Grève à Carrefour : les négociations patinent


Tahiti, le 28 décembre 2020 - Toujours pas de protocole de fin de conflit en vue. Pas question pour la direction de céder sur le paiement des jours de grève, ni pour les syndicats de renoncer à cette "contrepartie". Si l'intersyndicale reconnaît que la direction est dans son bon droit, elle exige de pouvoir discuter de tous les points du préavis, au risque de durcir le mouvement.
 
"On va continuer et on va durcir, on verra comment" a conclu Vatea Heller, secrétaire général adjoint de O Oe To Oe Rima, hier après-midi, devant des manifestants visiblement motivés à poursuivre. La grève qui dure déjà depuis mardi promet donc de durer encore quelques jours dans les quatre hypermarchés du groupe, alors que les négociations patinent. À l'issue d'une réunion de quatre heures ce matin avec les responsables des magasins Carrefour de Arue et Punaauia, les délégués syndicaux sont ressortis désabusés.
 
Le dernier point d'achoppement portant sur le paiement des jours de grève n'a toujours pas trouvé d'issue favorable, malgré la proposition de la direction d'étaler la retenue sur deux à trois mois. "C'est une petite avancée de rien du tout, mais quand on a demandé à étendre sur six mois, soit un jour par mois, ils ont dit non," rapporte Atonia Teriinohorai, secrétaire général O Oe To Oe Rima. Les syndicats ont également proposé de retenir la moitié des jours de grève et de passer l'autre en congés payés. Toujours non.
 
La directrice grande distribution du groupe reste ferme sur sa position initiale : pas de paiement, ni de "compensation". Elle rappelle par ailleurs avoir annoncé la couleur dans ses tournées pré-grève. "Ils sont partis en connaissance de cause. À partir du moment où un salarié choisit de se mettre en grève, il y a suspension du contrat de travail, c'est ce qui est prévu par le droit de grève, rappelle Nancy Wane. On s'est engagé sur les deux premiers points bloquants qui sont le harcèlement et le reclassement de la DRH, puis sur une rencontre plus sereine le premier trimestre pour les autres points."
 

Après le rush de Noël et du jour de l'an, les inventaires

Ce que les syndicats refusent d'entendre, craignant de ne plus avoir le même rapport de force d'ici mars. "En fait, elle demande un chèque en blanc aux salariés : vous levez la grève et on discutera des autres points en janvier. On a besoin d'un minimum de garanties pour pouvoir travailler là-dessus" rétorque Yves Laugrost. Pour le secrétaire général du syndicat A ti'a i mua, comme pour les autres, il s'agit soit d'aborder tous les points du préavis dans les plus bref délais, sinon de payer les jours de grève.

"L'augmentation des salaires, le reclassement du personnel et tout un tas de primes qui ne sont pas payées comme prévu par le code du travail, et notamment par la convention collective du commerce, etc. ils veulent bien en parler, mais à une date ultérieure. Mais une fois que la pression sera retombée, elle fera ce qu'elle veut" signale le syndicaliste. Atonia Teriinohorai le rejoint sur ce point. "On aimerait bien avoir un accord de principe, des garanties, parce que faire revenir les grévistes dans un mois ce n'est pas évident."
 
Nancy Wane pourtant se défend de jouer la carte de l'usure. Il s'agit de mettre fin à la grève, en contrepartie d'un engagement écrit afin de discuter "dans un environnement plus serein" et non "sous pression". "À un moment donné, si on doit construire, avancer et maintenir l'emploi, ça ne doit pas se faire comme ça, pas à la veille de Noël, déplore la directrice. Dans le protocole d'accord on s'engage à se rencontrer selon un calendrier de travail après les inventaires, parce que nous avons des impératifs opérationnels à ce moment-là". Une période charnière qui ne laissera pas de répit aux salariés après le rush de Noël et du jour de l'an.
 
Les syndicats l'ont bien compris et comptent s'en servir comme éventuel nouveau moyen de pression, notamment pour faire appliquer une autre revendication : un point de la convention collective relatif aux jours de récupération pour les dimanches travaillés. "On s'est aperçu qu'il n'avait jamais été respecté"  souligne Yves Laugrost.
 

"On avait avancé un peu, et là on a reculé"

Une nouveauté de plus qui interpelle Nancy Wane, cette dernière pointant du doigt "l'évolution" de revendications qui ne rentrent plus dans le cadre du préavis. "Au départ, c'était parce qu'on payait en retard le 13e mois, ensuite c'était la DRH. La semaine dernière, c'était pour le paiement des jours de grève, maintenant y a d'autres points qui se rajoutent et si ça continue comme ça, on ne s'en sort plus." 

Dans ce contexte, les négociations à Punaauia ont été suspendues. "On avait avancé un peu, et là on a reculé, c'est eux qui ont arrêté la négociation parce qu'ils ont estimé qu'on cherchait à noyer le poisson" commente Bertille Johnston, déléguée syndicale Otahi. Les tractations se sont alors poursuivies du côté de Faa'a, avec les responsables de Carrefour Plaza et ceux du Carrefour de Taravao.

Même déception à l'issue des discussions. "Une fois de plus, nous ne sommes pas entendus" résume une syndicaliste. "Ils jouent l'usure, c'est dégueulasse, renchérit une consœur. Ce sont des petits contrats qui sont sur le terrain. Si avec eux on obtient les points demandés avec cette grève, c'est tout le monde qui en bénéficiera, y compris ceux qui n'ont pas fait grève." Le climat s'est encore tendu lorsque la direction a déposé quatre référés contre l'intersyndicale pour non respect de la distanciation sociale. En réaction, ces derniers ont déposé au tribunal un recours pour "entrave à l'action syndicale". Ambiance.
 

La grève se poursuit à Océania et à Marina Taina

Statut quo aussi tendu du côté des magasins Océania et Marina Taina, où aucune discussions n'ont eu lieu depuis mercredi avec la direction selon O Oe To Oe Rima. Les salariés en grève dénoncent du harcèlement et des pressions de la part de la nouvelle équipe dirigeante arrivée en 2018.
Assigné au tribunal pour « entrave à la liberté de circuler », Atonia Teriinohorai, secrétaire général. « ça permettra au moins de se mettre autour d'une table pour discuter, vu que la direction ne veut pas me recevoir » indique le principal intéressé, qui annonce avoir également déposé un recours. 

Rédigé par Esther Cunéo le Lundi 28 Décembre 2020 à 18:41 | Lu 2672 fois