Fermeture du Fare Tama Hau : "Tout ce que savent faire ces gens, c’est détruire"


Le docteur Daniel Dumont est le directeur du Fare Tama Hau, ce centre qui accueille les enfants, les adolescents et leurs parents pour des actions de prévention de la violence familiale. Consterné par la fermeture de cette structure, il s’interroge sur la politique sanitaire et sociale que compte mener le gouvernement. « On ferme, mais qu’est-ce qu’on va faire après ?» s’interroge ce médecin.

Son service le constate pourtant tous les jours : l’augmentation de la violence familiale va de pair avec l’accroissement de la misère sociale. Alors que les violences sexuelles familiales sont au cœur des Assises, qui ont débuté mardi dernier et se poursuivent jusqu’à vendredi prochain, le Dr Dumont a accepté de répondre à nos questions, et nous affirme son « inquiétude » quant à l’avenir des familles polynésiennes, en l’absence d’une vraie politique de prévention. Interview.


Tahiti-Infos : Les Assises ont démarré mardi dernier, et se poursuivent jusqu’à vendredi. Comme souvent, il s’agit essentiellement de procès pour maltraitance sexuelle sur enfant au sein d’une famille. Assiste-t-on à une recrudescence de ces cas, ou n’est-ce qu’une impression provoquée par ces procès rapprochés ?

Dr Dumont : Les deux ! A chaque fois que les Assises se tiennent, l’horreur de ces situations choque puisqu’un coup de projecteur est mis dessus. Mais il faut dire aussi que dans une situation de difficultés économiques, comme celle qu’on traverse, la violence intrafamiliale augmente. C’est presque automatique car les gens sont au chômage, ont des difficultés financières, s’adonnent à la boisson pour oublier, et cela génère toutes les formes de maltraitance.

Tahiti-Infos : Lors de son procès, un père a demandé des soins, expliquant qu’il était malade. Peut-on expliquer les actes de ces personnes par une pathologie mentale ?

Dans les facteurs de risque qui peuvent amener à ce type de problématique, la première cause, ce sont les difficultés intra-familiales : un divorce, une séparation… Les difficultés financières viennent bien après. Parmi les autres facteurs qui peuvent intervenir, il y a bien sûr les pathologies mentales chez l’un des deux parents, qui aurait par exemple été violenté dans son jeune âge. Mais le premier facteur de risque, ce sont les rapports problématiques au sein de la famille. Lorsqu’un conflit est larvé dans le couple, l’enfant peut devenir la victime.

Tahiti-Infos : Comment fait une victime de violences sexuelles pour se reconstruire ?

C’est très long. Il ne faut pas oublier que la victime a subi des violences de la part d’un adulte en qui elle avait confiance ! Tout le travail est donc de rétablir la confiance que l’enfant peut avoir en l’adulte, et c’est d’autant plus difficile que souvent, l’enfant se replie sur lui-même. Il devient difficile d’approche. Il faut le rassurer, lui montrer que tous les adultes ne sont pas comme ça… C’est très long et si ce travail de reconstruction pas fait, le risque est qu’il reproduise le schéma une fois qu’il aura des enfants.

Tahiti-Infos :La violence sexuelle est-elle dans la continuité de la violence ordinaire ?

C’est tout à fait variable. Ce peut être l’un ou l’autre. Cela dépend de ce que le parent a lui-même subi, du contexte… cela dépend aussi de l’âge de l’enfant. En général, les enfants plus jeunes, de moins de 10 ans, et le plus souvent les garçons, sont victimes de maltraitance physique. De leur côté, les filles, de plus de 10 ans, subissent le plus souvent de la violence sexuelle. Les statistiques l’ont montré.


Tahiti-Infos : Certains enfants subissent ces violences pendant plus de 10 ans sans rien dire. Pour quelle raison ?

La peur, l’inquiétude, la culpabilité. La victime croit être à l’origine des maltraitances. C’est notre travail de leur expliquer qu’ils ne sont que victimes et qu’ils ne sont en rien responsables.

Tahiti-Infos : Peut-on prévenir ce type de violences ?

Le Fare Tama Hau s’inscrivait justement en amont, pour ne pas arriver à la maltraitance. Certains parents sentaient eux-mêmes le risque de violence, et venaient demander de l’aide d’eux-mêmes. On leur apprenait leur rôle de parents. On créait des lieux de communication, autour de jeux. Le but : leur donner du temps à eux, en dehors des tâches ménagères. On leur apprenait l’importance de parler avec l’enfant, de jouer avec lui, et on leur expliquait comment le faire chez eux avec peu de moyens financiers.

Tahiti-Infos : Vous êtes situé en zone urbaine. Qui s’occupe des familles isolées?

Un des facteurs qui génère la maltraitance, c’est la promiscuité, et on la rencontre surtout en zone urbaine. Il faut bien sûr faire quelque chose pour les familles des îles et des districts, mais c’est dans les villes où l’on rencontre ces cas le plus souvent.

Tahiti-Infos : La prévention peut-elle réellement empêcher ces drames d’inceste et de pédophilie ?

Cela implique une multitude de partenaires. Y compris les opérateurs de logement sociaux. On doit travailler à créer des logements où il y a une vie de quartier, pour ne pas laisser ces gens enfermés chez eux.

Tahiti-Infos : Y a-t-il une spécificité polynésienne en terme de violence sexuelle ?

Non. Nos derniers chiffres datent de 2005 et mériteraient d’être actualisés, mais il n’y a pas de nette différence avec la métropole.

Tahiti-Infos : Après l’EPAP l’année dernière, c’est donc au tour du Fare Tama Hau de fermer ses portes au 31 décembre 2011. C’est la fin de la prévention en Polynésie ?

C’est la fin d’une grande partie de la prévention des maltraitances, parce que l’EPAP finançait beaucoup d’actions menées par les associations, et qui ne sont plus financées aujourd’hui, il ne faut pas nous raconter de salades. Les politiques ferment des organismes de prévention qui ne seront pas remplacés.

Tahiti-Infos :Le Fare Tama Hau est fermé pour cause d’économies. Que pensez-vous de cet argument financier ?

Il suffit de lire leur plan. L’économie sera de 2,5 millions cette année, et de 50 millions les années suivantes. Ce sont des économies minuscules ! Pour faire cette économie, il suffirait de geler 4 ou 5 postes pendant quelques temps. Les gens qui travaillent ici sont des fonctionnaires, il faudra les payer de toute façon, et peut-être même que cela coûtera plus cher sans notre structure. Fermer le FTH n’a aucun sens, mais ça ne leur plaît pas parce que ça date d’avant 2004. C’est un symbole qu’ils veulent fermer. Tout ce que savent faire ces gens c’est détruire, mais ils n’ont jamais rien construit, jamais rien mis en place.

Tahiti-Infos : Pour TNTV la mobilisation a marché. Et vous, comment allez-vous essayer de mobiliser ?

Nous n’arrêtons pas nos actions. On continue jusqu’au 31 décembre, et on va parler aux gens de la fermeture. On espère que la population va lancer elle-même la mobilisation, et on compte sur les conseillers de l’opposition. On ferme, mais qu’est-ce qu’on va faire après ? On attend toujours de connaître les axes prioritaires de ce gouvernement en matière de santé et de social. Tout ceci est très inquiétant.

Rédigé par F K le Lundi 5 Septembre 2011 à 16:38 | Lu 5466 fois