En Polynésie, le taux de chômage est cinq fois plus élevé chez les non-diplômés


"Maeva, une polynésienne de 23 ans, sans diplôme, vivant seule avec son enfant dans une île des Australes, a 70 % de chances d’être au chômage. (...) Pierre, un métropolitain titulaire d’un diplôme d’ingénieur, vivant à Papeete avec sa femme, a 1 % de chances d’être au chômage." La démonstration du statisticien Sébastien Merceron est sans appel. Dans son étude Le diplôme, un passeport pour l’emploi, cet économiste de l'Institut de la statistique de Polynésie française démontre par A + B ce dont on se doutait intuitivement : avoir un diplôme réduit considérablement les risques d'être au chômage. Et avoir un diplôme élevé est quasiment "la garantie du plein emploi". En Polynésie, le taux de chômage est 5 fois plus élevé pour les non-diplômés (16%) que pour les diplômés de l'enseignement supérieur (3%)! Qui sont souvent des métropolitains, recherchés par les entreprises en raison de la relative rareté de la qualification sur le territoire polynésien. (sur le taux de chômage, voir précisions en bas de page).

De quoi convaincre les plus sceptiques de l'importance de l'instruction dans notre pays d'Outre-mer où le taux d'illettrisme atteint 40%, et où les secteurs qui fournissaient la majorité des emplois non qualifiés (le BTP par exemple) sont sinistrés depuis 2008. Dans un contexte de chute de l'emploi salarié (- 8000 emplois en 4 ans), le diplôme devient donc une condition indispensable pour trouver un emploi. "J'avais entendu un ou plusieurs politiques dire que les études ne servaient à rien, puisque de toute façon il n'y a plus d'emploi. C'est totalement faux" rectifie Sébastien Merceron. Si les personnes nées hors du territoire ont un taux de chômage quatre fois moindre que celles nées en Polynésie française, c'est essentiellement parce qu'elles sont plus diplômées.


Inégalités flagrantes dans l'accès aux études

L'économiste et statisticien Sébastien Merceron
C'est un travail de recherche mené en 2009 pour le compte de l'Agence Française de Développement sur les conditions de vie et les approches de la pauvreté en Polynésie française qui fait découvrir nos îles à ce statisticien alors employé par l'INSEE. Repéré par l'ISPF, il se lance alors dans cette étude sur le rapport entre diplôme et pauvreté, en se basant sur les chiffres du recensement de 2007. "J'avais remarqué en faisant ma précédente étude que celui qui n'avait pas de qualification avait de très grands risques de tomber dans la pauvreté. "

En effet aujourd'hui, la plupart des offres d'emploi s'adressent aux personnes diplômées. En 2010, 60 % des offres requéraient au moins un niveau CAP. Et le nombre d’offres de niveau supérieur au baccalauréat a augmenté de 145 % entre 2003 et 2010. Pourtant, en Polynésie française, une grande partie de la population n'a toujours que peu ou pas accès aux études. Même si le taux de bacheliers a été multiplié par 4,5 en 25 ans, il reste très faible par rapport aux moyennes nationales. 37% des filles et 26% des garçons seulement obtiennent le baccalauréat. C'est toujours deux fois moins qu'en métropole.

Et les difficultés s'accroissent en fonction de l'éloignement. "Quand on habite dans un archipel éloigné, on a beaucoup moins de chances d'accéder à un diplôme, en partie parce qu'on a des parents qui n'ont la plupart du temps pas fait d'études eux-mêmes" rappelle S. Merceron. Résultat, les personnes de langue tahitienne (28% de la population) ne sont que 6% à détenir le baccalauréat. Les "natifs" des archipels éloignés qui réussissent à obtenir un diplôme restent donc "l'exception" en raison de ces contraintes.

Autre chiffre inquiétant, celui des diplômés de l'enseignement supérieur en Polynésie : il stagne depuis 30 ans. Cela s'explique en partie par le faible taux de réussite à l'Université. "Une motivation pour finir ses études, c'est l'accès à l'emploi qu'on voudrait", rappelle Sébastien Merceron. "Or la carte des formations est encore inadaptée aux besoins du travail..." Autre phénomène qui explique ce chiffre, la fuite des cerveaux. S'il n'y a pas plus de diplômés EN Polynésie, c'est aussi que les Polynésiens diplômés... ne reviennent pas. Là par contre, les chiffres manquent pour quantifier ce phénomène.


Océanisation des cadres? "C'est à la source qu'il faut agir"

Faut-il réserver des emplois aux Polynésiens face aux "migrants" diplômés pour favoriser leur retour? "Je pense que ça ne fonctionnerait pas" répond Sébastien Merceron. "C'est plus à la source qu'il faut agir, en favorisant l'accès à l'instruction, aux diplômes. Le système de quotas ne marchera pas, selon moi, car il n'y a pas vraiment de concurrence entre les "natifs" et les "migrants", explique l'économiste... qui tient toutefois à rassurer ceux qui n'ont pas de diplôme. Il existe des dispositifs qui permettrent de rattraper son retard : le GSMA, la formation continue, le SEFI... On peut aussi créer sa propre entreprise, à condition d'avoir une bonne idée. Là, des organismes de micro-crédit comme l'ADIE peuvent être d'un grand secours.

Les statistiques ne sont donc pas une fatalité. Mais les chiffres font mal. Il faudrait créer 1 700 emplois par an pour absorber les jeunes qui entrent sur le marché du travail. Depuis 2008, 2 000 emplois sont détruits chaque année.


Consultez l'intégralité de cette étude "Le diplôme, un passeport pour l'emploi" en cliquant sur ce lien.

La précédente étude de Sébastien Merceron "Les approches de la pauvreté en Polynésie française" est disponible sur le site de l'AFD

Taux de chômage : un chiffre incertain

En 2007, le taux de chômage en Polynésie était estimé à 11,7% (chiffres du recensement de 2007). Mais ce chiffre n'est qu'indicatif, en raison de l'absence de régime d'assurance chômage, qui n'incite pas les gens à se déclarer comme chômeurs. Le taux d'inactifs, en revanche, est élevé : seulement 53% des personnes âgées de 15 à 64 ans occupent un emploi en Polynésie française, contre 64% en France métropolitaine.

Seules sont considérées comme chômeuses les personnes effectuant des démarches pour trouver un emploi auprès d'une agence comme le SEFI.

Rédigé par F K le Lundi 25 Juillet 2011 à 16:50 | Lu 8095 fois