Guillaume Janoyer : archiver et protéger le patrimoine


TAHITI, le 2 novembre 2023 - Formé à l’architecture, Guillaume Janoyer est maintenant artiste 3D. Il scanne les tiki, rames, monuments et pierres d’intérêt pour les immortaliser virtuellement. À cette occasion, il découvre d’insoupçonnés trésors du patrimoine polynésien. Il espère, grâce à un projet de salle d’exposition immersive, conscientiser les résidents.

Leur projet initial, baptisé Fare Afera, a quelque peu évolué ; faute de financements et de partenaires. L’objectif, par contre, n’a pas bougé. Guillaume Janoyer et son père Jacques se sont lancé en 2022 dans la réalisation d’un musée virtuel. Le duo a commencé à numériser en trois dimensions tiki, bijoux, instruments, sites, œuvres… Aujourd’hui, la numérisation se poursuit, mais le musée a pris une nouvelle forme. “Nous travaillons sur une salle d’exposition immersive”, annonce Guillaume Janoyer.

Immersion dans le patrimoine polynésien

L’art immersif est la conception d'œuvres dans lesquelles le spectateur pénètre et séjourne. Des images sur un thème donné sont mises en scène et projetées au sein d’un espace (plafond, murs, sol). “De cette manière, on peut raconter un objet, un site, parler de l’histoire”, décrit Guillaume Janoyer, dont le projet mêle l’aspect historique, patrimonial et humain.


Plus que des visites, les expositions immersives proposent une véritable expérience. Pour cela, il faut trouver un espace adapté pour recevoir l’exposition, s’équiper de projecteurs, enceintes, numériser les éléments à projeter et concevoir un scénario. “C’est en cours”, indique Guillaume Janoyer qui s’intéresse actuellement au navire Kamiloa et à l’histoire des Kellum à Moorea. “Pour aller plus loin, on aimerait insérer dans le scenario un acteur qui pourra réagir en temps réel aux questions des visiteurs.”

Guillaume Janoyer a personnellement eu la chance de visiter l’exposition immersive Van Gogh à la Carrière des lumières (1er mars 2019 au 5 janvier 2020, Les Beaux-de-Provence). Un moment d’exception. Aussi espère-t-il, une fois l’espace trouvé à Tahiti, pouvoir accueillir des expositions internationales.

Menaces sur le patrimoine

En attendant, Guillaume et Jacques Janoyer nourrissent leur banque d’images. Grâce au bouche-à-oreille, ils découvrent des trésors. Par exemple, il y a peu, ils ont pu scanner la pierre de Taravao, ‘ōfa’i Taravao. Cette pierre servait à délimiter un territoire sur la presqu’île avant l’arrivée des Européens. Elle se trouvait derrière le bureau de l’OPT. Des travaux ont menacé son existence. Un homme, connaissant l’importance de la pierre, l’a déplacée. Ce fait n’est qu’un exemple parmi d’autres. “L’objectif de notre projet, au-delà du travail de mémoire, est de conscientiser les Polynésiens à l’importance de l’héritage physique et culturel. Un certain nombre d’objets sont menacés faute de connaissance.

Les collectionneurs privés, de leur côté, possèdent eux aussi des pièces d’exception à valeur patrimoniale. Ces dernières parfois sont vendues hors frontière. Les numériser permettrait d’en garder une trace.

“Je n’ai pas senti mes doigts pendant deux ou trois jours”

Guillaume Janoyer est né en 1995 à Papeete. Il a grandi sur la côte ouest de Tahiti, effectuant de fréquents allers-retours aux Tuamotu, à Manihi, où ses parents avaient une ferme perlière. Il est allé à l’école primaire et au collège à Paea, puis au lycée à Papara. Il a suivi son année de terminale à La Mennais. “Je ne savais pas précisément ce que je voulais faire, mais l’audiovisuel m’intéressait.” Son père, artiste 3D, a été le premier dans son secteur. Il a inspiré son fils.

En terminale, Guillaume Janoyer a émis deux vœux, motivés l’un et l’autre par un réel intérêt. Le premier était de suivre une licence en audiovisuel et le second de s’inscrire en architecture. “Il n’y avait plus de place en audiovisuel, j’ai suivi un cursus en architecture.” Il est allé à Montréal, à la faculté d’aménagement. Le dépaysement était au rendez-vous. “C’était mon premier grand voyage.” C’était aussi son premier hiver au froid. “En arrivant, j’ai plongé mes mains dans la neige, il faisait -30°C.” Le souvenir reste intact. “Je n’ai pas senti mes doigts pendant deux ou trois jours.”


“J’ai adoré la vie étudiante, le pays”

Il a passé trois ans au Canada. “J’ai adoré la vie étudiante, le pays.” Il a aussi apprécié ses études. Pour autant, il ne se voyait pas consacrer sa vie à l’architecture. Il aime concevoir des espaces, créer les visuels, “donner vie à des projets qui sont encore à l’état d’idée, de concept”. Mais le chemin professionnel d’un architecte est long. Il requiert patience et persévérance. “Il faut dix à quinze ans avant de pouvoir faire un projet qui nous plaît. Les professionnels qui intervenaient à l’université nous le répétaient, mes amis de promo qui ont continué dans cette voie me l’ont confirmé.”

Guillaume Janoyer s’est arrêté au bout de trois ans. Avant de rentrer en Polynésie, il a pris la direction de la France, pour découvrir le pays et rencontrer sa famille. En 2017, il s’est installé pour un an et demi dans le sud de la France, à La Ciotat. Il a pu se faire une première expérience professionnelle en tant qu’artiste 3D.

Il a ensuite travaillé sur de gros projets d’architecture à Tahiti. Avec son père, il passait des plans 2D en plans 3D. Il s’est familiarisé avec des outils photographiques qui permettent la réalisation d’images 3D et capturent la réalité dans toute sa complexité. “Ils sont en mesure de recréer les volumes bien sûr, mais également les couleurs, les surfaces et textures”, décrit Guillaume Janoyer. Pour obtenir les images en trois dimensions, il faut se placer à proximité de l’objet (ou du site) et numériser toutes ses faces avec un laser scan et un photo scan. Il est possible de créer une image 3D à partir de photographies 2D. Mais il faut disposer de très nombreuses images 2D différentes du même objet (ou du même site). Pour obtenir la plus fidèle des images en trois dimensions, il faut donc être en possession de l’objet où se rendre sur place s’il s’agit d’un site. Ce qui explique l’envergure du projet.


Prise de conscience

Guillaume Janoyer a pris soudainement et personnellement conscience des conséquences et enjeux de la disparition du patrimoine il y a peu. À Papehue, une grande maison coloniale a longtemps existé côté mer. La reine Pomare IV y avait séjourné. Guillaume Janoyer y avait passé une partie de son enfance. Elle a été détruite. De cette maison qui raconte en partie l’histoire de Tahiti, “je n’ai aucune photo. Et malgré mes recherches, je n’en trouve pas”. C’est dans ce contexte que Fare Afera a vu le jour.

L’immortalisation du patrimoine polynésien a commencé, il est en cours. Petit à petit, la collection des pièces virtuelles grandit. Mais le projet s’inscrit dans le très long terme. “Il existe pour toutes les générations qui viendront bien après nous !” Son ampleur et sa vitesse dépendront de l’accueil et du soutien qu’il pourra trouver.



Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 2 Novembre 2023 à 08:34 | Lu 1878 fois