Gaspillage alimentaire : Un projet de loi qui coince chez les commerçants


Tahiti, le 8 avril 2021 – Présentée le 9 mars à la fédération générale du commerce, le projet de loi du Pays contre le gaspillage alimentaire visant à “favoriser l’écoulement” de certaines denrées en fin de vie a laissé un goût amer aux commerçants. La FGC regrette notamment que le texte soit “fondé sur un mode plus répressif qu’incitatif“.
 
“Les commerçants n’ont pas attendu ce texte pour prendre des initiatives contre le gaspillage” résume Christophe Dufour, président de la fédération générale du commerce (FGC). Présenté le 9 mars par la direction générale des affaires économiques (DGAE), le projet de loi du Pays relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire n’a pas été accueilli à bras ouvert dans les rangs des commerçants.

En témoigne un courrier de la fédération à l’attention de la DGAE demandant de “pouvoir donner un avis plus éclairé“ et “être force de proposition“ avant que le texte ne parte dans le circuit administratif. Il s’agit plus que jamais, selon la FGC, de ne pas “alourdir“ encore les obligations et charges des commerçants “déjà suffisamment impactés par les autres réglementations“ et notamment, dans un contexte de crise.

Paradoxalement, le texte s’inscrit dans le plan de relance économique du fenua et “sera présenté prochainement au Conseil des ministres“ a indiqué ce matin, le président Fritch dans son discours d’ouverture de la session administrative. Il vise à termes la création d'une banque alimentaire, afin de favoriser le don aux organismes qui luttent contre la pauvreté.
 
3 millions d’amende
 
Plus concrètement, le projet s’articule autour de trois axes. A commencer par l’interdiction de détruire les denrées alimentaires consommables, “un manquement puni d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 3 millions pour une personne morale”. Le deuxième cherche à “favoriser l’écoulement”, dans les commerces de détail à dominante alimentaire, de “certaines denrées alimentaires en fin de vie”, par leur “mise en avant” (espace dédié ou marquage des produits) et par une réduction de prix à la discrétion du distributeur. S’ajoutent enfin des dispositions cadres qui favorisent le don entre les organismes caritatifs et les professionnels.

Mais c’est bien sûr le caractère obligatoire du premier point qui émeut la FGC. Celle-ci regrettant que le texte soit “fondé dès le départ sur un mode plus répressif qu’incitatif“, si ce n’est une “timide“ contrepartie prévoyant une “déduction du bénéfice imposable dans la limite du 0,5% du chiffre d’affaires“. La fédération souligne ainsi que “l’interdiction de détruire des denrées alimentaires consommables est posée d’emblée assortie d’une sanction lourde sans prise en compte d’aucun contexte“.

L’organisation poursuit, jugeant utile de rappeler que “les commerçants n’ont pas pour vocation de détruire les denrées consommables, mais de les vendre, à prix réduit s’il le faut, plutôt que de les jeter lorsqu’elles atteignent un stade où elles ne peuvent plus être consommées”. Voilà pourquoi l’interdiction assortie de sa pénalité apparaît à son sens “disproportionnée par rapport à la réalité du commerce” et “de nature à alourdir les charges des entreprises déjà fortement impactées par la crise.”
 
Les commerces de plus de 300 mètres carrés
 
Promotions, têtes de gondole, zones dédiées, étiquetage particulier : la FGC relève par ailleurs qu’une “large majorité de commerçants utilisent déjà toutes les options commerciales disponibles pour écouler les marchandises en fin de vie tant qu’elles sont consommables“.

Reste un dernier point qui chagrine l’organisation : le fait que le texte ne concerne que les commerces de détail “dont la surface excède 300 mètres carrés“. Une mesure jugée “discriminatoire“ selon la fédération pour qui le gaspillage alimentaire “doit être l’affaire de tous“.

Mais l’organisation ne voit pas pour autant d’objection à ce que le texte prévoit “des obligations déjà en place dans la plupart des commerces“. Elle tient toutefois à ce que ces mesures soient “suffisamment souples“ pour “laisser toute latitude à chaque commerçant d’en assurer librement la gestion dans le cadre de son entreprise“.

En ce qui concerne les dons aux associations, la FGC signale enfin que la grande distribution et les commerces “fournissent déjà très largement les associations caritatives avec lesquelles elles entretiennent des partenariats depuis des années, sans compter les actions ponctuelles d’aide et de soutien qui ont lieu en dehors de partenariats établis”.
 

Les denrées alimentaires concernées

Celles dont la DLC (date limite de consommation) est inférieure à deux jours (si leur DLC initiale était supérieure ou égale à cinq jours), celles soumises à DLC, le dernier jour de leur DLC (si la DLC initiale était inférieure à cinq jours). Les denrées alimentaires réfrigérées dont la Dluo (date limite d'utilisation optimale) restante est inférieure à deux jours. Les œufs dont la date de durabilité minimale restante est inférieure à une semaine. Les fruits et légumes qui ne sont pas ou plus commercialisables en raison de leur aspect ou de leur maturité. Sont exclus les aliments congelés, ou secs soumis à Dluo, ainsi que l’alcool ou les compléments alimentaires. Enfin, les aliments périmés (DLC atteinte ou dépassée) ou “manifestement corrompus” également.

Le principe de “consensus” pour les dons

Associations, fondations et tout organisme de lutte contre la pauvreté peuvent solliciter les professionnels (producteurs, grossistes, distributeurs). Si ces derniers ont l’interdiction de refuser (sauf justification légitime) ils peuvent proposer spontanément leurs dons dans le cadre réglementaire du principe de “consensus”. Ce qui fera l’objet d’une convention écrite ou d’une convention cadre pour la réalisation de plusieurs dons.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Vendredi 9 Avril 2021 à 16:10 | Lu 4926 fois