Et maintenant, le Méridien Bora


Tahiti, le 28 mai 2020 – Après l'InterContinental Moorea, c'est au tour du Méridien de Bora Bora de présenter un plan social et un plan de départ volontaire visant 149 salariés. Ceci à la veille d'une visite officielle du Pays, de l'Etat et des professionnels du tourisme sur la Perle du Pacifique…
 
Sans surprise, les discussions autour du plan social massif présenté à l'InterContinental Moorea se sont terminées tard mercredi soir dans un climat tendu. Comme Tahiti Infos l'annonçait mercredi, 190 des 192 salariés de l'établissement sont visés par des licenciements économiques, même si la direction affirme qu'elle étudiera notamment les possibilités de reclassement. Mais jeudi, c'est un autre établissement hôtelier de renom qui a fait parler de lui. Le Méridien de Bora Bora du groupe Wane a en effet annoncé à ses représentants du personnel une réunion du comité d'entreprise similaire à celle de l'hôtel de Moorea.
 
"La suppression éventuelle de 149 emplois, consécutivement à la fermeture de l'hôtel Le Méridien pour travaux de rénovation d'agrandissement", a en effet été annoncée aux représentants du comité d'entreprise, précisant que "ces travaux prévus pour durer 18 mois environ (sont) nécessaires à la réorganisation de l'entreprise pour en sauvegarder la compétitivité". Un "plan social" et un "plan de départ volontaire" ont été clairement annoncés.
 
"Ce plan a été annoncé (mercredi) par les syndicat de l'hôtel et le plan social a été remis trois minutes avant la réunion", a indiqué jeudi matin un membre du personnel de l'hôtel à Tahiti Infos, dénonçant la soudaineté de l'annonce. "Au cours des trois derniers mois, aucun licenciement n'avait été annoncé par la direction malgré l'insistance du personnel pour connaître la suite après la crise et aucune fermeture n'était prévue".
 

Des "bulles" à Bora Bora et Tetiaroa ?

Cette annonce intervient alors qu'une délégation constituée du président Edouard Fritch, de membres de son gouvernement, du haut-commissaire et de professionnels du tourisme doit se rendre vendredi à Bora Bora, justement pour faire un état des lieux du secteur. Depuis plusieurs jours, les discussions entre hôteliers, Pays et Etat tournent autour des conditions de reprise du tourisme international, principal moteur de l'économie polynésienne.
 
"Les touristes internationaux, que ce soit le marché Europe ou le marché Etats-Unis, sont la plus grosse partie de notre activité. A partir du moment où la quatorzaine reste active, il est évident qu’aucun touriste ne prendra l’avion pour rester bloqué 14 jours", rappelait Guillaume Epinette jeudi matin. "Cette phase de quatorzaine est impossible à conjuguer avec une activité touristique. Il y a une situation sanitaire. Il faut évidemment trouver la balance entre la gestion de ce risque sanitaire et le risque économique."
 
L'une des solutions évoquée est celle de la création d’une "bulle" sur Bora Bora et Tetiaroa, avec la possibilité de corridors sanitaires permettant aux touristes de se rendre directement sur des lieux touristiques aménagés pour éviter la propagation du virus sans quatorzaine. "Des groupes de travail ont débuté il y a déjà plusieurs semaines pour envisager l’ensemble des scénarios possibles, pour nous permettre de rouvrir les marchés, accueillir les touristes et redémarrer nos activité et nous projeter dans le futur", confirme le directeur des opérations hôtelières du BeachComber. "Aujourd’hui, nous n’avons malheureusement aucune visibilité. C’est très compliqué."

Tunia Terevaura, secrétaire général adjoint de O oe to oe rima : "Ce n'est pas avec des petites mesurettes qu'on va avancer

Comment s'est passée votre réunion de mercredi soir pour l'Intercontinental Moorea ?
 
"Les discussions étaient tendues et puis la réunion s'est terminée en catastrophe. Nous avons demandé une suspension et un report de la réunion. La direction met en avant le licenciement de l'ensemble des salariés. Des documents nous ont été présentés et un des rapports nous démontre que les années passées nous étions en dessous de la ligne rouge. J'ai ouïe dire que la fermeture, pour rénovation, devrait durer deux ans. C'est pour moi un moyen d'éradiquer les salariés surtout les anciens, ceux notamment qui ont entre 20 et 34 ans de service. Alors que beaucoup d'entre eux pourraient prétendre à la retraite anticipée pour travaux pénibles l'an prochain. Pourquoi ne pas vouloir mettre en place le Diese et attendre jusqu'à l'année prochaine ? De plus, je pense que, le but premier, c'est d'évincer les partenaires sociaux."
 
Vous comprenez que même en prenant des Diese, cela aura un coût pour la société ?
 
"La direction a réussi à obtenir 3 milliards de Fcfp, dans le cadre du prêt général de l'Etat, pour pallier le déficit de 2020 jusqu'à 2022. Je me permets de remettre en cause la sincérité du projet. Et d'ailleurs, on a posé la question si cet argent était utilisé pour la rénovation totale de l'hôtel ? Aucune réponse. (…). Après, Il est question de licenciement de l'ensemble des salariés avec pour projet la rénovation de l'hôtel. La question est, les salariés seront-ils réembauchés en priorité à la fin des travaux ? A ce titre nous avons proposé de mettre en place un accord collectif pour maintenir ces emplois. Et si les travaux durent trois ans cet accord permettra de déroger à la règlementation. Et pour l'instant la direction refuse tout accord."
 
Vous craignez l'effet domino de ces plans sociaux, notamment sur la CPS ?
 
"Cette situation aura des impacts sur d'autres établissements hôteliers du fenua. Ce sont 6 000 salariés qui vont perdre leur travail et donc 6 000 salariés à déduire des cotisations à la CPS, qui va aussi perdre les parts patronales. Toutes les sociétés rattachées au tourisme vont subir aussi la crise, notamment les petites entreprises, tout va s'enchainer. Et cela représente une perte de 12 000 emplois  qu'il faudra déduire de la CPS."
    
 Au Méridien de Bora Bora, vous confirmez que l'on annonce aussi un plan social ?
 
"Oui, ils y sont dans le plan social et cela concerne environ 180 salariés. (…) Il faut regarder la réalité en face et qu'on se batte ensemble pour sauver toutes ces pertes d'emplois qui auront un impact sur la vie familiale des salariés. Si on avait mis en place cette caisse de chômage 2008 on n'en serait pas là aujourd'hui. Mais il faut que tout le monde participe, les employés, employeurs, le Pays et l'Etat. On a perdu près de 20 ans et aujourd'hui ce sont des milliards qu'on vient de perdre… Ce n'est pas avec des petites mesurettes qu'on va avancer. Le Diese c'est bien, mais ce n'est pas avec cette mesurette qu'on va avancer."
 
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Guillaume Epinette, directeur des opérations hôtelières régionales du groupe Pacific Beachcomber : "C’est une fermeture jusqu’à nouvel ordre"

Le groupe pourra-t-il reclasser certains des 190 employés concernés par ce plan social ?
 
"Dans cette procédure, nous allons bien évidemment envisager toutes les solutions possibles : reclassements éventuels, départs anticipés à la retraites… Toutes les options seront envisagées avec les employés pour trouver la meilleure, en ce qui les concerne. (…) L’entreprise accompagne l’ensemble des salariés concernés avec un plan d’indemnités qui est largement plus favorable que ce que prévoit la loi."
 
Avez-vous encore une marge de manœuvre pour éviter ce plan social ?
 
"Non, aujourd’hui nous sommes dans une situation économique qui est désastreuse avec une crise sanitaire, une crise économique, des mesures prises à l’international et au niveau local qui affectent complètement notre tourisme. Nos hôtels sont fermés depuis plusieurs mois, à 0% de taux d’occupation. Et surtout nous n’avons aucune visibilité sur le futur, sur comment le tourisme va repartir et à quel niveau. Cette situation impacte de manière dramatique l’ensemble de l’entreprise. Les pertes sont d’une telle ampleur que si nous ne prenions pas des décisions aujourd’hui, nous mettrions en péril l’ensemble de l’organisation."
 
Vous comptez pouvoir rouvrir l’Intercontinental de Moorea ? Avez-vous une date ?
 
"Pour le moment nous avons tellement peu de visibilité qu’il est difficile de se positionner sur cette question-là. Tous les scénarios vont être envisagés. Mais à aujourd’hui, il nous est impossible de dire ce qui va se passer dans les mois ou les années à venir."
 
Donc vous fermez l’établissement de Moorea sans prévision de réouverture ?
 
"C’est une fermeture jusqu’à nouvel ordre, oui."
 
Pourquoi les dispositifs, tels que le prêt garanti par l’Etat ou le Diese, ne vous suffisent-ils pas pour maintenir le personnel de l’hôtel en poste ?
 
"Le prêt garanti par l’Etat est un prêt. Ce dispositif vient alourdir le niveau d’endettement de l’entreprise. Nous prévoyons quasiment une perte de 4,6 milliards de Fcfp sur cette année. Cette situation met l’ensemble de l’organisation dans une situation périlleuse, si nous ne prenons pas des décisions dans l’immédiat. Il y a des dispositifs qui se mettent en place. Mais aujourd’hui, pour le groupe ce qui est important c’est de maintenir la compagnie en place. Pour cela nous devons nous concentrer sur les hôtels qui ont le plus fort potentiel de reprise."
 
Le dispositif Diese n'est donc pas adapté à votre situation ?
 
"Nous n’avons en effet aucune visibilité sur la reprise et les charges continuent à courir, autres que la masse salariale. L’impact global de la perte sur l’entreprise va bien au-delà de ce périmètre. Nous avons aujourd’hui une perte colossale de chiffre d’affaires sur l’ensemble du groupe pour cette année. Il est urgent de prendre des décisions pour être capable d’assurer la survie de l’entreprise."
 
D’autres hôtels sont-ils du groupe sont-ils concernés par ce plan ?
 
"Pour le moment ce dispositif ne concerne que l’hôtel de Moorea."
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Vendredi 29 Mai 2020 à 00:01 | Lu 9144 fois