Gabilou devient chevalier de sa culture


Tahiti, le 19 juin 2024 - Il a fasciné plusieurs générations, chez lui en Polynésie mais aussi à l’international. Plus important encore, sa voix a fait briller la culture polynésienne au-delà de nos frontières. Pour cela, Gabriel Lewis Laughlin, dit John Gabilou, a été fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2022 par Rima Abdul Malak, ministre nationale de la Culture. Ce mardi soir, c’est le haut-commissaire Éric Spitz qui lui a remis sa médaille, un petit pendentif de métal pourtant si prestigieux.
 
C’est dans les somptueux jardins de l’assemblée que tous se sont réunis pour une cérémonie hors du commun : deux ans après sa nomination en tant que chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres (2022) par la ministre nationale de la Culture, Rima Abdul Malak, John Gabilou a finalement reçu sa lettre. “À travers cette décoration, vouée à récompenser les personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans les domaines de la culture, ou par leur soutien à la diffusion des savoirs et des œuvres qui font la richesse de notre patrimoine culturel, notre pays a choisi de rendre hommage à votre contribution à la diffusion des Arts et des Lettres en France et dans le monde”, peut-on y lire. Ce mardi, le haut-commissaire a donc remis sa médaille à Gabilou, légende de la musique tahitienne. Après 61 ans d’une brillante carrière, c’est officiel, l’artiste entre dans le cercle très privé des décorés, ceux qui par l’art et la manière, ont répandu un peu de leur culture aux quatre coins du monde.
 

Sacrée distinction…
 
Cette médaille, ce n’est pas du toc, ou une petite récompense donnée à la volée ; non, seule une poignée de talentueux veinards peuvent y prétendre chaque année. 960 de ces croix sont décernées tous les ans, afin de sacrer chevaliers des artistes ayant œuvré pour la culture grâce à leur art. Dans les faits, cette distinction de l’ordre des Arts et des Lettres est plus rare, plus inatteignable que ses équivalents dans d’autres domaines. Par exemple, près de 2 200 Légions d’honneur sont décernées chaque année. Pour la médaille du Mérite agricole, c’est près de 4 000, et 12 000 pour celle des Palmes académiques. Alors ce mardi, pour décorer Gabilou, tout le monde était là : sa famille, qui le remercie et chante ses louanges à tour de rôle au micro, “c’est un papa, un mari, un homme extraordinaire que nous avons la chance d’avoir près de nous”. Mais aussi le haut-commissaire Éric Spitz, présent pour le décorer : “De vos débuts modestes dans les clubs de Tahiti à vos succès internationaux sur les plus grandes scènes du monde, vous avez su conquérir le cœur des foules par votre voix envoûtante et votre charisme incomparable.” Mais aussi bon nombre d’amis de longue date, qui ont vu la légende “Gabilou” se forger pendant 60 longues années. Et bien évidemment, ils n’ont pas manqué de rappeler quelques morceaux de cette histoire, belle mais agitée.
 
Tout commence en 1963. Jusqu’alors, Gabilou, né le 28 février 1944 à Papeete dans une grande fratrie de dix enfants, est un adolescent comme tant d'autres sur l'île de Tahiti. Le jeune homme cherche à faire sa galette, et en 63, au détour d'une soirée pourtant ordinaire, un ami le met au défi d'interpréter une chanson. Ils sont alors à l’hôtel Matavai, et “John Gabilou” se met à chanter. Quelques valses, un rock religieux et un tas d'oreilles émerveillées ce soir-là (du moins, on le présume, nous n'avions pas la chance d'y assister). Cette soirée-là, il décroche un premier contrat grâce à sa voix : 60 francs de l'heure. La somme est modique, mais désormais il le sait : en persévérant, il peut faire carrière.
 
Il continuera à chanter, partout où il passe. Avec les frères Vernaudon d’abord, puis avec les deux frères Hars pendant deux ans. Il a alors 23 ans à l’époque, et “Petiot”, un guitariste qui croise sa route, l’encourage à rejoindre le groupe Barefoot Boys. Il pousse la chansonnette et persévère et après sa séparation des Barefoot Boys en 68, il fonde son groupe, les Banjo Boys, avec ses compères Kitty Salmon, Jacky Bougues, Marius Charles et Michel Garcia. La même année, Gabilou fait son premier carton. Il sort Petite île sacrée, et le titre se vend à 54 000 exemplaires. Après avoir commencé les voyages internationaux pour répandre son art, notamment en Nouvelle-Calédonie, il se retrouve en 1971 à chanter dans l’hôtel Tahara’a, où il recroisera la route de Paulette Viennot, contact important dans le monde du showbiz. “J’étais allé la voir dans son bureau quelque temps avant, et elle m’avait dit ‘non, trop blanc’”, se rappelle le chanteur en rigolant. “Puis à cette soirée, elle est venue me voir après ma performance pour me dire qu’elle pouvait faire quelque chose pour moi.”

… Sacrée carrière
 
La suite, vous la connaissez sans doute. Il part aux États-Unis rencontrer des managers grâce à cette Paulette, côtoie Eddie Barclay pour un titre (Moi les filles je les aime, titre qui ne rencontrera pas le succès escompté), puis vient 1981. Cette fameuse année où il est sélectionné pour représenter la France à l’Eurovision. Pour chanter toute une patrie, et surtout son chez-lui, Gabilou entonne Humanahum, une chanson écrite par Joe Gracy et composée par Jean-Paul Cara. Le succès est dantesque, il ira jusqu’en finale et décrochera la troisième place, exposant au passage son brin de voix à quelque 400 millions de téléspectateurs. Sa musique séduit, et il en fera profiter tant de personnes autour du monde, au gré de ses tournées, ses succès…
 
Mardi soir, ce n’était donc pas un homme qu’on a décoré. C’est toute une carrière, remplie de succès comme de sacrifices. Alors tout le monde était présent, amis et famille, officiels et intimes, et bien sûr l’artiste : Gabriel Lewis Laughlin, dit John Gabilou. Vêtu d’un costume noir sur une chemise saumon, affublé de son sourire si reconnaissable, l’homme est très ému. Dans son discours, la voix chancelante, il remercie, se remémore, rigole, frôle les larmes et rigole encore. Ah, il est heureux ce soir Gabilou, c’est sûr. Mais cette cérémonie n’est pas un adieu aux projecteurs, c’est juste une étape de plus dans sa longue aventure artistique. Comme dit cette expression populaire anglaise, “The show must go on”. Alors Gabilou promet de continuer. Continuer à chanter, à promouvoir sa culture si chère et à envoûter les tympans de plusieurs générations encore, tant qu’il le pourra. Il l’annonce d’ailleurs à la fin de son discours, “je viens de finir une chanson à Bora Bora. – Island Home – elle est magnifique, vous allez bientôt l’entendre.” Alors, musique maestro !

Rédigé par Tom Larcher le Mercredi 19 Juin 2024 à 18:06 | Lu 1719 fois