En Nouvelle-Calédonie, les chefs coutumiers kanak élaborent une Charte


Raphaël Mapou
NOUMÉA, 24 avril 2014 (AFP) - Les autorités coutumières de Nouvelle-Calédonie vont proclamer samedi une "Charte du peuple kanak" qui définira les valeurs et les principes de leur civilisation millénaire dont ils souhaitent la prise en compte dans la "future Constitution du pays".

Ce document est l'aboutissement d'une année de réflexion et d'échanges au sein des huit aires coutumières kanak de Nouvelle-Calédonie, représentées au Sénat coutumier, dont les pouvoirs sont consultatifs.

"C'est une démarche inédite pour un peuple autochtone. Il a déterminé ses principes fondamentaux pour construire sa place dans le système contemporain", a déclaré à l'AFP Raphaël Mapou, chargé du dossier au Sénat coutumier.

Cette charte sera officiellement proclamée samedi lors d'une cérémonie à Nouméa, en présence des chefs coutumiers, des autorités de l'Etat et de la Nouvelle-Calédonie.

La coutume est un terme générique qui désigne les codes ancestraux des relations sociales kanak, restés vivaces.

"Les principes de la charte ont vocation à intégrer la prochaine Constitution du pays. Il s'agit de l'expression sur un plan juridique et constitutionnel du droit kanak dont la reconnaissance ne sera effective que par la mise en oeuvre d'un pluralisme juridique équilibré", a indiqué Paul Vakié, président du sénat.

Dans cette charte d'une trentaine de pages, le lien à la terre, le rôle de la parole et du nom, le pardon coutumier, la symbolique majeure de l'igname, une plante exotique, le poids des mythes et des légendes, les langues kanak ou l'organisation des clans sont développés.

Les valeurs de solidarité et d'humilité, la primauté des droits collectifs sur les droits individuels et l'exercice du droit à l'autodétermination sont également détaillés.

"On ne remet pas en cause les institutions occidentales, mais nous voulons une plus grande prise en compte de la coutume kanak dans les politiques publiques", a également indiqué M. Mapou.

- Crainte d'une "perdition" de la coutume -

Deux statuts civils co-existent déjà en Nouvelle-Calédonie, l'un de droit commun et l'autre de droit coutumier. Ce dernier permet aux Kanak d'appliquer les règles traditionnelles en matière de droit de la famille, de la personne et des terres.

En cas de litiges, des juridictions où siègent des assesseurs coutumiers ont été installées à partir de 1990, générant l'apparition d'une jurisprudence coutumière. Une loi de pays a par ailleurs créé en 2008 des officiers d'état civil coutumiers.

Alors que la culture kanak est basée sur l'oralité, la rédaction de cette charte traduit aussi la crainte "d'une perdition de la coutume, diluée dans le système dominant", a précisé Raphaël Mapou.

Française depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie suit un processus de décolonisation progressif défini par l'accord de Nouméa (1998), dont le préambule reconnait "les ombres et les lumières de la colonisation". Cet accord affirme "la pleine reconnaissance de l'identité kanak", tout en prônant l'émergence d'une communauté de destin entre les populations.

Les Kanak représentent environ 40% des 265.000 habitants de la Nouvelle-Calédonie où l'époque coloniale a été rythmée par les spoliations foncières, la négation de la culture autochtone et le régime de l'indigénat en place jusqu'en 1946.

Après une guerre civile dans les années 1980, Kanak et "caldoches" (Européens) se sont réconciliés en 1988 autour d'une stratégie de partage des pouvoirs, de rééquilibrage économique et de valorisation de l'identité kanak.

Des progrès significatifs ont été accomplis mais des inégalités par rapport aux Européens demeurent en matière de revenus, de formation, de taux d'incarcération ou d'accès à l'emploi.

La publication de la charte du peuple kanak intervient alors que le 11 mai auront lieu des élections provinciales, qui ouvriront le dernier mandat de l'accord de Nouméa (2014-2018), au cours duquel un référendum d'autodétermination doit être organisé.

Rédigé par () le Mercredi 23 Avril 2014 à 15:36 | Lu 1634 fois