Front presque commun à l'assemblée sur le nucléaire


Captures d'écran lors du débat jeudi dernier à l'assemblée de Polynésie.
PAPEETE, le 28 février 2016. Durant près d'une heure, jeudi dernier, les élus territoriaux ont débattu, à bâtons rompus, sur le sujet des essais nucléaires et de la juste réparation à demander à l'État pour les conséquences de cette expérimentation sur 30 ans. Même si le sujet reste visiblement très délicat à aborder suivant la sensibilité politique de chacun des groupes, un certain consensus se fait jour.

Ce n'était pas le sujet du jour. Mais, forcément la discussion ouverte jeudi dernier à l'assemblée sur une loi de Pays modifiant certains points du code de l'environnement, a glissé rapidement sur le sujet des essais nucléaires. La visite quelques jours plus tôt du président de la République, les annonces de François Hollande lors de son discours officiel à Papeete, le lundi 22 février, aussi ont alimenté certainement le besoin du débat. A noter : aucun rappel à l'ordre du règlement intérieur n'a été fait par le président de l'assemblée Marcel Tuihani pour ramener les élus sur le sujet du jour. Et pendant près d'une heure, les groupes politiques ont pu discuter librement, avec le ministre de l'environnement, de ce sujet qui pèse lourdement sur le débat politique local depuis 50 ans. Mais, là où pesait il y a encore deux ans une sorte d'omerta sur le sujet parmi les autonomistes, la parole s'est libérée.

C'est Oscar Temaru, qui a pris, le premier, la parole. "Nous devrions rédiger ensemble un réquisitoire à l'encontre de l'État et mettre l'État devant les tribunaux pour cette affaire. Et, s'il n'en était rien je dirai, M. le ministre, je me dirai que vous êtes, vous aussi, complices et que nous-mêmes au sein de cette assemblée on est complices également. Il faut pardonner, toujours pardonner, mais on ne peut pas oublier". Pris à partie directement, le ministre de l'environnement Heremoana Maamaatuaiahutapu, tout seul à la tribune gouvernementale, a rappelé son combat passé contre le nucléaire. "i[Nous sommes deux, au sein du gouvernement qui avons mené des actions à l'encontre des essais nucléaires. Patrick [Howell, ministre de la santé NDLR] et moi, avons longtemps mené ce combat. Nous avons entendu les déclarations de François Hollande : à mon avis les choses avancent tout doucement et un jour nos demandes obtiendront une issue positive et à la hauteur de nos attentes]i".


Dans les rangs de la majorité RMA (rassemblement pour une majorité autonomiste), Lana Tetuanui avertissait ses collègues : "On pourra certainement s'entendre sur ce sujet si on ne le politise pas, car nous savons très bien que dans la vie politique de notre pays, c'est un sujet qui a souvent été politisé et qui a été utilisé comme un instrument politique par les uns et les autres. Aussi, je souhaite que ce soit un véritable sujet". La présidente du groupe Tahoera'a, Teura Iriti se déclarait "heureuse de nous voir réunis sur ce sujet". Elle rappelait néanmoins qu'en novembre 2014, les élus de Tarahoi avaient adopté (à la majorité des voix avec une alliance de circonstance entre pro-Flosse et UPLD) une résolution pour demander à l'État une indemnisation des conséquences du nucléaire. Cette résolution adoptée à l'époque par 36 voix réclamait à l'État une forte somme d'argent pour l'indemnisation du préjudice environnemental subi et exigeait une rente annuelle du fait de l'absence de restitution des atolls de Moruroa et Fangataufa dans le territoire polynésien.

MISE AU POINT

La simple évocation de cette résolution, qui a marqué très peu de temps après l'arrivée aux affaires d'Edouard Fritch et la rupture politique définitive entre pro-Fritch et pro-Flosse dans les rangs autonomistes, a fait sortir Lana Tetuanui de ses gonds. La représentante des Îles du Vent avec son franc-parler notoire a dit les choses clairement : "Je ne suis pas du genre à dire les choses derrière le dos. Moi j'aimerai vous demander qui, pendant 30 ans, a affirmé haut et fort que les essais nucléaires étaient propres ? Pourquoi avons-nous attendu l'année 2014 pour le faire ? Je n'ai rien à reprocher au Tavini, car ça a toujours été leur combat. En 2014, quand une certaine personne a perdu son mandat politique et bien c'est à ce moment-là qu'il s'est intéressé à ce sujet. J'ai bien dit qu'il ne fallait pas faire de ce sujet un instrument pour mettre en difficulté les uns et les autres… En 2014, vous avez fait de ce sujet un instrument politique alors que le président Fritch était à Paris en pleine négociation pour autre chose… Donc si nous voulons faire les choses bien, on pourra s'accorder et s'entendre sur le sujet. Le moment viendra" a déclaré la représentante RMA en tentant de faire revenir la discussion des élus sur le sujet du jour, concernant des modifications à apporter dans le code de l'environnement.

Mais, décidément, le président de l'assemblée Marcel Tuihani, du haut de son perchoir, n'a pas souhaité recadrer immédiatement le débat pour revenir sur le dossier à l'étude. Le mot de la fin sur ce sujet qui empoisonne les débats politiques en Polynésie, est donc revenu à Teura Iriti du Tahoera'a. "Pendant 30 ans, qui a soutenu les essais propres de la France ? C'était nous tous ici, tous ensemble. Moi, lorsque je me rends compte que je me suis trompée, je le dis. Qui ne fait pas d'erreur ? Moi je fais partie de ces personnes qui ont soutenu les essais propres, je l'admets. Mais aujourd'hui il faut se lever. C'est ce qui s'est passé en 2014 et c'est la raison pour laquelle j'avais voté en faveur de cette résolution".

A l'égard d'Oscar Temaru, Lana Tetuanui s'est montré nettement plus conciliante : "je crois que vous êtes invité à Paris en juin ou en juillet. Si c'est quelque chose que vous voulez emmener à Paris, la sénatrice que je suis vous suivra sur ce sujet".



Rédigé par Mireille Loubet le Dimanche 28 Février 2016 à 22:02 | Lu 2795 fois