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Hani Teriipaia : “Le CHPF, c’est comme une ville qui ne dort jamais”


Hani Teriipaia a pris les rênes du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) en novembre 2024. Crédit photo : Thibault Segalard
Hani Teriipaia a pris les rênes du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) en novembre 2024. Crédit photo : Thibault Segalard
Tahiti le 9 avril 2025 - À la tête du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) depuis novembre, Hani Teriipaia dresse, pour Tahiti Infos, un premier état des lieux de sa prise de fonctions. Nommée dans un contexte de vives tensions internes, mises en lumière par un audit accablant en novembre dernier, la nouvelle directrice revient sur les chantiers prioritaires : désengorgement des urgences, réorganisation des services saturés – notamment celui de la médecine – et transformation structurelle de l’établissement. Interview.
 
Trois mois après votre prise de fonctions à la tête du CHPF, comment s’est passée votre arrivée et quelles ont été vos premières priorités ?

“Je suis arrivée en poste le 14 novembre 2024. Ma première priorité a été d’apaiser. De suite. Il fallait rétablir le dialogue, restaurer la confiance et renouer les liens entre les soignants, les administratifs et l’ensemble du personnel. Je pense que c’est pour ces qualités humaines que l’on m’a choisie. Il y avait eu des tensions, on en avait entendu parler ces derniers mois. Mon rôle, c’était vraiment de ramener de la sérénité.”
 
Votre prise de poste s’est effectuée dans un contexte interne délicat. Le dialogue social et des tensions internes avaient été pointés du doigt dans un audit l’année dernière. Où en est-on aujourd’hui ?

“J’ai le sentiment que la confiance est revenue. Juste avant ma prise de fonctions, un préavis de grève avait été déposé et un protocole d’accord avait été signé. Mais depuis, je pense que la situation s’est apaisée. J’ai également pris le temps de faire une tournée de presque tous les services, même s’il m’en reste quelques-uns hors du site principal. Le simple fait d’écouter, de rencontrer les équipes, d’apporter des réponses concrètes et rapides sur des problèmes simples, c’est déjà très apprécié. Bien sûr, certains chantiers prennent plus de temps, mais on avance.” 

Donc dans l’ensemble, on peut dire que les relations internes se sont améliorées ?

“Oui voilà, ça s’est apaisé. C’est du moins le sentiment que j’ai et des retours que j’ai pu avoir.”
 
Vous étiez auparavant à la tête de l’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale (Arass). Passer à la direction du CHPF, c’est un sacré changement d’échelle. Qu’est-ce qui vous a motivée et comment avez-vous appréhendé cette prise de poste ?

“C’est vrai. Avant d’accepter, j’avais conscience que ce serait un saut important. Mais une fois dans le bain, j’ai compris que je n’avais pas mesuré à quel point le CHPF est un établissement immense, avec des enjeux très variés. C’est un poste stratégique, politique, managérial, qui demande de la vision. Il y a de multiples facettes. Les journées sont très rythmées, pleines d’imprévus… Le CHPF, c’est comme dans une ville qui ne dort jamais. C’est 7 jours 7, 24 heures sur 24. Il faut toujours être sur la brèche.”
 
Justement, à quoi ressemble une journée type à la direction du Taaone ?

“Il y a une planification, mais elle est souvent bousculée. Beaucoup d’imprévus, d’urgences à gérer : un problème logistique, une panne électrique, une fuite d’eau, un problème sur le toit, un souci sur les repas, les blouses, les prélèvements... Récemment, une des lignes du système de transport des prélèvements est tombée en panne. C’est essentiel car ce sont ces lignes qui transportent les prélèvements jusqu’au laboratoire. Il faut une grande capacité d’adaptation, car ce sont toujours des imprévus.”

Vous expliquiez avoir rencontré le personnel de presque tous les services. Avez-vous pris des engagements concrets vis-à-vis des équipes ?
 
“Oui. Premièrement, j’ai revu l’organisation de toutes les directions fonctionnelles (des soins, paramédicale, technique, numérique… NDLR), avec un nouvel organigramme. Certaines directions ont été fusionnées pour plus d’efficacité, et j’ai créé une direction chargée des projets transversaux et stratégiques qui sont inscrits dans ma feuille de route.”
 
Peut-on connaître quels sont ces projets ?
 
“Trois axes structurent cette feuille de route : le projet d’établissement ‘Avei'a hôpital 2030, qui est un plan construit qui touche tous les secteurs de l’hôpital et se basera sur plusieurs piliers (il aura pour objectif d’adapter le statut de l’établissement, de transformer l’environnement numérique du Taaone, mais aussi de réviser les conditions de travail et revoir les financements de l’activité médicale, NDLR).

Il y a également la transformation du CHPF en établissement public de santé. Cela devrait permettre d’adapter notre statut à nos missions. Enfin, il y a un troisième chantier, qui consiste à structurer un groupement hospitalier territorial. Ce dernier est un changement statutaire qui, au travers d’un contrat, doit permettre de mutualiser certains services comme les achats, la logistique, la pharmacie ou l’informatique avec d’autres établissements. Ça permettra de faire des économies d’échelle mais aussi d’améliorer la prise en charge autour du parcours de soin du patient, depuis son lieu de vie jusqu’au CHPF puis à son retour chez lui. Il faut que les structures s’organisent autour du parcours de soin des patients.” 

Outre cette feuille de route, quelles mesures avez-vous prises depuis votre arrivée ?

“Plusieurs. Le laboratoire a été modernisé avec une chaîne d’automation robotisée (qui a coûté plus de 400 millions de francs), qui permet d’avoir des résultats en 45 minutes. Nous avons aussi mis en place un nouveau système Bed Manager, qui permet de mieux gérer et de fluidifier l’occupation des lits. Nous travaillons à un redimensionnement des services pour les rendre plus cohérents avec les parcours de soins – par exemple, regrouper sur un même plateau la mère, l’enfant et la femme. 
 
Nous avons aussi renforcé la capacité d’accueil en médecine, car c’est un besoin majeur avec une population vieillissante et des pathologies lourdes comme le cancer ou le diabète. Ce sont des enjeux majeurs de santé publique, et notre responsabilité, à l’hôpital, c’est de nous adapter. Aujourd’hui, les services de médecine sont saturés. Et certains patients sont installés dans d’autres unités, moins adaptées à leur pathologie. C’est un point sur lequel nous souhaitons vraiment avancer cette année.

L’extension du centre de dialyse est également en cours. Nous sommes actuellement en conformité pour dix postes de dialyse, mais notre objectif est d’en ajouter douze. Ce renforcement permettra de désengorger un centre aujourd’hui à saturation.”
 
Et concernant les urgences, dont le temps d’attente pour les patients est souvent pointé du doigt ?
 
“Un plan d’action a été lancé, avec rénovation des locaux et mise en place de quatre filières de prise en charge – du plus urgent au moins urgent –, dont une de médecine générale pour les cas les moins graves. L’objectif étant de réduire le temps d’attente. Mais l’idée est de désengorger les urgences vitales. Une conférence de presse est prévue la semaine prochaine pour informer la population.”
 
Autre point de tension, celui concernant la disponibilité des salles d’opération. L’audit réalisé l’an dernier pointait également ce problème, qui retardait la prise en charge des patients. 
 
“La situation a tendance à s’améliorer. On a commencé à optimiser des salles et à mettre en place les mesures proposées par l’audit sur ce point. Mais la fermeture des salles d’opération n’est pas uniquement de notre volonté, nous manquons de personnel, notamment d’infirmiers de bloc opératoire (Ibode). Il manque un tiers des effectifs. Sur 38 postes ouverts, nous n’en avons que 28.”
 
Justement en octobre dernier, le conseil d’administration du CHPF avait validé la création de 97 postes. Où en est ce plan de recrutement et quels sont les profils les plus difficiles à recruter ?
 
“Oui, les postes ont été pérennisés. C’étaient uniquement des postes de soignants, quasiment tous destinés à renforcer l’accueil des urgences vitales. Pour les profils les plus difficiles à recruter aujourd’hui, ce sont clairement les Ibode. Mais on a lancé des appels à candidatures depuis décembre, et là, on commence à en recevoir pas mal. Donc je pense que ça va se débloquer très prochainement.”

Justement, le CHPF peine souvent à recruter et à fidéliser ses soignants. Pourquoi est-ce si difficile de garder les soignants, infirmiers et médecins ?
 
“Je ne dirais pas qu’on n’attire pas, c’est surtout la fidélisation qui est compliquée. Il y a beaucoup de turnover, presque 50% par an chez nos 200 médecins et 400 infirmiers. La rémunération joue un rôle, surtout dans certaines spécialités où l’écart avec la métropole est important. Mais ce n’est pas le seul facteur, c’est un tout. Il y a aussi les conditions de travail, l’environnement, les horaires, et l’ancrage. Beaucoup viennent de métropole pour un ou deux ans, sans forcément s’installer durablement. Ils ont leur ancrage familial, moral et matériel en métropole. Mais nous travaillons à améliorer la qualité de vie au travail, à aménager les horaires, à diversifier les missions (enseignement, recherche). Tout cela participe à la fidélisation.” 
 
Sur le plan budgétaire, vendredi dernier, le conseil des ministres a approuvé un budget primitif 2025 à l’équilibre, qui est de 34,62 milliards de francs, comprenant un volet d’investissement de 3,99 milliards de francs, pour renouveler et moderniser les infrastructures… C’est un budget que vous avez proposé, n’est-ce pas ?
 
“Oui. Le budget 2025 est à l’équilibre. Tout le monde le sait, l’hôpital a été déficitaire pendant des années. C’est justement l’un de mes gros défis, de proposer des finances à l’équilibre. J’ai travaillé sur ce budget dès mon arrivée, je l’ai présenté au conseil d’administration, puis il a été validé en conseil des ministres vendredi dernier. C’est un budget de 34,62 milliards de francs, dont près de 4 milliards sont dédiés à l’investissement, notamment pour renouveler et moderniser nos infrastructures. Et ça, c’est essentiel, parce qu’au bout de quinze ans, on commence à avoir pas mal d’équipements en fin de vie. Nous allons principalement racheter du matériel biomédical, technique… Mais aussi refaire une partie du toit de l’hôpital.
 
On a aussi effacé 1,4 milliard de créances irrécouvrables accumulées depuis 2009, grâce à une subvention du Pays. Cela a permis de retrouver une trésorerie correcte. Ce sont des créances accumulées par des touristes qui n’ont jamais payé, des patients décédés ou juste non affiliés au régime de sécurité sociale ou d’assurance maladie et qui n’ont jamais payé l’hôpital.”

Concernant les infrastructures justement, y a-t-il des projets à venir ?
 
“L’ouverture du nouveau pôle de santé mentale est prévue pour le deuxième trimestre 2025. Ce bâtiment regroupera la pédopsychiatrie, l’addictologie et la psychiatrie, aujourd’hui dispersées. Ça va nous permettre de tout centraliser. Nous finalisons aussi l’installation du TepScan, pour un meilleur diagnostic du cancer. C’est de la médecine nucléaire, qui permet de mieux détecter les cellules cancéreuses. On est en train de finaliser les derniers contrôles de conformité, et si tout va bien, on ouvrira ce service au début du second semestre.

Le plus important, c’est de renforcer notre capacité d’accueil dans les services de médecine, notamment en diabétologie, cardiologie, oncologie et gériatrie. Ce sont des besoins de santé publique majeurs. Le cancer est désormais la deuxième cause de mortalité, derrière les pathologies liées au diabète et à l’obésité. On veut adapter l’hôpital pour accueillir correctement ces patients. Notre objectif, c’est servir la population.”
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mercredi 9 Avril 2025 à 19:26 | Lu 5839 fois