Le docteur Christian Sueur est psychiatre et responsable du service d’Hospitalisation de Jour de Pédopsychiatrie de la Direction de la Santé. Dans un article publié en premier lieu sur le site Mediapart, et disponible ci-dessous, il proclame que "les essais nucléaires français dans le Pacifique n’étaient pas propres" et qu'on en ignore encore toutes les conséquences sanitaires. Le Dr Sueur s'alarme plus particulièrement des conséquences méconnues des radionucléides émetteurs de rayonnement alpha, moins surveillés que les rayons beta et gamma, et pourtant néfastes à faibles doses. Il a lui-même constaté des cas troublants et inexpliqués d'oligophrénie (troubles du développement et du comportement) chez de jeunes patients de l'hôpital de jour. Ces mêmes troubles ont été étudiés chez les victimes des essais nucléaires menés à Semipalatinsk, au Kazakhstan. Pourtant, malgré ce "faisceau de présomptions", aucune étude n'a encore été menée en Polynésie française sur les conséquences de l'exposition aux radionucléides. Interview.
Tahiti Infos : Docteur Sueur, au-delà de la surveillance du « panier de la ménagère » effectuée par l’IRSN, vous demandez des relevés des radionucléides émetteurs de rayonnement alpha, type plutonium et uranium 238. Pourquoi ?
Les radionucléides émetteurs de rayons beta et gamma surveillés par l’IRSN sont les premiers à avoir des conséquences sur la santé : l’iode, qui disparaît en quelques semaines et qui se fixe dans la thyroïde; le césium, qui a une durée de vie d’environ 30/ 50 ans, et qui participe vraisemblablement à la genèse de certaines des 18 maladies retenues dans la loi Morin. Enfin il y a le strontium, qui va durer beaucoup plus longtemps. Il se fixe dans les os, et il est certainement à l’origine de beaucoup de cancers.
Et après, il y a les radionucléides de la série de l’uranium qui entraînent essentiellement des rayonnements alpha, et contaminent directement la cellule par ingestion ou par inhalation. Ce sont les très petites doses de ces radionucléides qui inquiètent aujourd’hui les généticiens.
Y-a-t-il des radionucléides qui sont sortis des puits pendant les essais souterrains ?
On nous dit que non, mais tout un tas d’arguments démontrent que le sol a pu être poreux, qu’il y a pu y avoir une transformation du terrain qui a pu donner à l’eau qui a noyé les puits la possibilité de s’exfiltrer, ou aux radionucléides de sortir… De plus la radioactivité passe par les matériaux. A son contact les matériaux des commandes de tir sortant des puits sont devenus radioactifs. Le béton des bunkers de Mururoa est devenu radioactif. La ferraille des barges s’est transformée par contact avec ces radionucléides alpha, et est devenue radioactive. Or ces déchets (béton, ferraille) n’ont pas été traités selon les normes qui prévalent actuellement.
Quelles conséquences ces radionucléides ont-ils sur la santé ?
On sait depuis 10 ans que ces radionucléides, même à faible dose, ont un effet « à bas bruit » essentiellement génétique. Ils provoquent des cancers après plusieurs décennies, et des problématiques génétiques qui ne sont pas des mutations immédiates. On l’a constaté à Tchernobyl sur des centaines de kilomètres autour de la centrale, sur des animaux comme le petit rat campagnol, les oiseaux, les céréales, les crustacés etc.
Et cette instabilité génétique entraîne des mutations génétiques ?
Immédiatement, oui, à plus long terme, ce ne sont plus des « mutations » au sens propre du mot, mais des modifications de l’expression du génome , en particulier pendant l’embryogénèse ; cela peut alors entraîner une oligophrénie, qui se traduit par une psychose, des troubles du comportement, des retards de communication et de langage, et aussi un retard mental. Tout ceci a été étudié chez les habitants de Semipalatinsk, au Kazakhstan. Pour résumer, les conséquences d’un essai nucléaire sont bien différentes de celles d’une explosion type Hiroshima. La proximité chronique des populations avec les rayons alpha à faibles doses entraîne des cancers et une instabilité génétique, elle-même responsable de troubles du développement du système nerveux central. Mais ce problème a été nié jusqu’au début des années 2000.
Avez-vous constaté des cas d’oligophrénie en Polynésie qui puissent être liés aux essais nucléaires ?
J’ai vu au moins deux cas vraiment troublants. Le premier est une petite fille atteinte d’un trouble du développement, auquel on cherchait une cause organique tant il semblait neurologique. Troubles de l’équilibre, incapacité à parler, cris, hypermotricité, énurésie qui n’était manifestement pas celles des enfants attardés... Elle présentait tout un tas de signes atypiques, preuve que quelque chose dans la formation du système nerveux n’avait pas marché. Nous avons fait des tests génétiques. Ils ont révélé des cassures et des translocations de chromosomes. Ça peut arriver par hasard, ou avec la consanguinité, mais c’est typiquement le type d’anomalies qui sont radio-induites. Or le grand père a travaillé pendant six ou sept ans à Moruroa, où il soudait des barges. Le père, à 30 ans, avait déjà eu deux cancers des os. Ça fait beaucoup pour une seule famille, et c’est ce qu’on appelle un faisceau de présomptions.
L’autre petite fille nous a été envoyée pour une psychose infantile. Elle a un retard intellectuel important, elle parle mais ne sait dire que des mots stéréotypés, elle ne progresse pas sur le plan des apprentissages et sa psychose n’évolue pas comme celles des enfants que nous voyons habituellement . Sa maman étant handicapée, et vivant sur un atoll, j’ai dû attendre deux ans avant de la rencontrer, et j’ai été vraiment troublé, tant elle présentait les symptômes des enfants de Tchernobyl. Microcéphalie, anomalies morphologiques diverses, retard mental important… En enquêtant sur la famille, je découvre aussi un oncle atteint de trisomie 21, et la grand-mère a perdu 3 enfants lorsqu’elle était à Hao, en base arrière du CEP. Et j’apprends que le grand père était soudeur sur les canalisations pour évacuer l’eau de lavage des hélicoptères et des avions qui passaient dans les nuages pour faire les dosages. Le patrimoine génétique du papa a pu être contaminé à l’époque par des micro-doses de rayonnement.
Pourrait-on établir un lien entre les essais nucléaires et ces oligophrénies avec certitude ?
Ce que je demande, c’est de pouvoir faire des analyses poussées sur ces cas, comme l’ont fait les Anglais et les Russes. Pour l’heure, on n’en est qu’à des faisceaux de présomption. Or on est aujourd’hui capable de mettre en évidence dans les laboratoires les stigmates de ce phénomène d’instabilité génétique. Florent de Vathaire, chercheur de l’INSERM, veut ainsi rechercher l’instabilité génomique chez les patients atteints d’un cancer de la thyroïde en Polynésie française. Il serait vraiment important de réaliser ces enquêtes, à la fois épidémiologiques et génétiques, mais ça peut coûter beaucoup d’argent. Il faut aussi reconnaître qu’il y a beaucoup de résistance passive, de la part des aveugles, des « collabos » de l’omerta militaire, de ceux qui sont atteints du « syndrome de Stockholm », ou de ceux qui sont là depuis longtemps et n’ont jamais rien dit… Entre ce combat, et celui pour l’intégration des enfants handicapés dans les écoles, je commence à indisposer beaucoup de gens.
Tahiti Infos : Docteur Sueur, au-delà de la surveillance du « panier de la ménagère » effectuée par l’IRSN, vous demandez des relevés des radionucléides émetteurs de rayonnement alpha, type plutonium et uranium 238. Pourquoi ?
Les radionucléides émetteurs de rayons beta et gamma surveillés par l’IRSN sont les premiers à avoir des conséquences sur la santé : l’iode, qui disparaît en quelques semaines et qui se fixe dans la thyroïde; le césium, qui a une durée de vie d’environ 30/ 50 ans, et qui participe vraisemblablement à la genèse de certaines des 18 maladies retenues dans la loi Morin. Enfin il y a le strontium, qui va durer beaucoup plus longtemps. Il se fixe dans les os, et il est certainement à l’origine de beaucoup de cancers.
Et après, il y a les radionucléides de la série de l’uranium qui entraînent essentiellement des rayonnements alpha, et contaminent directement la cellule par ingestion ou par inhalation. Ce sont les très petites doses de ces radionucléides qui inquiètent aujourd’hui les généticiens.
Y-a-t-il des radionucléides qui sont sortis des puits pendant les essais souterrains ?
On nous dit que non, mais tout un tas d’arguments démontrent que le sol a pu être poreux, qu’il y a pu y avoir une transformation du terrain qui a pu donner à l’eau qui a noyé les puits la possibilité de s’exfiltrer, ou aux radionucléides de sortir… De plus la radioactivité passe par les matériaux. A son contact les matériaux des commandes de tir sortant des puits sont devenus radioactifs. Le béton des bunkers de Mururoa est devenu radioactif. La ferraille des barges s’est transformée par contact avec ces radionucléides alpha, et est devenue radioactive. Or ces déchets (béton, ferraille) n’ont pas été traités selon les normes qui prévalent actuellement.
Quelles conséquences ces radionucléides ont-ils sur la santé ?
On sait depuis 10 ans que ces radionucléides, même à faible dose, ont un effet « à bas bruit » essentiellement génétique. Ils provoquent des cancers après plusieurs décennies, et des problématiques génétiques qui ne sont pas des mutations immédiates. On l’a constaté à Tchernobyl sur des centaines de kilomètres autour de la centrale, sur des animaux comme le petit rat campagnol, les oiseaux, les céréales, les crustacés etc.
Et cette instabilité génétique entraîne des mutations génétiques ?
Immédiatement, oui, à plus long terme, ce ne sont plus des « mutations » au sens propre du mot, mais des modifications de l’expression du génome , en particulier pendant l’embryogénèse ; cela peut alors entraîner une oligophrénie, qui se traduit par une psychose, des troubles du comportement, des retards de communication et de langage, et aussi un retard mental. Tout ceci a été étudié chez les habitants de Semipalatinsk, au Kazakhstan. Pour résumer, les conséquences d’un essai nucléaire sont bien différentes de celles d’une explosion type Hiroshima. La proximité chronique des populations avec les rayons alpha à faibles doses entraîne des cancers et une instabilité génétique, elle-même responsable de troubles du développement du système nerveux central. Mais ce problème a été nié jusqu’au début des années 2000.
Avez-vous constaté des cas d’oligophrénie en Polynésie qui puissent être liés aux essais nucléaires ?
J’ai vu au moins deux cas vraiment troublants. Le premier est une petite fille atteinte d’un trouble du développement, auquel on cherchait une cause organique tant il semblait neurologique. Troubles de l’équilibre, incapacité à parler, cris, hypermotricité, énurésie qui n’était manifestement pas celles des enfants attardés... Elle présentait tout un tas de signes atypiques, preuve que quelque chose dans la formation du système nerveux n’avait pas marché. Nous avons fait des tests génétiques. Ils ont révélé des cassures et des translocations de chromosomes. Ça peut arriver par hasard, ou avec la consanguinité, mais c’est typiquement le type d’anomalies qui sont radio-induites. Or le grand père a travaillé pendant six ou sept ans à Moruroa, où il soudait des barges. Le père, à 30 ans, avait déjà eu deux cancers des os. Ça fait beaucoup pour une seule famille, et c’est ce qu’on appelle un faisceau de présomptions.
L’autre petite fille nous a été envoyée pour une psychose infantile. Elle a un retard intellectuel important, elle parle mais ne sait dire que des mots stéréotypés, elle ne progresse pas sur le plan des apprentissages et sa psychose n’évolue pas comme celles des enfants que nous voyons habituellement . Sa maman étant handicapée, et vivant sur un atoll, j’ai dû attendre deux ans avant de la rencontrer, et j’ai été vraiment troublé, tant elle présentait les symptômes des enfants de Tchernobyl. Microcéphalie, anomalies morphologiques diverses, retard mental important… En enquêtant sur la famille, je découvre aussi un oncle atteint de trisomie 21, et la grand-mère a perdu 3 enfants lorsqu’elle était à Hao, en base arrière du CEP. Et j’apprends que le grand père était soudeur sur les canalisations pour évacuer l’eau de lavage des hélicoptères et des avions qui passaient dans les nuages pour faire les dosages. Le patrimoine génétique du papa a pu être contaminé à l’époque par des micro-doses de rayonnement.
Pourrait-on établir un lien entre les essais nucléaires et ces oligophrénies avec certitude ?
Ce que je demande, c’est de pouvoir faire des analyses poussées sur ces cas, comme l’ont fait les Anglais et les Russes. Pour l’heure, on n’en est qu’à des faisceaux de présomption. Or on est aujourd’hui capable de mettre en évidence dans les laboratoires les stigmates de ce phénomène d’instabilité génétique. Florent de Vathaire, chercheur de l’INSERM, veut ainsi rechercher l’instabilité génomique chez les patients atteints d’un cancer de la thyroïde en Polynésie française. Il serait vraiment important de réaliser ces enquêtes, à la fois épidémiologiques et génétiques, mais ça peut coûter beaucoup d’argent. Il faut aussi reconnaître qu’il y a beaucoup de résistance passive, de la part des aveugles, des « collabos » de l’omerta militaire, de ceux qui sont atteints du « syndrome de Stockholm », ou de ceux qui sont là depuis longtemps et n’ont jamais rien dit… Entre ce combat, et celui pour l’intégration des enfants handicapés dans les écoles, je commence à indisposer beaucoup de gens.
Les essais nucléaires français dans le Pacifique n’étaient pas « propres » Par Christian SUEUR
45 ans après le premier tir nucléaire atmosphérique sur l’atoll de Moruroa, en Polynésie française (2 juillet 1966), 15 ans après le dernier essai souterrain (27 janvier 1996), après un total de 193 tirs nucléaires (41 + 5 essais dans l’atmosphère entre 1966 et 1974 et 147 essais sous-terrains, entre 1975 et 1996), la loi Morin d’indemnisation des victimes de la contamination radioactive de l’époque, et de ses « retombées », vient de reconnaître la légitimité de sa demande à l’un des travailleurs de l’époque, un métropolitain, qui se voit indemnisé au niveau d’un taux d’invalidité évalué à 2 %.
Un centre de consultations spécialisé, pour le suivi des anciens travailleurs de Moruroa, fruit d’un accord entre l’armée, le gouvernement français et des autorités polynésiennes alors très complaisantes, s’est ouvert en 2007, sous la responsabilité d’un médecin militaire. Eu égard aux décennies de dissimulations, de mensonges et de propagande sur la prétendue innocuité de ces essais nucléaires, l’association des anciens travailleurs de Moruroa avait souhaité la création d’un centre de suivi médical indépendant. Mais, l’Etat français persistant dans son manque d’impartialité confia le suivi des essais nucléaires au Ministère de la Défense, qui a porté l’entière responsabilité de ces expériences funestes.
Ce centre serait chargé de « traiter » la population tahitienne exposée aux pollutions radioactives subies à l’époque des essais par les vétérans du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et les populations civiles des atolls « survolés » à l’époque par les nuages radioactifs, quand bien même aucune pollution résiduelle des produits alimentaires maritimes ou terrestres de ces atolls n’est actuellement reconnue par les autorités française. Selon la CRIIRAD, après le tir du 2 juillet 1966, par exemple, les Iles Gambier ont été exposées à un niveau de radiation 1700 fois supérieur à celui enregistré par les capteurs de la centrale du Bugey, après le passage du nuage de Tchernobyl en mai 1986[1]. Selon l’AIEA, seulement 5 des 46 tirs atmosphériques ont été reconnus comme « polluants ». Il semble bien, rétrospectivement, que le nombre d’essais polluants ait été bien supérieur, et même s’il s’agit de faibles doses, on note de façon résiduelle aux Tuamotu et aux Gambier, la persistances de radionucléides d’origine artificielle, et en particuliers de radionucléides émetteurs de rayonnement alpha (uranium, plutonium, americium, et des quantités importantes de tritium et de carbone 14 radioactif, dont les conséquences à la suite d’ingestions chroniques, en terme d’exposition interne à l’organisme, ne sont certainement pas neutres.
Aucune recherche indépendante techniquement satisfaisante n’a encore été effectuée sur ce sujet. Seuls les résultats d’analyse du laboratoire local de l’IRSN sont censés permettre une surveillance du « panier de la ménagère ». Mais
ce laboratoire, au-delà de la recherche d’une activité alpha et bêta globale, du strontium 90 et du césium 137, procède-t-il à une recherche quantitative des radionucléides « lourds », tels que le plutonium et son
« descendant » l’américium, ou l’uranium 235 ? Or, les connaissances sur les effets de l’ingestion chronique de très faibles doses montrent que ces pollutions échappent aux règles établies de la radiobiologie classique.
Les preuves s’accumulent remettant en cause la thèse officielle selon laquelle seuls les essais aériens auraient été nocifs et que le passage aux essais souterrains aurait « enterré » les risques de contact avec la radioactivité. Là encore, la vérité est très différente. Quelle que soit la période, essais aériens ou souterrains, les risques de
contaminations ont persisté : aujourd’hui encore, il est impossible d’enquêter sur les tonnes de déchets radioactifs stockés en dépit des réglementations applicables en France sur l’atoll corallien de Moruroa ou immergées au large des atolls de Moruroa et de Hao. La porosité du milieu corallien ne met pas à l’abris de remontées radioactives à partir des
« cheminées » et des puits de forage bouchés lors des essais.
La pollution environnementale est énorme, mais il est bien connu que dans le « monde de la guerre », comme au Ministère de la Défense, l’environnement n’a jamais été un bien à préserver, et encore moins à restaurer après l’action… Et la « parade » juridique est toujours là : la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire exempte les activités et installations nucléaires intéressant la Défense, de la loi commune, notamment du principe «pollueur payeur », et laisse à la Défense le soin de s’auto-contrôler.
Aujourd’hui, force est de constater qu’aucune recherche épidémiologique d’envergure à même d’objectiver d’éventuelles pathologies radio-induites (en dehors d’une enquête INSERM – Institut Gustave Roussy, sur les cancers de la thyroïde), n’a été menée, ni chez les anciens travailleurs de Moruroa, ni parmi les populations des îles Gambier, des Tuamotu, des Australes et des Marquises, et de Tahiti, survolées par les nuages radioactifs, ni chez leurs descendants de la première et de la deuxième génération.
La radiobiologie, jusqu’à ces dernières années, a établi ses normes et ses hypothèses en terme de pathogénie, en grande partie à partir des résultats épidémiologiques liés à la surveillance sur plusieurs générations des survivants des deux premières bombes atomiques lancées en 1945 à Hiroshima et Nagasaki. Dans ce cas, il s’agissait d’étudier des effets liés à une irradiation violente externe, extrêmement limitée dans le temps, et non à une contamination interne à faibles doses par des particules radioactives microscopiques ingérées ou inhalées comme après l’incident de Tchernobyl, ou sur les sites ayant été contaminés par de multiples retombées d’essais nucléaires.
Au total, les 46 essais atmosphériques en Polynésie représentent, en matériel fissile et en radionucléides alpha, l’équivalent de 675 fois les explosions d’Hiroshima et Nagasaki.
L’étude Adult Health Study / Life Span Study, sur plusieurs milliers de survivants durant ces cinquante dernières années, et sur leur descendance, effectuée par les autorités sanitaires japonaises avec le soutien de l’UNSCEAR, n’ayant pas montré de façon évidente une augmentation d’anomalies génétiques et de problèmes de développement, cette question a été « enterrée » pendant un demi siècle. Ainsi, dans toute la littérature médicale jusqu’au début des années 2000, le dogme officiel était qu’ « on n’a retrouvé aucun effet génétique héréditaire, c’est à dire à la descendance, que l’irradiation concerne les enfants in utero, les enfants ou les adultes. C’est d’ailleurs un sujet d’étonnement, car c’est un phénomène qu’on connaît chez l’animal, chez la souris notamment, mais qu’on a jamais mis en évidence chez l’homme ; on ne connaît pas d’effet héréditaire radio-induit chez l’homme et les malformations héréditaires majeures ou mineures après irradiation ne sont pas significativement différentes des malformations spontanées ».
Mais ce dogme est désormais battu en brèche par un certain nombre d’observations cliniques, et par certaines études épidémiologiques, même si l’augmentation du nombre de pathologies héréditaires est difficile à mettre en évidence, en raison d’une fréquence non négligeable, mais relativement peu élevée, et des nombreux biais des études statistiques. Le retard d’apparition de pathologies héréditaires, voire même semble-t-il, d’apparitions plusieurs générations après l’irradiation princeps, complique l’observation.
Sur le plan radiobiologique, deux nouvelles notions viennent étayer la remise en question du dogme jusque là établi : la réalité des effets génétiques imputables à l’ingestion chronique de faibles doses de radionucléides alpha d’une part[2], et la transmission d’une instabilité génomique à partir de l’irradiation des gamètes des sujets exposés à la radioactivité[3] ; cette instabilité génomique peut être « compensée » pendant plusieurs générations, puis s’exprimer par des manifestations anormales, sans que l’on comprenne aujourd’hui encore la raison de ce déclenchement de troubles au
départ « récessifs », mais qui échappent aux règles de la génétique mendélienne[4]. De la même manière, l’observation d’effets stochastiques, et de l’effet by-stander (transmission d’une information génétique « fautive » d’une cellule irradiée à une autre cellule non irradiée), apportent des éléments de compréhension quant à l’apparition retardée de certains cancers. Les mécanismes biochimiques qui conduiraient à ce type d’anomalies génétiques commencent à être explorées dans de multiples laboratoires de recherche en biologie moléculaire : il s’agit essentiellement aujourd’hui, d’hypothèse de dysfonctionnement de la méthylation de l’ADN, d’anomalie au niveau des
télomères, et au niveau des mini satellites du génome, au-delà des habituelles doubles cassures de brins d’ADN, ou de mutations massives, jusque là considérées comme les seuls marqueurs biologiques des effets de la radioactivité.
Les résultats des premières recherches effectuées dans ce domaine depuis le début du siècle commencent à être connus :
- L’étude du Professeur Al Rowland de l’Université Massey en Nouvelle-Zélande, publiée en 2008[5], réalisée sur 50 vétérans des essais nucléaires britanniques des années 1957 et 1958 à Christmas Island, a permis de montrer que, même cinquante ans après une irradiation due aux essais nucléaires, on peut constater des altérations de l’ADN trois fois plus importantes que pour un groupe contrôle. A la même époque le Professeur Parmentier de l’Institut Gustave Roussy, soignant des patientes polynésiennes atteintes de cancers de la thyroïde, avait réalisé une étude ADN, et aboutissait à des conclusions identiques à celles de l’étude néo-zélandaise[6].
- Le rapport du parlement australien sur les « Participants australiens aux essais nucléaires britanniques », publié le 6 octobre 2006, reprend les études de Sue Rabbit Roff[7], de l’Université de Dundee (1997, 1998 et 2003), qui démontrent une augmentation indéniable de la fréquence des cancers dans la population exposée de ces « vétérans » des essais nucléaires australiens (études de 1997 et 1998), mais pas chez les vétérans britanniques (étude de 2003).
- De même, une étude conduite par le Professeur Busby[8] (Green Audit) a pu mettre en évidence, en 2007, une augmentation d’un facteur 10 du taux de malformations congénitales dans la descendance de ces vétérans (8,5 pour les petits-enfants), et un taux de fausses couches 2,75 fois supérieur, par rapport à un groupe témoin. Il semble probable que ces effets soient liés, moins à une irradiation aiguë externe, qu’à une exposition interne chronique à de faibles doses de radionucléides.
- En 2008, le docteur Jean-Louis Valatx, à partir étude sur 1800 questionnaires adressés aux vétérans métropolitains des essais de l’association AVEN, met en évidence que 18,8 % des couples ont subi une ou plusieurs fausses couches, 32,9 % de couples n’ont pas eu d’enfants, dont 25 % en raison de stérilité masculine.
Parmi les 3022 enfants nés après les essais , 405 enfants (13,4 %) présentent des anomalies congénitales plus
ou moins importantes. 23,5 pour mille des enfants sont décédés à la naissance ou au cours de la première année de vie, ce qui représente plus de trois fois la mortalité infantile en France[9].
- Dans les années qui ont suivi l’accident de Tchernobyl, on a pu montrer[10] que dans les zones rurales biélorusses contaminées (région de Gomel), la fréquence de malformations a clairement augmenté depuis 1987 : elle est de 39 % dans les districts « témoins » (césium137 < 1 Ci/km2) et elle croit avec le niveau de contamination du sol, jusqu’à 79 % pour les zones contaminées à plus de 15 Ci/ km2. Ces malformations consistent essentiellement en des anomalies de formation du cerveau, des becs de lièvres et fentes palatine, des polydactylies, reins doubles et urètres doubles,
atrophies des membres. De même en Ukraine, où lesanomalies de développement cérébral ont augmenté de 63,7 % pendant les 5 ans qui ont suivi l’accident de Tchernobyl. On note en particulier augmentation de 110,4 % des cas d’hydrocéphalie[11].
- Bien après l’accident nucléaire de Tchernobyl, les travaux du Pr Dubrova et coll.[12], fruit de la collaboration d’une équipe de généticiens russes, anglais et biélorusses, ont montré un nombre élevé d’aberrations chromosomiques chez les habitants des zones contaminées, signe d’un effet des rayonnements qui peut se traduire par des effets somatiques et génétiques. Cette étude a utilisé des marqueurs particuliers du génome, les « minisatellites », qui ont dans cette étude, un taux élevé de mutations « spontanées »[13]. Il y a mutation quand le locus minisatellite est un fragment d’ADN dans l’empreinte génétique de l’enfant, qui ne peut être attribué ni au père ni à la mère ; par contre, il peut être transmis de façon « invisible », par les cellules germinales des parents, et réaliser une « instabilité génomique », qui va être à l’origine, dans la descendance, d’une tendance accrue de l’ADN à ne pas se réparer correctement. Cette carence a pour effet d’augmenter le risque de carcinogenèse et semble poser de sérieux problèmes quant à la synthèse correcte des protéines neuronales lors de l’embryogenèse, pouvant conduire à de sévères « troubles envahissants du développement » cérébral.
Dubrova et coll. ont ainsi mesuré, par prises de sang, la fréquence des mutations nouvelles apparues chez les enfants nés entre février et septembre 1994, de 79 familles résidant dans trois districts ruraux de la région de Moghilev où la valeur médiane de contamination du sol en césium 137 est élevée (6,8 Ci/ km2).
Cette fréquence est deux fois supérieure à celle d’un groupe témoins d’enfants anglais. Ces chercheurs ont également pu montrer que la fréquence des mutations nouvelles est corrélée au niveau de contamination du sol. Cette étude
pourrait fournir la première preuve expérimentale que la fréquence des mutations dans les cellules germinales des êtres humains peut être augmentée par les rayonnements ionisants. La généticienne bélarusse Rosa
Goncharova[14] a par ailleurs démontré ce phénomène épigénétique lié aux effets des « faibles doses » de radioactivité, sur les petits mammifères chroniquement exposés aux retombées de Tchernobyl, chez qui il existe une accumulation transgénérationnelle de l’instabilité génomique, croissante sur 22 générations, pendant les dix années qui ont suivi l’accident de Tchernobyl, alors même que la radioactivité du sol décroît, et que le même phénomène se réalise pour les femelles prélevées dans la nature, puis élevées en laboratoire.
Alors que ce type de suivi sanitaire est préconisé par les récents rapports français et polynésiens concernant le suivi des conséquences des essais nucléaires, aucune enquête scientifique, épidémiologique, clinique et biologique n’est réalisée en Polynésie. Pourtant, quelques cas d’enfants présentant des troubles envahissants du développement - « oligophrénies », d’étiologie génétique - ont été mis en évidence dans la descendance de vétérans du CEP, par le service de pédopsychiatrie de Polynésie française ; ces enfants sont les petits enfants d’anciens travailleurs civils sur les sites de Moruroa ou de Hao, exposés à des retombées radioactives durant plusieurs années à l’époque des tirs atmosphériques.
Il est donc urgent de mettre en place, de façon indépendante des autorités militaires et du Service de Santé des Armées, une telle enquête scientifique, afin d’objectiver la réalité de ces pathologies génétiques transmises de façon transgénérationnelles, et de prévoir la mise en place des structures sanitaires de dépistage et de soins
médico-psychologiques, et des structures médico-éducatives nécessaires pour ces enfants et leurs familles.
Dr Christian Sueur, psychiatre, responsable du service d’Hospitalisation de Jour de Pédopsychiatrie, Direction de la Santé, PF.
[1] Compte rendu de la mission
préliminaire de contrôles radiologiques sur l’île de Mangareva et les atoll de
Tureia et Hao (Polynésie française), octobre 2006 (Commission d’enquête de
l’Assemblée de la Polynésie)
[2] AZZAM E.I., LITTLE J.B. et coll. : Direct
evidence for the participation of gap-junction-mediated intercellular communication
in the transmission of damage signals from alpha-particle irradiated to
non-irradiated cell, Proc. National Academy of Science, U.S.A., 2001,
98, 473-478.
[3] STREFFER C. : Strong association between cancer and genomic instability, Radiation
and Environmental Biophysics, 2010, 49, 2, 125-31.
[4] LITTLE J.B.: Radiation induced genetic
instability and bystander effects implications for radiation protection, Radioprotection,
2002, 37, 3, 261-282.
[5] WAHAB M.A., NICKLESS E.M., NAJAR-M’KACHER R., PARMENTIER C., PODD J.V., ROWLAND R.E.: Elevated chromosome translocation frequencies in New Zealand nuclear
test veterans, Cytogenetic Genome Research, 2008,
121, 79–87.
[6] VIOLOT D., M’KACHER R., ADJADJ E., DOSSOU J.,
DE VATHAIRE F., PARMENTIER C. : Evidence of increased chromosomal abnormalities
in French Polynesian thyroid cancer patients, European Journal of Nuclear
Medicine and Molecular Imaging, 2005, 32, 2.
[7] RABBITT ROFF S. :
Mortalité et morbidité parmi les enfants et petits-enfants des membres de
l’association des vétérans des essais nucléaires britanniques, Revue
Damoclès Hors-Série, n°1, 2000.
[8] http://www.llrc.org/epidemiology/subtopic/testvetrept.pdf
ou http://www.greenaudit.org/new_page_6.htm
[9] Les principales données de
l’étude santé du Dr JL Valatx se trouvent sur le site www.aven.org/aven-acceuil-actions-medicales-enquete-sante
.
[10] LAZJUK G. I. et al :
Changements dans l’incidence des anomalies héréditaires en République de
Belarus après l’accident de Tchernobyl, Radiation Protection Dosimetry,
1995, 1/2, 71-74.
[11] BELBEOCH B. :
Tchernobyl : quelques faits dérangeants, www.dissident-media.org
[12] DUBROVA Y.E. : Radiation-induced
transgenerational instability, Oncogene, 2003, 22, 7087-7093.
[13] DUBROVA Y.E. et coll. : Elevated
minisatellite mutation rate in post-Chernobyl families from Ukraine, American
Journal of Human Genetic, 2002, 71, 801-809.
[14] RYABOKON N.I., GONCHAROVA R. I. :
Transgenerational accumulation of radiation damage in small mammals chronically
exposed to Chernobyl fallout, Radiation Environnemental Biophys., 2006,
45, 3, 167-177.
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[8] http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-sueur/050811/les-essais-nucleaires-francais-dans-le-pacifique-n-etaient-pas-prop
[9] http://www.llrc.org/epidemiology/subtopic/testvetrept.pdf
[10] http://www.greenaudit.org/new_page_6.htm
[11] http://www.aven.org/aven-acceuil-actions-medicales-enquete-sante
[12] http://www.dissident-media.org/
[13] http://blogs.mediapart.fr/mot-cle/essais-nucleaires
[14] http://blogs.mediapart.fr/mot-cle/pathologies-genetiques-radio-induites
[15] http://blogs.mediapart.fr/mot-cle/polynesie-mururoa-instabilite-genomique
[16] http://blogs.mediapart.fr/mot-cle/radioactivite
Un centre de consultations spécialisé, pour le suivi des anciens travailleurs de Moruroa, fruit d’un accord entre l’armée, le gouvernement français et des autorités polynésiennes alors très complaisantes, s’est ouvert en 2007, sous la responsabilité d’un médecin militaire. Eu égard aux décennies de dissimulations, de mensonges et de propagande sur la prétendue innocuité de ces essais nucléaires, l’association des anciens travailleurs de Moruroa avait souhaité la création d’un centre de suivi médical indépendant. Mais, l’Etat français persistant dans son manque d’impartialité confia le suivi des essais nucléaires au Ministère de la Défense, qui a porté l’entière responsabilité de ces expériences funestes.
Ce centre serait chargé de « traiter » la population tahitienne exposée aux pollutions radioactives subies à l’époque des essais par les vétérans du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et les populations civiles des atolls « survolés » à l’époque par les nuages radioactifs, quand bien même aucune pollution résiduelle des produits alimentaires maritimes ou terrestres de ces atolls n’est actuellement reconnue par les autorités française. Selon la CRIIRAD, après le tir du 2 juillet 1966, par exemple, les Iles Gambier ont été exposées à un niveau de radiation 1700 fois supérieur à celui enregistré par les capteurs de la centrale du Bugey, après le passage du nuage de Tchernobyl en mai 1986[1]. Selon l’AIEA, seulement 5 des 46 tirs atmosphériques ont été reconnus comme « polluants ». Il semble bien, rétrospectivement, que le nombre d’essais polluants ait été bien supérieur, et même s’il s’agit de faibles doses, on note de façon résiduelle aux Tuamotu et aux Gambier, la persistances de radionucléides d’origine artificielle, et en particuliers de radionucléides émetteurs de rayonnement alpha (uranium, plutonium, americium, et des quantités importantes de tritium et de carbone 14 radioactif, dont les conséquences à la suite d’ingestions chroniques, en terme d’exposition interne à l’organisme, ne sont certainement pas neutres.
Aucune recherche indépendante techniquement satisfaisante n’a encore été effectuée sur ce sujet. Seuls les résultats d’analyse du laboratoire local de l’IRSN sont censés permettre une surveillance du « panier de la ménagère ». Mais
ce laboratoire, au-delà de la recherche d’une activité alpha et bêta globale, du strontium 90 et du césium 137, procède-t-il à une recherche quantitative des radionucléides « lourds », tels que le plutonium et son
« descendant » l’américium, ou l’uranium 235 ? Or, les connaissances sur les effets de l’ingestion chronique de très faibles doses montrent que ces pollutions échappent aux règles établies de la radiobiologie classique.
Les preuves s’accumulent remettant en cause la thèse officielle selon laquelle seuls les essais aériens auraient été nocifs et que le passage aux essais souterrains aurait « enterré » les risques de contact avec la radioactivité. Là encore, la vérité est très différente. Quelle que soit la période, essais aériens ou souterrains, les risques de
contaminations ont persisté : aujourd’hui encore, il est impossible d’enquêter sur les tonnes de déchets radioactifs stockés en dépit des réglementations applicables en France sur l’atoll corallien de Moruroa ou immergées au large des atolls de Moruroa et de Hao. La porosité du milieu corallien ne met pas à l’abris de remontées radioactives à partir des
« cheminées » et des puits de forage bouchés lors des essais.
La pollution environnementale est énorme, mais il est bien connu que dans le « monde de la guerre », comme au Ministère de la Défense, l’environnement n’a jamais été un bien à préserver, et encore moins à restaurer après l’action… Et la « parade » juridique est toujours là : la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire exempte les activités et installations nucléaires intéressant la Défense, de la loi commune, notamment du principe «pollueur payeur », et laisse à la Défense le soin de s’auto-contrôler.
Aujourd’hui, force est de constater qu’aucune recherche épidémiologique d’envergure à même d’objectiver d’éventuelles pathologies radio-induites (en dehors d’une enquête INSERM – Institut Gustave Roussy, sur les cancers de la thyroïde), n’a été menée, ni chez les anciens travailleurs de Moruroa, ni parmi les populations des îles Gambier, des Tuamotu, des Australes et des Marquises, et de Tahiti, survolées par les nuages radioactifs, ni chez leurs descendants de la première et de la deuxième génération.
La radiobiologie, jusqu’à ces dernières années, a établi ses normes et ses hypothèses en terme de pathogénie, en grande partie à partir des résultats épidémiologiques liés à la surveillance sur plusieurs générations des survivants des deux premières bombes atomiques lancées en 1945 à Hiroshima et Nagasaki. Dans ce cas, il s’agissait d’étudier des effets liés à une irradiation violente externe, extrêmement limitée dans le temps, et non à une contamination interne à faibles doses par des particules radioactives microscopiques ingérées ou inhalées comme après l’incident de Tchernobyl, ou sur les sites ayant été contaminés par de multiples retombées d’essais nucléaires.
Au total, les 46 essais atmosphériques en Polynésie représentent, en matériel fissile et en radionucléides alpha, l’équivalent de 675 fois les explosions d’Hiroshima et Nagasaki.
L’étude Adult Health Study / Life Span Study, sur plusieurs milliers de survivants durant ces cinquante dernières années, et sur leur descendance, effectuée par les autorités sanitaires japonaises avec le soutien de l’UNSCEAR, n’ayant pas montré de façon évidente une augmentation d’anomalies génétiques et de problèmes de développement, cette question a été « enterrée » pendant un demi siècle. Ainsi, dans toute la littérature médicale jusqu’au début des années 2000, le dogme officiel était qu’ « on n’a retrouvé aucun effet génétique héréditaire, c’est à dire à la descendance, que l’irradiation concerne les enfants in utero, les enfants ou les adultes. C’est d’ailleurs un sujet d’étonnement, car c’est un phénomène qu’on connaît chez l’animal, chez la souris notamment, mais qu’on a jamais mis en évidence chez l’homme ; on ne connaît pas d’effet héréditaire radio-induit chez l’homme et les malformations héréditaires majeures ou mineures après irradiation ne sont pas significativement différentes des malformations spontanées ».
Mais ce dogme est désormais battu en brèche par un certain nombre d’observations cliniques, et par certaines études épidémiologiques, même si l’augmentation du nombre de pathologies héréditaires est difficile à mettre en évidence, en raison d’une fréquence non négligeable, mais relativement peu élevée, et des nombreux biais des études statistiques. Le retard d’apparition de pathologies héréditaires, voire même semble-t-il, d’apparitions plusieurs générations après l’irradiation princeps, complique l’observation.
Sur le plan radiobiologique, deux nouvelles notions viennent étayer la remise en question du dogme jusque là établi : la réalité des effets génétiques imputables à l’ingestion chronique de faibles doses de radionucléides alpha d’une part[2], et la transmission d’une instabilité génomique à partir de l’irradiation des gamètes des sujets exposés à la radioactivité[3] ; cette instabilité génomique peut être « compensée » pendant plusieurs générations, puis s’exprimer par des manifestations anormales, sans que l’on comprenne aujourd’hui encore la raison de ce déclenchement de troubles au
départ « récessifs », mais qui échappent aux règles de la génétique mendélienne[4]. De la même manière, l’observation d’effets stochastiques, et de l’effet by-stander (transmission d’une information génétique « fautive » d’une cellule irradiée à une autre cellule non irradiée), apportent des éléments de compréhension quant à l’apparition retardée de certains cancers. Les mécanismes biochimiques qui conduiraient à ce type d’anomalies génétiques commencent à être explorées dans de multiples laboratoires de recherche en biologie moléculaire : il s’agit essentiellement aujourd’hui, d’hypothèse de dysfonctionnement de la méthylation de l’ADN, d’anomalie au niveau des
télomères, et au niveau des mini satellites du génome, au-delà des habituelles doubles cassures de brins d’ADN, ou de mutations massives, jusque là considérées comme les seuls marqueurs biologiques des effets de la radioactivité.
Les résultats des premières recherches effectuées dans ce domaine depuis le début du siècle commencent à être connus :
- L’étude du Professeur Al Rowland de l’Université Massey en Nouvelle-Zélande, publiée en 2008[5], réalisée sur 50 vétérans des essais nucléaires britanniques des années 1957 et 1958 à Christmas Island, a permis de montrer que, même cinquante ans après une irradiation due aux essais nucléaires, on peut constater des altérations de l’ADN trois fois plus importantes que pour un groupe contrôle. A la même époque le Professeur Parmentier de l’Institut Gustave Roussy, soignant des patientes polynésiennes atteintes de cancers de la thyroïde, avait réalisé une étude ADN, et aboutissait à des conclusions identiques à celles de l’étude néo-zélandaise[6].
- Le rapport du parlement australien sur les « Participants australiens aux essais nucléaires britanniques », publié le 6 octobre 2006, reprend les études de Sue Rabbit Roff[7], de l’Université de Dundee (1997, 1998 et 2003), qui démontrent une augmentation indéniable de la fréquence des cancers dans la population exposée de ces « vétérans » des essais nucléaires australiens (études de 1997 et 1998), mais pas chez les vétérans britanniques (étude de 2003).
- De même, une étude conduite par le Professeur Busby[8] (Green Audit) a pu mettre en évidence, en 2007, une augmentation d’un facteur 10 du taux de malformations congénitales dans la descendance de ces vétérans (8,5 pour les petits-enfants), et un taux de fausses couches 2,75 fois supérieur, par rapport à un groupe témoin. Il semble probable que ces effets soient liés, moins à une irradiation aiguë externe, qu’à une exposition interne chronique à de faibles doses de radionucléides.
- En 2008, le docteur Jean-Louis Valatx, à partir étude sur 1800 questionnaires adressés aux vétérans métropolitains des essais de l’association AVEN, met en évidence que 18,8 % des couples ont subi une ou plusieurs fausses couches, 32,9 % de couples n’ont pas eu d’enfants, dont 25 % en raison de stérilité masculine.
Parmi les 3022 enfants nés après les essais , 405 enfants (13,4 %) présentent des anomalies congénitales plus
ou moins importantes. 23,5 pour mille des enfants sont décédés à la naissance ou au cours de la première année de vie, ce qui représente plus de trois fois la mortalité infantile en France[9].
- Dans les années qui ont suivi l’accident de Tchernobyl, on a pu montrer[10] que dans les zones rurales biélorusses contaminées (région de Gomel), la fréquence de malformations a clairement augmenté depuis 1987 : elle est de 39 % dans les districts « témoins » (césium137 < 1 Ci/km2) et elle croit avec le niveau de contamination du sol, jusqu’à 79 % pour les zones contaminées à plus de 15 Ci/ km2. Ces malformations consistent essentiellement en des anomalies de formation du cerveau, des becs de lièvres et fentes palatine, des polydactylies, reins doubles et urètres doubles,
atrophies des membres. De même en Ukraine, où lesanomalies de développement cérébral ont augmenté de 63,7 % pendant les 5 ans qui ont suivi l’accident de Tchernobyl. On note en particulier augmentation de 110,4 % des cas d’hydrocéphalie[11].
- Bien après l’accident nucléaire de Tchernobyl, les travaux du Pr Dubrova et coll.[12], fruit de la collaboration d’une équipe de généticiens russes, anglais et biélorusses, ont montré un nombre élevé d’aberrations chromosomiques chez les habitants des zones contaminées, signe d’un effet des rayonnements qui peut se traduire par des effets somatiques et génétiques. Cette étude a utilisé des marqueurs particuliers du génome, les « minisatellites », qui ont dans cette étude, un taux élevé de mutations « spontanées »[13]. Il y a mutation quand le locus minisatellite est un fragment d’ADN dans l’empreinte génétique de l’enfant, qui ne peut être attribué ni au père ni à la mère ; par contre, il peut être transmis de façon « invisible », par les cellules germinales des parents, et réaliser une « instabilité génomique », qui va être à l’origine, dans la descendance, d’une tendance accrue de l’ADN à ne pas se réparer correctement. Cette carence a pour effet d’augmenter le risque de carcinogenèse et semble poser de sérieux problèmes quant à la synthèse correcte des protéines neuronales lors de l’embryogenèse, pouvant conduire à de sévères « troubles envahissants du développement » cérébral.
Dubrova et coll. ont ainsi mesuré, par prises de sang, la fréquence des mutations nouvelles apparues chez les enfants nés entre février et septembre 1994, de 79 familles résidant dans trois districts ruraux de la région de Moghilev où la valeur médiane de contamination du sol en césium 137 est élevée (6,8 Ci/ km2).
Cette fréquence est deux fois supérieure à celle d’un groupe témoins d’enfants anglais. Ces chercheurs ont également pu montrer que la fréquence des mutations nouvelles est corrélée au niveau de contamination du sol. Cette étude
pourrait fournir la première preuve expérimentale que la fréquence des mutations dans les cellules germinales des êtres humains peut être augmentée par les rayonnements ionisants. La généticienne bélarusse Rosa
Goncharova[14] a par ailleurs démontré ce phénomène épigénétique lié aux effets des « faibles doses » de radioactivité, sur les petits mammifères chroniquement exposés aux retombées de Tchernobyl, chez qui il existe une accumulation transgénérationnelle de l’instabilité génomique, croissante sur 22 générations, pendant les dix années qui ont suivi l’accident de Tchernobyl, alors même que la radioactivité du sol décroît, et que le même phénomène se réalise pour les femelles prélevées dans la nature, puis élevées en laboratoire.
Alors que ce type de suivi sanitaire est préconisé par les récents rapports français et polynésiens concernant le suivi des conséquences des essais nucléaires, aucune enquête scientifique, épidémiologique, clinique et biologique n’est réalisée en Polynésie. Pourtant, quelques cas d’enfants présentant des troubles envahissants du développement - « oligophrénies », d’étiologie génétique - ont été mis en évidence dans la descendance de vétérans du CEP, par le service de pédopsychiatrie de Polynésie française ; ces enfants sont les petits enfants d’anciens travailleurs civils sur les sites de Moruroa ou de Hao, exposés à des retombées radioactives durant plusieurs années à l’époque des tirs atmosphériques.
Il est donc urgent de mettre en place, de façon indépendante des autorités militaires et du Service de Santé des Armées, une telle enquête scientifique, afin d’objectiver la réalité de ces pathologies génétiques transmises de façon transgénérationnelles, et de prévoir la mise en place des structures sanitaires de dépistage et de soins
médico-psychologiques, et des structures médico-éducatives nécessaires pour ces enfants et leurs familles.
Dr Christian Sueur, psychiatre, responsable du service d’Hospitalisation de Jour de Pédopsychiatrie, Direction de la Santé, PF.
[1] Compte rendu de la mission
préliminaire de contrôles radiologiques sur l’île de Mangareva et les atoll de
Tureia et Hao (Polynésie française), octobre 2006 (Commission d’enquête de
l’Assemblée de la Polynésie)
[2] AZZAM E.I., LITTLE J.B. et coll. : Direct
evidence for the participation of gap-junction-mediated intercellular communication
in the transmission of damage signals from alpha-particle irradiated to
non-irradiated cell, Proc. National Academy of Science, U.S.A., 2001,
98, 473-478.
[3] STREFFER C. : Strong association between cancer and genomic instability, Radiation
and Environmental Biophysics, 2010, 49, 2, 125-31.
[4] LITTLE J.B.: Radiation induced genetic
instability and bystander effects implications for radiation protection, Radioprotection,
2002, 37, 3, 261-282.
[5] WAHAB M.A., NICKLESS E.M., NAJAR-M’KACHER R., PARMENTIER C., PODD J.V., ROWLAND R.E.: Elevated chromosome translocation frequencies in New Zealand nuclear
test veterans, Cytogenetic Genome Research, 2008,
121, 79–87.
[6] VIOLOT D., M’KACHER R., ADJADJ E., DOSSOU J.,
DE VATHAIRE F., PARMENTIER C. : Evidence of increased chromosomal abnormalities
in French Polynesian thyroid cancer patients, European Journal of Nuclear
Medicine and Molecular Imaging, 2005, 32, 2.
[7] RABBITT ROFF S. :
Mortalité et morbidité parmi les enfants et petits-enfants des membres de
l’association des vétérans des essais nucléaires britanniques, Revue
Damoclès Hors-Série, n°1, 2000.
[8] http://www.llrc.org/epidemiology/subtopic/testvetrept.pdf
ou http://www.greenaudit.org/new_page_6.htm
[9] Les principales données de
l’étude santé du Dr JL Valatx se trouvent sur le site www.aven.org/aven-acceuil-actions-medicales-enquete-sante
.
[10] LAZJUK G. I. et al :
Changements dans l’incidence des anomalies héréditaires en République de
Belarus après l’accident de Tchernobyl, Radiation Protection Dosimetry,
1995, 1/2, 71-74.
[11] BELBEOCH B. :
Tchernobyl : quelques faits dérangeants, www.dissident-media.org
[12] DUBROVA Y.E. : Radiation-induced
transgenerational instability, Oncogene, 2003, 22, 7087-7093.
[13] DUBROVA Y.E. et coll. : Elevated
minisatellite mutation rate in post-Chernobyl families from Ukraine, American
Journal of Human Genetic, 2002, 71, 801-809.
[14] RYABOKON N.I., GONCHAROVA R. I. :
Transgenerational accumulation of radiation damage in small mammals chronically
exposed to Chernobyl fallout, Radiation Environnemental Biophys., 2006,
45, 3, 167-177.
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[6] http://www.mediapart.fr/printmail/131383?destination=club/print/131383
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