois de février commence à s’entrainer trois fois par semaine pendant des heures durant. Cette reprise intensive sans préparation a des impacts conséquents sur le corps. Par ailleurs, les femmes en profitent pour se mettre au régime et perdre rapidement beaucoup de poids (10kilos environ en un mois ou deux).

Les nouvelles exigences des groupes qui excluent désormais les femmes faisant plus que du 42 ont accru la pression sur les danseuses qui parfois arrêtent de se nourrir pour accélérer la perte de poids. "J’ai certaines patientes qui m’ont avoué ne manger qu’une pomme par jour, parce qu’elles doivent perdre énormément de poids avant le Heiva pour rentrer dans du 42" raconte un soignant. Le problème se pose d’autant plus qu'un grand nombre de danseuses et de danseurs sont en surpoids voire en situation d’obésité, "ils ne devraient pas reprendre le sport d’un coup. Une reprise aussi intensive que l'entrainement du Heiva ça se prépare 6 mois voire un an à l’avance, par d’abord un régime puis une reprise progressive du sport. Tout ça impacte très fortement les articulations et les appuis des danseurs, ce n’est pas bon", explique le Dr Motyka, médecin du sport. "Ils s’entraînent comme des forcenés pendant cinq mois et arrêtent d'un coup le reste de l'année, ils pensent que ça leur donne du repos, mais c'est très mauvais parce que pendant cette période d'arrêt, les muscles perdent toute leur tonicité puis ils reprennent comme s'ils n'avaient jamais arrêté. Les douleurs reviennent plus vite parce que les déséquilibres des années précédentes restent voire s'accentuent", constate aussi Stéphanie Pereira, une ostéopathe qui a décidé de suivre gratuitement les groupes qui préparent le Heiva i Tahiti.


Le constat est sans appel, "je vois certains danseurs dans des situations inquiétantes. En général, ils ont des douleurs au niveau du bas du dos, des genoux, des chevilles et des pieds." À l'image de Steven, 24 ans danseur dans la troupe Hei Tahiti, "j'avais une douleur au genou qui s'est accentuée avec l'entrainement, du coup je suis allé voir l'ostéopathe pendant l'entrainement pour voir si tout allait bien dans mon squelette et comment faire passer la douleur."

Chaque troupe à sa particularité, "en fonction des groupes il y a des douleurs qui reviennent plus ou moins. Les entraînements sont tellement intenses et longs que les danseuses finissent pas se relâcher pendant l'exercice sans s'en rendre compte, c'est là qu'elles se blessent".

Le problème c'est que tous les chefs et présidents de groupes ne se sentent pas forcément concernés par la santé physique de leurs danseurs, "j'ai contacté tous les groupes amateurs et professionnels qui se présentent au Heiva, j'en suis que cinq sur les vingt, parmi lequel quatre professionnels et une troupe amateur. Les autres ne m'ont jamais répondu." L'ostéopathe se déplace au grès des entraînements des groupes et ausculte les danseurs qui viennent la voir "souvent ils viennent avec des questions et je fini par leur faire un bilan complet. Je donne directement les conseils aux danseurs en leur rappelant bien de s'échauffer avant les entraînements. Les chefs de groupe font ça depuis des années, ils connaissent leur métier et ont leurs façons de faire, mais il manque souvent des échauffements aux entraînements. Certains groupes proposent un peu de gainage, mais c'est rare", raconte Stéphanie.

Kelly Terorotua est une des danseuses qui a bénéficié de ce suivi, "je suis venue la voir parce que j'ai une douleur à l'épaule. Depuis quelques semaines elle est constante. Je suis très impressionnée par ça. C'est une belle opportunité pour découvrir l'ostéopathie, mais aussi pour apprendre sur son corps. J'ai appris que je suis tendue de partout."


De son côté, la présidente du groupe Hei Tahiti, Sandrine Trompette, trouve l'initiative intéressante "c'est la première fois qu'on nous approche pour nous proposer ce genre de prestations. C'est bien, c'est une initiative peu courante, ça permet d'éviter les blessures graves et cela apprend aux danseurs à s'entretenir et à faire attention à leur corps. Cela implique que les danseurs changent de mentalité et fassent plus attention à ce que leur corps leur dit et aux douleurs qu'ils peuvent ressentir."

À l'image de Sandrine Trompette qui laisse l'ostéopathe ausculter ses danseurs pendant les entraînements "certains présidents de groupe s'inquiètent pour leurs danseurs et viennent me voir après l'entrainement pour prendre des nouvelles, mais ils sont une minorité. Le problème c'est qu'ils ont un seuil de résistance à la douleur bien plus élevé qu'en métropole donc quand ils viennent nous voir les dégâts sont bien avancés. Mais ils ont un tel amour de la danse et une telle passion qu'ils préfèrent faire avec la douleur plutôt que de ne pas danser", constate Stéphanie Pereira.

C'est la première année qu'il y a de l'ostéopathie pendant les entraînements, "ça va prendre un peu de temps pour entrer dans les mentalités, mais j'aimerai réitérer l'expérience l'année prochaine et pourquoi pas l'étendre au Hura Tapairu", conclut la spécialiste.

Un conseil qui mettra tout le monde d'accord pour le Heiva de l'année prochaine donc, continuer à s’entraîner et à se maintenir en forme et garder un régime alimentaire équilibré pour ne pas imposer à son corps un effort trop violent et diminuer le risque de blessures. .

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Mercredi 15 Juin 2016 à 19:30 | Lu 8132 fois