Fermeture du Royal Kikiriri : certains artistes témoignent


PAPEETE, le 10 janvier 2019 - Cette boîte de nuit était comme une deuxième maison pour Kalou, Gilbert Martin, ou encore Matahi et Tommy des 2B Brothers. Aujourd'hui, ces stars locales se disent peinées de la fermeture de l'établissement. Ils gardent néanmoins en mémoire les bons moments vécus avec l'équipe et le public.

Ils ont vécu une partie de leur vie au Royal Kikiriri. Quatre chanteurs et musiciens locaux reconnus au fenua ont accepté d'ouvrir leurs cœurs, après l'annonce de la fermeture du Kiks, à la fin du mois.

C'est dans la boîte de nuit que Kalou, Gilbert Martin, Matahi et Tommy nous ont donné rendez-vous ce jeudi. Un moment privilégié puisque c'était également l'occasion de retrouver leur ancienne patronne, Marie, et d'autres employés.

Si tout le monde était content de se retrouver, la fermeture restait au centre des préoccupations. "C'était le rendez-vous des musiciens", indique Kalou. "Il est devenu, par la suite, un mythe".

Chaque artiste, à sa manière, a apporté son style et sa marque de fabrique. Kalou avec sa guitare à nylon, Gilbert avec son piano ou encore Matahi et ses rythmes personnalisés. Des chanteurs et musiciens qui ont rythmé les soirées de beaucoup de Polynésiens. "C'était notre deuxième maison", assure Tommy, chanteur des 2B Brothers.

"Il y avait tout le temps de l'ambiance", poursuit Matahi des 2B Brothers.

Mais voilà, toute bonne chose a une fin, et le Royal Kikiriri n'échappe pas à la règle. L'annonce de sa fermeture a tout de même été reçue comme une onde de choc auprès des artistes et des noctambules.

Mais tous préfèrent garder les bons moments vécus au Royal Kikiriri. "C'était un plaisir pour nous de donner du bonheur aux gens. On n'oubliera jamais cette époque", conclut Matahi Barff.


La parole aux artistes

Kalou
Chanteur et musicien

"Je ne retiendrai que les bons moments"


"Je jouais auparavant au 7e ciel, au Kon Tiki. Ensuite, Gilbert Martin m'a appelé pour me proposer de venir travailler au Kikiriri. J'ai hésité au début, parce que la réputation de cette boîte n'était pas belle. Il y avait tout le temps des bagarres. Mais, je suis quand même venu avec un autre chanteur qui s'appelait Daniel. Nous avons donc lancé un nouveau style de musique avec beaucoup de variétés. C'était une grande occasion aussi pour moi de jouer avec Gilbert Martin. Au départ, on me prenait pour un pōpa'a et lorsqu'on a commencé avec Gilbert, on s'habillait en boléro et on a commencé avec nos styles très jazzy et des gens criaient : 'Ne passez pas votre temps à jouer de vos instruments, chantez !' Après, on s'est mis à apprendre la valse, le hula… C'est là que tout a démarré. J'ai travaillé avec Gilbert pendant cinq ans. En 1999, je suis parti en Nouvelle Calédonie, en Nouvelle-Zélande, en France… j'ai fait une tournée avec le Trio Kikiriri en France, pendant un mois. J'avais choisi ce nom parce que c'était important pour moi, cela me permettait de faire la propagande de cet endroit. Et quand les gens venaient sur Tahiti, ils se rendaient d'abord au Kikiriri. C'est vrai que j'ai un pincement au cœur d'apprendre la mauvaise nouvelle, mais je ne retiendrai que les bons moments que nous avons passé ici."



Gilbert Martin
Chanteur et musicien

"Pour moi, le chant a commencé ici"


"J'ai travaillé au Kikiriri de 1994 à 1998, ensuite, je suis allé jouer ailleurs. Ça fait quand même quelque chose d'apprendre que ça va fermer, parce qu'on a passé une partie de notre vie ici, avec les copains. C'est malheureux de voir des endroits comme ceux-ci fermer. Mais, la musique continue malgré tout. Et puis, pour moi, le chant a commencé ici.
Les gens me connaissent en tant que chanteur, alors que c'est venu bien après. J'ai commencé en 1975, au Matavai, en tant que musicien et pianiste d'orchestre. Le chant a vraiment pris de l'importance ici, avec Kalou. Je chantais un peu avant quand même, et timidement, on va dire. Et puis, par la suite, on se prend au jeu et on se dit qu'on peut se faire une place aussi dans la chanson. Et quand on est avec des personnes comme Kalou, c'est stimulant. Donc, on a commencé à se faire un répertoire. Aujourd'hui, le chant et le piano ne font qu'un. Avant le Kikiriri faisait un peu saloon avec des portes en bâtons westerns. C'était une réputation particulière et on se demandait bien ce qu'on pouvait apporter. Finalement, on a vraiment amené un style, une authenticité, de par notre manière de jouer. D'ailleurs, la clientèle à l'époque était classe, il y avait des jeunes, mais c'était différent par rapport à aujourd'hui. J'ai fait un an seulement en bas, dans la boîte de nuit. Ça n'a pas été de tout repos et j'avais dit à Marie que je voulais arrêter. C'est là que le restaurant du haut a été ouvert.
Aujourd'hui, c'est malheureux, c'est une page qui se tourne et puis, on va dire que musicalement, ça a changé aussi. Il y a les phénomènes trio, animation et il y a ceux qui veulent écouter les artistes qui sont là pour chanter réellement. Ce n'est pas évident de se faire une place. Mais, il y a une clientèle pour tout le monde. Je me suis fait un style de chanson, très love song… et on continue comme ça et on ne va pas changer."



Matahi Barff
2B Brothers

"On a donné du bonheur aux Polynésiens"


"J'ai commencé ici en 1999, au restaurant. Je suis descendu dans la boîte de nuit, en 2000 jusqu'en 2007. À l'époque, je jouais au Bel air avec Pigeon. Là-bas, on terminait à 7 heures du matin. Donc, quand le Kikiriri fermait ses portes, tout le monde se rendait ensuite au Bel air. C'est là que Kalou m'a vu et il m'a proposé de venir jouer avec lui au Kikiriri. C'était un honneur pour moi, parce que le Kikiriri avait une belle réputation à l'époque, c'était la boîte locale. J'ai donc commencé à jouer au restaurant avec Kalou, puis je suis descendu en boîte de nuit. Il y avait tout le temps de l'ambiance. Au début, je ne chantais pas vraiment, j'étais assez timide. Mais mamie Jeanine m'a poussé à chanter, et voilà le résultat. Nous avons amené d'autres styles, comme le zouk, le reggae, ragga, en version locale. Mais, j'avais aussi ma marque de fabrique, je créais mes propres rythmes. On a donné du bonheur aux Polynésiens ici, et ça fait un pincement au cœur d'entendre que ça va fermer. Nous avons quand même vécu de bons moments. Le public était vraiment chaleureux. Il surnommait le Kikiriri, "la chapelle". En 2007, j'ai choisi de partir. Mais, je ne garde que les bons souvenirs. Et puis, aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé. Avant, les gens avait du travail et ils venaient faire la fête. C'était toujours full, même la semaine. Là, il n'y a plus autant de monde qu'avant. Maintenant, je chante avec mon frère et Tommy et je pousse les jeunes à faire de la musique."


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Tommy
2B Brothers

"On a vécu pas mal de choses ici"


"Un soir, je suis venu au Kikiriri avec des amis. Je connaissais déjà Matahi et ça m'avait fait quelque chose de le voir chanter en live. Ensuite, il m'a appelé pour un chant. Puis, il m'a dit qu'il allait me rappeler le lendemain. Bon, je n'y ai pas prêté attention. Mais le lendemain, il m'a appelé pour me demander de venir chanter avec lui au Kikiriri. Il a sorti la même phrase qu'avec Kalou : 'Bien sûr, c'est un honneur pour moi, frère'. J'ai donc chanté avec lui et Nico pendant un week-end, et le mardi d'après, il m'a appelé pour que je rencontre Marie. La patronne m'a dit ensuite : 'Tommy, je ne te connais pas, tu es tout nouveau dans la musique. Mais j'aime bien ta voix.' Et on a signé mon contrat. De 2002 jusqu'à maintenant, on chante toujours ensemble. Quand j'ai intégré le groupe de Matahi, je chantais de mercredi à dimanche, pendant un an. C'était toujours full. On était fort en zouk love et Matahi avait mis sa marque aussi. Quand on a appris la fermeture, ça nous a fait un choc bien sûr, parce qu'on a vécu pas mal de choses ici. On peut dire que c'était notre deuxième maison, parce qu'on y passait beaucoup de temps. Cette boîte de nuit était connue jusqu'à Nouméa. L'idée et l'envie de reprendre l'affaire sont là, mais ce sont juste les moyens qui manquent. Et puis, il ne faut pas se leurrer, le coût de la vie a augmenté. Tout est cher en fait. Quand les gens arrivent, ils disent toujours que la boisson est trop chère. Après, il y a aussi le style de musique qui a changé. Mamie Jeanine disait toujours à l'époque, c'est bien d'attirer du monde, mais quand personne ne consomme, on ne va pas s'en sortir. Nous avions la chance d'avoir mamie Jeanine pour nous coacher. Quand ça n'allait pas, elle était là pour nous rebooster. Des fois, ça nous énervait, mais c'était constructif aussi pour nous. Lorsque Matahi a quitté la boîte, Marie m'a demandé de prendre en charge le groupe qui prendrait la suite. Mais le feeling n'était pas le même. Je n'ai pas tenu une semaine et je suis parti. Kalou a pris la relève. Je demanderai aux personnes qui ont connu cet endroit, de ne garder que les bons souvenirs en tête, et de garder nos voix dans leurs têtes (rires). Après, pour la génération de 2017, comme Matahi le dit, la musique appartient à tout le monde. Le plus dur est d'y rester."


La boite de nuit fermera ses portes à la fin du mois.

Rédigé par Corinne Tehetia le Jeudi 10 Janvier 2019 à 16:25 | Lu 7482 fois