Grève à la Dépêche de Tahiti : "la moitié du journal a été jetée à la poubelle" (Bertrand Prévost)


La plupart des salariés suivent le mouvement de grève.
PAPEETE, le 23/11/2017 - Le mouvement de grève à la Dépêche de Tahiti ainsi que dans ses filiales a démarré ce jeudi à 0 heure, la plupart des employés ont cessé leur activité ce jeudi. Les négociations auraient dû reprendre à 9 heures, mais les syndicalistes n'étaient pas au rendez-vous. La direction regrette néanmoins le gaspillage des papiers imprimés avant minuit, mercredi soir.

Plusieurs points sont revendiqués par les deux syndicats Csip et O Oe To Oe Rima, à la Dépêche de Tahiti et deux de ses filiales (l'imprimerie et la Centrale tahitienne de distribution (CTD)).

Mais les négociations entamées mercredi après-midi n'ont pas abouti. La direction a fait ses propositions, qui sont étudiées actuellement par les organisations syndicales. Vous retrouverez ci-dessous, les propositions faites par la direction.

Ce jeudi matin, 9 heures, le directeur des Rédaction de la Dépêche de Tahiti, Bertrand Prévost attend les syndicats pour reprendre les négociations, mais en vain.

À l'extérieur, les grévistes patientent sous un chapiteau à l'extérieur des locaux. Des mouvements peuvent tout de même être perçus du côté de la CTD. Des livreurs non-grévistes, "mais solidaires au mouvement" essayent d'assurer quelques livraisons.

Selon les chiffres récupérés auprès des grévistes et des directions, 100 % des salariés de l'imprimerie sont en grève, et à peu près la moitié des journalistes et des secrétaires de rédaction suivent aussi le mouvement. Pas de certitude par contre, pour les salariés de la CTD.

À l'étage, quelques employés sont à leur poste. Le temps semble tourner au ralenti dans les locaux. Quelques sourires échangés pour détendre l'atmosphère. Dans son bureau, Bertrand Prévost accepte de répondre à nos questions. Mais celui-ci ne peut parler qu'au nom de la Dépêche de Tahiti. Il regrette néanmoins le gaspillage des papiers imprimés mercredi soir, avant le début de la grève. "Les imprimeurs ont débrayé hier soir à minuit, c'est dommage. D'autant, qu'ils avaient commencé à imprimer le journal hier soir, et à minuit, ils ont stoppé. Ça fait la moitié du journal qui est jetée à la poubelle."

Le point le plus important reste tout de même "l'externalisation" mise en place par le groupe. "Je comprends les inquiétudes. On essaye d'y répondre du mieux qu'on peut et dans le cadre de la modernisation de la dépêche, on est obligé de changer de logiciel de montage. On est obligé d'externaliser, comme beaucoup de magazines télés le font en métropole et ailleurs, le montage des pages télés. Mais tout ça, se fait sans licenciement", explique-t-il. "Depuis quelques temps, la dépêche a perdu plusieurs journalistes qui n'ont pas été remplacés, ainsi que plusieurs secrétaires de rédaction. Nous n'avons qu'une seule personne pour alimenter notre site web, l'autre personne n'ayant pas été remplacée, ce sont autant de postes que nous avons laissé vacants pour que les personnes qui seront impactées par les modifications à la dépêche puissent retrouver du travail au sein de l'entreprise", poursuit-il.

Les syndicalistes, quant à eux épluchent point par point les propositions faites par la direction de la Dépêche de Tahiti. Pour l'heure, aucune rencontre n'est prévue entre les deux parties, même si la direction laisse la porte ouverte aux discussions.


Propositions de la Dépêche de Tahiti

1/ Paiement des salaires avant le 8 de chaque mois


"La direction propose d’arrêter les salaires aux dates du 15 de chaque mois afin de procéder aux vérifications d’usage le plus rapidement possible et de procéder aux versements des salaires en temps normal."

2/ Non à la suppression de la prévoyance santé et la retraite complémentaire

"La direction propose le maintien de la mutuelle santé qui bénéficie à presque tous les salariés de l’entreprise. La retraite complémentaire, qui n’est souscrite que par moins de 20 personnes sera supprimée. La direction va prendre contact avec Axa pour connaître les deux points suivants :
- Pour ceux qui le souhaitent, quelles sont les modalités pour récupérer les cotisations versées ?
- Pour ceux qui préfèrent continuer à cotiser, est-ce que cela est toujours possible et sous quelles conditions ?
"

3/ A - Non à l’externalisation de l’impression de la Dépêche de Tahiti vers une autre imprimerie.

"La direction tient à signaler que passer par une nouvelle imprimerie est un préalable pour la survie de l’ensemble du journal et de l’ensemble des sous-traitants et cotraitants.
L’économie est d’environ 100, millions par an, indispensable pour réduire les pertes.
La machine utilisée par la société RLD est en fin de vie, multiplie les pannes, et n’imprime plus avec une qualité suffisante pour que le produit La Dépêche soit de qualité et concurrentiel sur un marché mis à sac par la publication d’un journal gratuit qui ne se formalise pas de ses propres pertes.
La société RLD nous a informés que par ailleurs elle s’est engagée à reclasser l’ensemble du personnel, Pacific Press et autres employeurs suivant la qualification des personnels.
De plus, la société RLD s’est engagée dans le cadre du choix de la nouvelle impression de la Dépêche, à proposer un emploi dans ses différentes sociétés pour celles et ceux qui n’iraient pas travailler à Pacific Presse.
"

B - Non à l’externalisation du pôle magazine Tiki Mag.

"Externalisation et modification du travail de ce pôle ne signifient pas pour autant licenciement des personnels concernés. Les pages télés du Tiki Mag sont externalisées au montage en métropole, comme de très nombreuses sociétés éditrice de programmes télé le font déjà. Quatre postes sont concernés au pôle magazine dans le cadre de l’externalisation des programmes. Le premier est parti à la retraite et ne sera pas remplacé. Pour le second, des discussions ont été menées pour proposer son passage au service des sports de la Dépêche où il manque un journaliste. Les troisièmes et quatrièmes personnes se voient en ce moment même proposer des postes au sein des sociétés travaillant avec la Dépêche. Il manque une personne au pôle web, il manque un secrétaire de rédaction, et plusieurs postes sont à pourvoir à RPP au montage ou aux petites annonces. La direction répète encore à tous : IL N’Y AURA PAS DE LICENCIEMENTS.
Idem pour la mise en place du nouveau logiciel de montage SWYP. Si ce dernier s’avère être économe en personnel au service du secrétariat de la rédaction, les journalistes concernés se verront proposer de passer sur le terrain. Une phase d’étude de trois mois au moins après l’installation du nouveau logiciel est préconisée pour une bonne mise en place des services.
"

4/ Non à la suppression de la prime ancienneté carte de presse.
"La direction a décidé de ne pas supprimer cette prime"

5/ Non à la suppression du 13e mois
"Un 13e mois comme il existait à l’époque du groupe Hersant n’est plus possible en l’état actuel des finances de la Dépêche.
La direction propose pour cette année, comme elle s’était engagée dans le protocole du 19 février 2016, le versement d’une prime de 200 000 francs, avant les fêtes de Noël. Cette prime se décomposera ainsi : 150 000 francs, et des bons d’achat d’une valeur de 50 000 francs dans un magasin de la place.
Quant aux paiements des 13e mois des exercices précédents aux quelques salariés qui n’ont pas souhaité accompagner l’effort collectif des autres salariés de l’entreprise, la direction va voir comment elle peut régler la question.
"

6/ Mise en place d’un audit financier
"La direction y est très favorable si les syndicats veulent lancer cet audit."

7/ Situation et avenir des sociétés

"La situation est connue et elle est compliquée. Si elle était parfaite, les mesures précédemment citées ne seraient peut-être pas à mettre en place. Quant à l’avenir, avec l’effort consenti des salariés et celui de l’actionnaire, la Dépêche retrouvera ses armes pour repartir de l’avant, dans un nouveau format, avec un nouveau logiciel de montage, avec une équipe de journalistes de terrain renforcée, pour maintenir sa place légitime de premier quotidien des Polynésiens.
L’ensemble des économies faites rendent à nouveau "bankable" l’entreprise.
"

8/Non aux recrutements des patentés pour remplacer ou occuper des postes de salariés permanents.

"La direction sera vigilante à ce que cela soit le cas. Actuellement, seule une patentée vient en renfort du montage des pages sport lorsque le titulaire est en congés ou malade. Une autre patentée intervient pour le pôle magazine. Or, cette dernière effectue un travail qu’elle effectuait lorsqu’elle était salariée, avant qu’elle ne prenne une disposition jusque juin 2018. La direction va mettre un terme à cela en réaffectant ces tâches à des salariés titulaires de l’entreprise."

9/Respect et application des protocoles de fin de conflit
"Ce sera le cas puisque le respect de ces protocoles porte sur la prime de fin d’année. Une proposition en ce sens est faite de la direction."

10/Atmosphère délétère – pression et harcèlement moral

"Le directeur de la rédaction a déjà commencé à recevoir les personnes dans son bureau et sera d’une extrême vigilance pour que chacun dans l’entreprise se sente à sa place. Son bureau est en permanence ouvert à tous ceux qui voudraient lui faire part de problèmes dans l’entreprise."

"En conclusion, il, faut comprendre que si ces propositions sont acceptées, la société actionnaire mettra les moyens adéquats en fonds propre pour la poursuite des missions de la Dépêche."


Bertrand Prevost
Directeur des Rédactions de La Dépêche

"Ce changement va nous faire gagner environ 100 millions de francs l'année prochaine"


"Je comprends leurs craintes, mais si on arrivait à s'asseoir autour d'une table pour en discuter posément. On pourrait lever cette grève très rapidement.

Au titre de la direction de la dépêche, je n'ai pas mon mot à dire sur les choix de l'actionnaire principal de changer d'imprimerie pour le journal. Ce que je sais de la Maison mère, c'est que ce changement va nous faire gagner environ 100 millions de francs sur l'année prochaine et sur les années à venir, ça ne va pas être négligeable. Pour une entreprise qui a des difficultés financières, c'est un bel apport.

Ensuite, la discussion se fait à l'imprimerie sur le reclassement du personnel, et l'actionnaire principal est en train de voir avec les syndicats et les personnes concernées où elles pourront aller. Le but étant qu'il n'y ait aucun licenciement, dans le cadre de cette modification.

À ma connaissance, il n'y a eu aucun licenciement depuis la reprise du groupe. Il y a eu des départs volontaires, des départs négociés, des départs à la retraite et des non-remplacements de postes.
Pour le groupe La Dépêche de Tahiti, nous sommes 48 personnes. Il y a eu un dégraissage, la situation économique du groupe étant ce qu'elle est, on ne pouvait pas continuer sur les bases de ce que Hersant avait lancé, qui d'ailleurs était à perte, il ne faut pas se leurrer.
"


La direction de Pacific Press répond aux rumeurs

Largement évoquée par les partenaires sociaux, les salariés et la direction du groupe la Dépêche, la direction juridique et financière du groupe Moux, propriétaire de Pacific Press précise :

"À l’heure actuelle, sollicitée par Dominique Auroy, Pacific Press, dont c'est l'objet social, a répondu à une demande de travaux d’impression. Seules des propositions commerciales ont été transmises aux différents groupes de la Dépêche pour des travaux d’impressions de catalogues, du journal La Dépêche de Tahiti et du Tiki Mag.

Concernant les postes éventuels, il n'a jamais été et il n'est nullement question dans ces propositions, d’embauche de personnel.

La direction dément également toute rumeur de fusion ou de rachat, évoquée dans la presse.
"


Quelques livreurs continuent leur activité, même s'ils restent solidaires.

Le directeur des Rédactions est allé à la rencontre des grévistes.

Au pôle magazine, les non-grévistes font de leur mieux pour assurer le service.

Rédigé par Corinne Tehetia le Jeudi 23 Novembre 2017 à 12:10 | Lu 4089 fois