Hao : un complexe aquacole dans un lagon pollué ?


Une partie du site du futur complexe Tahiti Nui Ocean Foods est recouvert de tas de gravats issus de la destruction des anciens bâtiments militaires de Hao.
HAO, le 11 mai 2015. Le projet de complexe aquacole de Tahiti Nui Ocean Foods à Hao vient relancer l'avenir économique de l’atoll situé à deux heures d’avion de Tahiti. Après avoir été la base arrière du Centre d'expérimentation du Pacifique et de ses essais nucléaires, Hao pourrait devenir la plaque tournante de l'aquaculture dans les Tuamotu.
Hao, sa piste d'aviation interminable (autrefois capable de voir atterrir en urgence la navette spatiale américaine) et ses gravats ! La visite de l'atoll en 2015 donne la vision irréelle d’une friche industrielle en voie de disparition, posée entre deux cocotiers et bordée d’un lagon turquoise. Des bâtiments en dur et des hangars que les militaires avaient construits à l’une des extrémités de la piste de l’aéroport, à l’opposé du village Otepa, il ne reste plus aujourd'hui que des dunes de gravats. C’est précisément là que les structures du complexe aquacole chinois devraient commencer à être construites dans les mois à venir.

Certains de ces reliefs artificiels en béton concassé culminent à plusieurs mètres au-dessus du niveau du lagon. A force d'être posés là, ils ont eu le temps d'être envahis par la végétation. Quelques plantes grasses rampantes qui résistent au manque d'eau et à la réverbération intense des atolls des Tuamotu ont créé de surprenants tertres verts. Du séjour sur place des militaires français à Hao jusqu'en 2000, on ne repère plus que quelques vestiges. Ici, une carcasse de camion rouillé, là une ancienne borne kilométrique précisant que le 13e régiment du génie est implanté à 17 500 km. Depuis 2009, l'Etat s'efforce de rendre à l'atoll son aspect d’origine. Mais il y a des restes encombrants.


Des terres polluées dont on ne sait pas quoi faire. Comme ces 150 000 tonnes de terre chargée de pollutions industrielles diverses (métaux lourds, hydrocarbures, pyralènes). Le déplacement de 21 000 tonnes de ces terres souillées vers des parcelles privées pour les entreposer dans un centre de stockage "provisoire" a soulevé l'indignation de certains habitants.
Battant en retraite, l'Etat s'est finalement vu accorder, tout récemment, une parcelle du Pays pour y tester un traitement biologique par composé organique. Le procédé marche bien en Europe, mais rien ne dit que l'expérience en milieu lagonaire corallien et sous le soleil de plomb des Tuamotu donne satisfaction. De fait, le test grandeur nature a pris 15 mois de retard. Ce centre de stockage "temporaire" à Hao est un pis-aller, car, pour beaucoup, le départ de ces terres de l'atoll est la seule solution acceptable. Mercredi dernier, en marge de la cérémonie d'inauguration du projet de complexe aquacole Tahiti Nui Ocean Foods, un ministre évoquait discrètement à un de ses interlocuteurs que l'idéal serait d'évacuer ces terres polluées vers Moruroa.

Une pollution qui ne se voit pas. Effacer de la surface de l'atoll toutes traces de son passé militaire pour accueillir dans les meilleures conditions des investisseurs chinois prêts à lancer une gigantesque ferme aquacole ne change pas la donne principale. Le lagon de Hao est pollué. La base arrière du CEP reste aujourd'hui encore à vue d'œil une friche industrielle et son environnement a été atteint par trois décennies d'insouciance vis-à-vis de la capacité de la nature à se régénérer. Une étude remise en juin 2012 au ministère de la Défense, et présentée aux élus polynésiens de l'époque, a révélé l'ampleur des risques sanitaires auxquels est exposée la population (*). On a retrouvé de telles concentrations de métaux lourds que cette étude recommandait aux habitants de limiter la consommation de poisson : pas plus de 15 kg par an et par adulte. Or, à Hao, le poisson du lagon est la base de l'alimentation quotidienne du petit déjeuner au dîner.

Depuis, les autorités ont dilué le message. Dans la Lettre d'information de Hao (**) de mars 2013, il est indiqué que "Si les premiers résultats, toutefois partiels, présentent des éléments indiquant des pollutions pour certains produits, ils ne sont actuellement pas suffisants pour que des conclusions finales puissent être arrêtées avec certitude à ce jour. Sur la base des premiers éléments déjà obtenus et en application du principe de précaution, il est préconisé de ne pas pêcher au droit des zones polluées et de ne pas consommer le foie des pahua et autres mollusques, et ce, dans l’attente des résultats complémentaires. Le Pays a demandé des compléments d’information, afin de pouvoir préciser prochainement les éventuelles recommandations d’usage, qui seront communiquées aux habitants de Hao une fois l’étude finalisée".
Trois ans après la diffusion de cette étude préliminaire pour le moins inquiétante, les habitants n’ont pas été informés de l’étape finale. Si tant est qu’elle ait eu lieu. En décembre dernier, le gouvernement polynésien annonçait qu’une étude sanitaire "visant à évaluer l’imprégnation par la pollution industrielle de la population de Hao" était confiée à l’Institut Louis Malardé en partenariat avec le Centre hospitalier universitaire du Québec. Les spécialistes canadiens sont attendus sur place sous peu. En attendant, les habitants pêchent dans le lagon sans restriction. C’est leur garde-manger à ciel ouvert. C’est pourquoi certains ne sont pas prêts à céder ne serait-ce qu’une infime partie de ses 720 km2 au groupe Tian Rui Investment pour exporter en Chine des poissons, coquillages et crustacés sélectionnés en écloserie et élevés en cage.



(*)
Article paru dans Le Monde 26 juin 2012, L'atoll d'Hao, victime collatérale des essais nucléaires
(**)
Article à lire dans Te reo o te tagata Henua N°11, mars 2013, CLIQUER ICI

La route de contournement qui longe le complexe aquacole va être reconstruite par le Pays en bordure d'océan avec une digue de protection. Coût estimé de ces travaux : 500 millions de Fcfp pour 3 km de long.

Rédigé par Mireille Loubet le Lundi 11 Mai 2015 à 17:08 | Lu 3226 fois