Face à Pékin, les pêcheurs philippins espèrent en un arbitrage international


Infanta, Philippines | AFP | mercredi 22/06/2016 - Jonathan Almandrez a été chassé par un patrouilleur chinois des eaux poissonneuses d'un lagon de mer de Chine méridionale, humiliation que le pêcheur philippin espère ne plus devoir subir si Manille remporte un arbitrage international contre Pékin.

Cet incident est survenu sur le récif de Scarborough, collier de rochers à fleur d'eau qui abrite, selon les pêcheurs philippins, une vie marine parmi les plus riches du monde.

La Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye doit se prononcer prochainement sur la querelle territoriale qui y oppose de longue date Manille et Pékin.

"J'étais en colère, ils ont eu le culot de nous repousser alors qu'on était clairement en territoire philippin", raconte Jonathan Almandrez, un pseudonyme, le pêcheur de 30 ans ne voulant pas être identifié.

Almandrez, qui a fourni à l'AFP les images de la rencontre prises par téléphone mobile, explique avoir été encerclé pendant deux heures le 7 juin par des gardes-côtes chinois à bord de deux patrouilleurs.

Sur leur embarcation traditionnelle en bois équipée de balanciers, les 10 Philippins avaient pêché de nuit avant d'être trahis par la lumière du jour.

"Allez ailleurs, pas de pêche ici", ont crié en anglais les gardes-côtes chinois, selon Almandrez.

"Retournez en Chine car ici, c'est la propriété des Philippines", a-t-il répondu.

- Canon à eau -
Mais les Philippins ont fini par partir, à l'approche d'un bâtiment chinois beaucoup plus imposant, de peur de se faire tirer dessus au canon à eau.

Scarborough se trouve à 230 kilomètres de Luzon, l'île principale des Philippines, et des générations de pêcheurs philippins y ont jeté leurs filets.

Le récif est situé à 650 km de l'île de Hainan, la masse terrestre chinoise la plus proche, mais aussi dans la ligne des "neuf pointillés" qui matérialise les revendications territoriales de Pékin.

On peut aisément y harponner 200 kilogrammes de poissons en une heure, selon les habitants d'Infanta, localité de pêcheurs de Luzon.

En 2012, la Chine a pris le contrôle de cet atoll, qui sert également d'abri par mauvais temps, après que les marines des deux pays se furent brièvement toisées.

Depuis, les bateaux de pêche non chinois qui s'approchent de la bouche du lagon sont accueillis à grands coups de corne de brume par un navire chinois amarré à l'intérieur. Ceux qui refusent de partir prennent le risque d'être arrosés au canon à eau, voire d'être percutés, selon les Philippins.

"Le canon à eau était si puissant qu'il a détruit l'une de nos glacières en polystyrène", relate à l'AFP Felix Lavezores, 36 ans, à propos d'un incident survenu en mai.

Il en coûte jusqu'à 90.000 pesos (1.700 euros), en fuel et en main d'oeuvre, pour faire le voyage, de l'argent dépensé à perte en cas de retour bredouille.

Selon les habitants d'Infanta et de Masinloc, autre ville de pêcheurs, les Chinois ont également sectionné parfois les cordes d'amarrage, au risque que les bateaux philippins ne s'échouent.

- 'Territoire intrinsèque' chinois -
Pékin considère comme territoire national la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, y compris des eaux proches des pays voisins.

Interrogée sur ces incidents, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a réitéré la position de Pékin.

"Nous avons déclaré que le récif de Scarborough appartient au territoire intrinsèque de la Chine. Les activités des gardes-côtes chinois pour faire appliquer la loi et l'ordre sont légitimes, au-delà de tout reproche", a-t-elle dit.

Depuis des décennies, ces querelles sont une source potentielle de conflit régional, mais les tensions se sont considérablement aggravées ces dernières années à mesure que Pékin affirme ses prétentions.

Dans les îles Spratley, l'un des principaux archipels de cette mer également revendiqué par les Philippines, le Vietnam, la Malaisie et Taïwan, Pékin a mené des travaux sans précédent pour gagner sur la mer et appuyer ses revendications de souveraineté.

Ses opposants craignent que la Chine n'utilise ces îles artificielles à des fins militaires et n'obtienne le contrôle de facto sur la mer et les airs dans une région située sur des autoroutes de fret maritime, qui recèlerait d'importants gisements d'hydrocarbures.

Manille demande à la CPA de dire que les revendications chinoises violent la Convention de l'ONU sur le droit à la mer, dont les deux pays sont signataires.

Mais Pékin a fait savoir qu'il ne tiendrait pas compte de son verdict.

Et si Manille espère a minima un renforcement des pressions diplomatiques sur la Chine, il semble peu probable que celle-ci permettra aux pêcheurs philippins de revenir sur l'atoll de Scarborough, quel que soit l'arbitrage rendu.

Rédigé par () le Mercredi 22 Juin 2016 à 07:02 | Lu 521 fois