Géros : “Il faut que les gens manifestent”


Tahiti, le 29 mai 2024 - Dans une longue interview accordée à Tahiti Infos ce mardi, le président de l'assemblée Antony Géros s'est coiffé de sa casquette de vice-président du Tavini Huiraatira pour réagir à l'éviction “manu militari” d'Éliane Tevahitua du gouvernement. Sans langue de bois, il évoque aussi ses rapports avec Moetai Brotherson et invite les mécontents à “manifester leur désarroi”.

 
L'éviction d'Éliane Tevahitua du gouvernement a surpris et interroge beaucoup... Vous auriez aimé que ce soit discuté au sein du Tavini ?

“Il s'agit quand même d'Éliane. Quand on touche à un élément important du parti, il est essentiel que la discussion se fasse à l'intérieur du parti. Même si cet élément fait partie d'un tout institutionnel, il faut quand même se rappeler au départ que ce choix était politique (...). Le fait qu'on s'en défasse comme ça, manu militari, je trouve cela très dommage pour le parti qui se retrouve affecté.”
 
Faut-il renverser le gouvernement ?

“On n'en est pas là. Pour l'instant, la situation porte uniquement sur cette décision prise par le président du Pays. Mon président de parti et moi-même avons participé à la discussion sur la possibilité de partage de portefeuilles, mais il n'a jamais été question de remaniement.”
 
Vous disiez que la nommer vice-présidente a apporté de la sérénité au sein du parti quand elle a été retirée de la liste électorale. C'était juste de la poudre aux yeux pour calmer ceux qui étaient fâchés ?

“Nous étions au congrès et elle était assise derrière moi. (...) Elle a été appelée (comme 2nde de liste sur la section de Faa'a-Punaauia, NDLR) et moi j'ai accueilli ça comme le fait que la liste avait été officialisée. Et puis le lundi, j'ai appris, toujours comme maintenant, par les médias, qu'il y avait un changement de dernière minute. J'ai été assez affolé parce que je connais bien Éliane. (...) Donc j'ai attendu. Et j'ai appris qu'elle avait été appelée pour être vice-présidente. Je me suis dit, l'honneur du parti est sauf. Mais voilà, aujourd'hui, elle est démise.”
 
C'était juste pour faire joli ?

“Voilà, tout le monde va penser comme ça. Je ne souhaite pas penser comme ça, mais je trouve cela dommage parce que cette situation affecte le parti.”
 
Nous étions avec Oscar Temaru un peu avant, mais il estime que c'est polémique et qu'il faut laisser travailler le gouvernement jusqu'à la fin...

“Chacun prend ses responsabilités. Moi, je me suis exprimé au congrès, je ne reviendrai pas là-dessus. J'ai accepté de prendre la responsabilité d'être aux affaires de l'assemblée. Au niveau du Pays, je pense qu'il faut que le président puisse s'affirmer en apportant peut-être un éclairage différent de celui qu'on connaît aujourd'hui pour accréditer sa décision. Parce que ce n'est pas n'importe qui quand même Éliane. (...) Ça aurait été quelqu'un qui n'est pas du parti, ça ne me gênerait pas. Mais là, ça m'interroge. Elle va être remplacée par qui ? Par quelqu'un du parti ?”
 
Les noms de Vannina Crolas et de Minarii Galenon circulent beaucoup...

“Non mais... de dix, on passe à neuf. Qui va être celui qui va venir rééquilibrer l'équipe de dix ? C'est important. Si le parti est privilégié, je me tairai, mais si le parti n'est pas privilégié, je m'interrogerai.”
 
Une dizaine d'élus du Tavini sont partis fêter l'indépendance de l'Azerbaïdjan. Ça veut dire que c'est plus important que de travailler pour le nuna'a ? Qu'il n'y a pas de travail à l'APF ?

“Ils n'ont pas été invités par l'Azerbaïdjan sinon, institutionnellement on aurait été mis au courant. Donc oui, peut-être... Je les ai invités pour la séance du 6 juin et j'attends bien qu'ils soient présents. Après, ce qu'ils font entre les deux, ça les regarde. Moi, je me suis occupé de tous mes experts en déontologie. Là, je prépare le prochain collectif.”
 
Vous aviez dit à Oscar Temaru pendant la campagne qu'il ne fallait pas mélanger la politique avec le cœur, et donc avec sa famille...

“En fait, j'avais dit qu'en politique, on prend des décisions et parfois, on est partagé entre la raison et le cœur. Donc quand on est aux affaires du Pays, il faut être très objectif dans sa prise de décision et c'est la raison qui prime. Après, quand on voit les décisions qui sont prises, on s'interroge. Mais on ne blâme personne.”
 
Ils sont nombreux au niveau de la base du Tavini à attendre que le président du Tavini intervienne, mais ils disent qu'il ne peut pas le faire car il s'agit de sa fille et de son beau-fils...

“Ça n'engage qu'eux. Mais je sais, pour le connaître suffisamment, que s'il (Oscar Temaru, NDLR) doit prendre des décisions, il les prendra. Quel genre de décisions vous attendez qu'il prenne ?”
 
Vous rencontrez toujours la base du Tavini ? Elle dit qu'il faut changer ce gouvernement... même si tout ne va pas si mal que ça...

“Je me suis exprimé avec beaucoup de gens qui sont venus avec les mêmes éléments. Mais ce qui serait intéressant, ce serait que les gens manifestent leur désarroi, leur désappointement. Je me rappelle quand on était aux affaires du Pays en 2011, on a eu une cohorte de contestataires qui sont descendus dans les rues. (...) Je ne vais pas jeter l'opprobre sur l'équipe actuelle parce que j'ai été aussi à l'origine de l'élection du président. J'attends juste qu'il prenne les bonnes décisions pour que demain, la grogne ne se transforme pas en vérité, c’est-à-dire de voir les syndicats ou les patrons se lever et nous dire, on n'en peut plus. Pour l'instant, ce n'est pas encore le cas.”
 
Comment sont vos relations avec Moetai Brotherson ? Ça va ?

“Je ne vais pas être plus royaliste que le roi, on a choisi quelqu'un pour être président. Je pars du principe qu'il a suffisamment de connaissances et d'intelligence pour pouvoir faire prendre par ses ministres les bonnes décisions. Il y a déjà eu un petit loupé au niveau de la fiscalité, ce qui a valu que je compatisse à l'intervention de la minorité qui essayait de tirer les sonnettes d'alarme. Bon, cet épisode est terminé. Ça s'est mal terminé d'ailleurs avec une annulation au Conseil d'État et il y a d'autres recours sur le fond. (...) Mais quid de la cherté de la vie, de cette population en exclusion sociale ? J'attends vraiment du ministre de la Santé qui est en charge de la PSG qu'il nous annonce des choses qui règleraient l'équilibre (des comptes sociaux, NDLR) puisqu'on a retiré la TVA sociale.”
 
Et si la loi fiscale est encore retoquée...

“Sur le fond, je pense qu'ils ne peuvent pas annuler toute la loi. Mais ça ne va pas entraîner de conséquences importantes parce qu'encore une fois, on n'avait pas besoin de proposer cette loi.”
 
Alors pourquoi votre majorité l'a votée ?

“Quand on nous apporte cette loi et qu'on fait partie d'une même majorité, on la fait passer. Mais ça ne nous empêche pas d'être aussi intelligents qu'eux, sinon plus, pour dire que ça ne sert à rien. On est en train de s'arracher les cheveux, de se contredire les uns et les autres pour un rapport d'un milliard et demi (...). Autant retirer la loi et attendre la vraie réforme. C'est une perte de temps et d'énergie. Amenez-nous du costaud, et surtout du prioritaire (...) On attend que ce qui est intéressant pour la population arrive.”
 
On va attendre encore quatre ans alors ?

“Je ne pense pas. Je pense que d'ici là, les gens se seront manifestés pour dire qu'on ne peut plus continuer. Mais tant qu'ils ne manifestent pas, ça veut dire qu'ils sont d'accord.”
 
Peut-être parce que le peuple vous a fait confiance, vous les élus qui votez les lois et les projets que vous envoie le gouvernement...

“Oui, mais c'est un peu facile.”
 
Mais vous êtes les représentants du peuple à l'assemblée. Vous n'avez pas été élus pour fermer votre bouche ...
 
“Alors, la bouche, on l'a toujours ouverte. D'ailleurs, ça a valu des frictions avec le gouvernement, pour ne pas dire entre le président et moi-même parce qu'on n'a jamais aimé être emprisonnés dans la manière de dire les choses. C'est d'ailleurs pour ça que je m'exprime comme ça aujourd'hui.”

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Mercredi 29 Mai 2024 à 16:26 | Lu 6898 fois