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Fonctionnaires d'État : Nicole Sanquer s’attaque aux angles morts de l’égalité républicaine


La proposition de loi portée par Nicole Sanquer s’attaque frontalement à une République à deux vitesses et revendique une équité de traitement de tous les fonctionnaires. Crédit photo : Assemblée Nationale / Archives TI.
La proposition de loi portée par Nicole Sanquer s’attaque frontalement à une République à deux vitesses et revendique une équité de traitement de tous les fonctionnaires. Crédit photo : Assemblée Nationale / Archives TI.
Tahiti, le 22 avril 2025 - Allonger les délais d’accès à la cotisation volontaire de retraite (CVR), ouvrir les congés bonifiés aux agents hospitaliers et territoriaux ultramarins, étendre la prime d’installation aux fonctionnaires des collectivités du Pacifique affectés dans l’Hexagone. Derrière les lignes feutrées d’une proposition de loi déposée le 1er avril dernier à l'Assemblée nationale, la députée polynésienne Nicole Sanquer entend corriger plusieurs angles morts et inégalités de traitement entre les fonctionnaires d'État.
 
Loin de l’Assemblée nationale et de Paris ; mais au cœur de la République. C’est ainsi que pourrait se résumer la démarche entreprise par Nicole Sanquer, députée de la Polynésie française, qui a déposé début avril, une proposition de loi visant à corriger plusieurs inégalités persistantes dans la fonction publique d’état, pour les agents originaires des territoires ultramarins les plus éloignés.
 
La députée polynésienne, qui siège à Paris avec le groupe ‘Liot’ dans les rangs de l'opposition n'en est pas à son coup d'essai. Déjà lors de sa dernière mandature (2017-2022) au Palais Bourbon lors, elle avait interpellé à plusieurs reprises le gouvernement central sur l'inégalité de traitement que subissent les fonctionnaires polynésiens. C'est ainsi que sous son impulsion, un décret a par exemple été pris en 2022 pour permettre aux militaires originaires de Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon affectés en métropole de pouvoir enfin bénéficier d'une prime d'installation. Depuis 1952, ils étaient les seuls ultramarins à ne pas profiter de cette aide pourtant octroyée aux militaires venant de Guadeloupe, Guyane française, Martinique ou La Réunion. “Ça m'a pris trois ans déjà pour réparer cette injustice, donc l'idée ici est d'accélérer les choses”, a confié Nicole Sanquer qui a donc déposé un texte s'inscrivant dans la même veine, mais en ratissant plus large.
 
Un texte réparateur
 
“J'ai fait le tour à Paris. J'ai vu Emmanuel Valls, le ministre de la Fonction publique et d'autres. Ils sont tous bien conscients de cette inégalité de traitement”, insiste Nicole Sanquer, ce qu'elle laisse bien entendre dans son projet de loi en expliquant, dans l’exposé des motifs, que “cette proposition de loi vise à corriger ces déséquilibres (...) afin de garantir l'égalité de traitement de tous les fonctionnaires ultramarins”.
 
Et pour cause, le texte vise trois mesures phares : l’extension des congés bonifiés ; la prolongation du droit d’option à la cotisation volontaire de retraite (CVR), qui a remplacé l'ITR [l'indemnité temporaire de retraite, NDLR] ; et l’élargissement de la prime d’installation aux agents venus du Pacifique. En somme, des correctifs à des angles morts réglementaires que l’administration a longtemps laissés sous le tapis.
 
Rallonger les délais pour la CVR
 
Première avancée : l’article 1er entend rouvrir jusqu’au 31 décembre 2025 le droit de cotiser volontairement au régime de retraite additionnelle (RAFP) sur les primes perçues outre-mer – une opportunité que nombre de fonctionnaires en poste ou en congé n’avaient pu saisir dans les délais impartis.
 
Rappelons que la suppression de l’Indemnité temporaire de retraite (ITR), entérinée dès 2008 mais maintenue pour certains corps et territoires jusqu’à récemment, a laissé place fin 2023 à un nouveau mécanisme : la Cotisation volontaire de retraite (CVR). Une transition que l’État a opérée sans réel dialogue, provoquant une vive réaction des syndicats ultramarins. Tandis que l’intersyndicale – réunissant représentants de la police, des douanes, de l’aviation civile, des services administratifs et d’une partie de l’Éducation nationale – dénonçait un dispositif “injuste” imposé “à coup de 49.3”, l’Unsa, syndicat majoritaire dans le secteur de l’éducation en Polynésie française, adoptait une posture plus conciliante. “Il n’y avait plus de dialogue social sur l’ITR. L’objectif était de trouver une solution alternative, et c’est la première fois depuis quinze ans que nous en avons une”, expliquait alors Diana Yieng Kow, de l’Unsa, au micro de Tahiti Infos en décembre 2023.
 
Mais la mise en œuvre s’est révélée expéditive. Les agents n’avaient que six mois pour faire valoir leur choix – un délai jugé trop court, notamment pour ceux temporairement indisponibles ou affectés hors poste. La proposition de loi entend corriger ce raté en prolongeant le droit d’option jusqu’à la fin de l’année 2025. Elle inclut également les fonctionnaires en disponibilité, en détachement ou en congé parental, qui pourraient désormais valider leur participation dès leur retour en activité.
 
Congés bonifiés et prime d’installation : l’égalité à géométrie variable
 
Deuxième volet, et non des moindres : l’universalisation du droit aux congés bonifiés pour tous les agents publics ultramarins. Actuellement, seuls les fonctionnaires de l’État peuvent, s'ils justifient d'avoir leurs "centre d'intérêts matériels et moraux" en outre-mer, bénéficier d’un congé financé (par exemple : prise en charge des billets d'avions) pour retourner dans leur territoire d’origine, assorti d’une majoration de traitement. Mais ce dispositif exclut encore les agents hospitaliers et territoriaux originaires des collectivités du Pacifique – Polynésie, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie –, alors même qu’ils doivent faire face à des coûts de déplacement particulièrement élevés. Nicole Sanquer propose donc la fin de cette exclusion injuste.
 
La députée s’attaque également à une autre anomalie du droit public : la prime d’installation versée aux fonctionnaires ultramarins affectés pour la première fois en métropole... à l’exception de ceux venus des collectivités du Pacifique. Ces derniers, pourtant originaires des territoires les plus éloignés de l’Hexagone, sont exclus d’un dispositif censé amortir les frais de voyage et de relogement dans le cadre d’une mutation, d’une promotion ou d’un premier recrutement. Une discrimination manifeste, selon la députée polynésienne, qui plaide pour une égalité de traitement avec les agents originaires des DROM et de l'Hexagone.
 
Deux poids, deux mesures... et une égalité passée à tabac
 
C’est tout l’objet de cette proposition de loi : mettre fin à un régime d’exceptions dans l’exception, qui fracture les territoires dits “d’outre-mer” et la “métropole”, dont les institutions continuent de reproduire, parfois à leur insu, des logiques hiérarchiques et coloniales. La République, une et indivisible, semble encore ignorer les coûts bien réels de l’éloignement géographique, de l’insularité et des mobilités contraintes.
 
En définitive, la proposition de loi portée par Nicole Sanquer s’attaque frontalement à une République à deux vitesses. Elle revendique un traitement égal pour l’ensemble des fonctionnaires ultramarins, sans que ceux-ci aient à quémander des dérogations spécifiques. Une exigence d’équité qui pourrait trouver un écho parmi les députés d’outre-mer. Certes, les mesures proposées ont un coût, mais leur financement est déjà balisé : une taxe additionnelle sur les produits du tabac viendrait compenser les dépenses engendrées. Une solution qui, si elle a le mérite d’exister, ne devrait pas pour autant échapper à la critique.
 

Rédigé par Stéphanie Delorme et Thibault Segalard le Mardi 22 Avril 2025 à 15:05 | Lu 3670 fois